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CHAPITRE 2 ANALYSE DES TEXTES À TENDANCE

3.3 Commentaire de la Genèse (4Q252 et 4Q254)

3.3.3 Interprétation messianique de Gn 49, 10 dans 4Q252

La cinquième colonne (fragment 6) de 4Q252 est composée de sept lignes dont les parties préservées diminuent progressivement. La première ligne commence par une citation de Gn 49, 10a, dont le texte ne suit pas exactement celui du TM:

1 [ ול ] טילש̇רוסי̇ א a ̇ ̇הדוהי̇טבשמ לשממ̇לארשיל̇תויהב 2 [ ̇אול י] דיודל̇א סכ̇בשוי̇ת ר כ b ̇ ̇קקחמה̇יכ תוכלמה̇תירב̇איה 3 [ לאו ] יפ c ̇ םילגדה̇המה̇לאר שי d t a c a v חמצ̇קדצה̇חישמ̇אוב̇דע 4 ̇ומע̇תוכלמ̇תירב̇הנתנ̇וערזלו̇ול̇יכ̇דיוד רשא̇םלוע̇תורוד̇דע 5 רמש ̇ ׺ ] [ ̇הרות ה יכ̇דחיה̇ישנא̇םע 6 ] [ ̇׺ ישנא̇תסנכ̇איה 7 [ ]׺ ןתנ

1. Le souverain (pouvoir) [n]’échappera pas à la tribu

de Juda (Gn 49,10 a). Lorsqu’Israël gouvernera,

2. il ne manqu[era pas] d’occupant au trône de David (Jr 33,17). Car le bâton (le législateur), c’(est) l’alliance de royauté,

3. [et les mil]liers d’Israël, ce (sont) les bannières.

vacat Jusqu’à la venue du messie de la justice, le

rameau de

4. David. Car c’est à lui et sa descendance qu’a été donnée l’alliance de la royauté pour les générations éternelles, qu’a

5. gardée [ ] la Loi avec les hommes de la communauté. Car

6. [ ] c’(est) l’assemblée des hommes de 7. [ ] Il donna.

Notes de lecture

a. (Ligne 1) Le TM lit

הדוהימ̇טבש̇רוסי̇אל

(«Le sceptre ne s’éloignera pas de Juda»). 4Q252 joue le double sens de

̇טבש

: il insère un synonyme de «sceptre» (

טילש

, «souverain», «pouvoir»), et conserve

טבש

au sens de la «tribu» de Juda.

105 Les discussions sur le genre littéraire de 4Q252, voir G. J. Brooke, «The Genre of 4Q252, From Poetry to Pesher», DSD 1, 1994, p. 160-179; «The Thematic Content of 4Q252», JQR 85, 1994, p. 33-59; «4Q252 as Early Jewish Commentary», RQ 17, 1996, p. 385-401, «4Q252 et le Nouveau Testament», dans D. Marguerat (éd), Le Déchirement: juifs et chrétiens au premier siècle, 1996, p. 221-242. M. Bernstein, «4Q252: From Re-Written Bible to Biblical Commentary», JJS 45, 1994, p. 1-27; «4Q252: Method and Context, Genre and Sources», JQR 85, 1994, p. 61-79.

b. (Ligne 2) Allegro lit

דיודל̇אוב̇בשוי̇תרכ]י

אול

106 («Il ne manquera pas quelqu’un assis sur lui [ = le trône] à David); Yadin remarque que la première lettre du troisième mot lue comme un beth

(אוב

) doit être un kof, la trace est identique avec

יכ

et

תוכלמה

sur la même ligne, par conséquent il propose de lire

אסכ

(«trône»)107.

c. (Ligne 3) Si la reconstruction

יפ]לאו

est correcte, cette organisation militaire (voir Nb 1, 16; 10, 4; Jos 22, 21) pourrait être une auto-désignation qumranienne pour introduire l’interprétation suivante. En se basant sur la même expression dans les Targums Néofiti et du Pseudo-Jonathan, C. Niccum propose une reconstruction alternative:

יפ]למו

(«enseignants») avec un mem au lieu de ’aleph; il s’agirait alors des chefs religieux d’Israël108.

d. (Ligne 3) En référant à Gn 49, 10b, Allegro et Eisenman-Wise favorisent la lecture

םילגרה

(«les pieds»); mais Brooke note qu’avec un traitement informatique de l’image, le dalet est clairement visible109. Trafton reconnaît également que le dalet est original («the right keren of the dalet is certain»)110.

Commentaire

L’interprétation commence par «quand Israël gouvernera»; cela situe le contexte dans une perspective d’avenir.

דיודל̇אסכ

de la ligne 2 se réfère sans doute à la dynastie davidique. Le début de cette ligne fait écho à Jr 33,17:

אסכ־לע̇בשי̇שיא̇דודל̇תרכי־אל

לארשי־תיב

(«David ne manquera jamais d’un successeur assis sur le trône de la maison d’Israël»). Le contexte élargi de Jr 33 est significatif:

En ces jours-là, Juda sera sauvé et Jérusalem habitera en sécurité. Voici le nom dont on appellera la Ville «Yahvé-notre-Justice». Car ainsi parle Yahvé: Jamais David ne

106 J. M. Allegro, «Further Messianic Reference in the Qumran Literature», 1956, p. 174-175.

107 Y. Yadin, «Some Notes on Commentaries on Genesis xlix and Isaiah from Qumran Cave 4», 1957, p. 66-68;

108 C. Niccum, «The Blessing of Judah in 4Q252», in W. Flint, J. C. VanderKam and E. Tov (eds), Studies

in the Hebrew Bible, Qumran, and the Septuagint Presented to Eugene Ulrich (VTSup 101), Leiden: Brill,

2006, p. 250-260 (surtout p. 255).

109 G. J. Brooke, «4QCommentary on Genesis A», DJD XXII, p. 205. Cette lecture est initialement suggérée par Y. Yadin dans «Some Notes on Commentaries on Genesis xlix and Isaiah from Qumran Cave 4», IEJ 7, 1957, p. 66-68.

manquera d’un descendant qui prenne place sur le trône de la maison d’Israël (Jr 33, 16-17).

4Q252 cite Jr 33, 17 pour mettre en lumière le sens de Gn 49, 10a comme si les deux passages portent sur un même thème: en rapprochant ces textes, l’auteur les interprète comme faisant explicitement référence à la restauration de la monarchie davidique dans le futur.

La suite de la ligne 2 «Car le bâton (ou le législateur), c’(est) l’alliance de la royauté» (

תוכלמה̇תירב̇איה̇קקחמה

יכ

) se réfère implicitement Gn 49, 10b:

TM: וילגר̇ןיבמ̇קקחמו «(Ni) le bâton (ou le législateur) d’entre ses pieds…»

PS: וילגד̇ןיבמ̇קקחמו «(ni) le bâton (ou le législateur) d’entre ses bannières...» Le choix de

קקחמ

peut donc être expliqué par la présence de ce terme dans la suite du verset commenté. À l’inverse, il n’est pas dit explicitement, à la ligne 2, que le «pouvoir» (

טילש

) est l’alliance de la royauté, mais plutôt le «bâton» ou le «législateur». On a ensuite, à la ligne 3,

םילגדה̇המה̇לאר שי יפ]לאו[

(«[et les mil]liers d’Israël, ce sont les bannières»). Le PS porte

וילגד

(«ses bannières») plutôt que

וילגר

(«ses pieds») du TM, et s’accorde avec le texte de 4Q252.

םילגדה

représente les divisions du peuple en armes dans ses camps (Nb 2)111.

Le sens de

קקחמ

est un peu ambigu. Faut-il comprendre «bâton de commandement» ou «législateur»? En CD VI 7, s’inspirant du midrash du puits de Nb 21, 18, on identifie «le bâton» (

קקוחמה

) avec une figure historique du passé, plus précisément au premier dirigeant éminent aussi appelé «législateur» (

קקוחמה

, CD VI 9) ou «Maître de justice» (

קדצ̇הרומ

, I 11; XX 31-32). Il est possible que 4Q252 véhicule aussi un double sens. Le passage parallèle de Gn 49, 10 dans le Targum du Jonathan ajoute que «les rois ne cesseront pas, ni les dirigeants, de la maison de Juda, ni les sapherim enseignant la loi à sa descendance»112. Après la déclaration qu’il ne manquera

111 Voir K. Trehuedic, «Commentaire de la Genèse A-D», Bibliothèque de Qumrân 1 (Torah-Genèse), p. 299-317 (surtout p. 310-311).

112 Voir R. Le Déaut (en collaboration avec J. Robert), Targum du Pentateuque: Genèse, Paris: Éditions du Cerf, 1978.

pas de descendant davidique sur le trône de la maison d’Israël, le passage de Jérémie continue en précisant également que «jamais les prêtres lévites ne manqueront de descendants qui se tiennent devant moi pour offrir l’holocauste, faire fumer l’oblation et offrir tous les jours le sacrifice» (Jr 33, 18). L’emploi de

קקחמ

peut être compris en rapport avec ces deux références: par son autorité sacerdotale, le «législateur» qui enseigne la Loi à la communauté est le gardien de l’alliance de royauté. Les Qumraniens, associés ici aux «milliers d’Israël», sont présentés comme des bannières de victoire qui confirmeront la validité de cette prophétie, même s’ils sont dans un contexte où le royaume davidique n’existe plus.

Pour cette raison, on considère comme vraisemblable la reconstitution «[l’Interprète de] la Loi» (

שרוד

) dans la lacune de V 5. Il serait alors présenté comme un fidèle sauvegardant l’alliance de la royauté avec les

דחיה̇ישנא

(«les hommes de la communauté»), une formule technique qui désigne les membres de Qumrân (1QS VI 21). Par conséquent, bien que le

קקחמ

, identifié avec «l’alliance de royauté », puisse être compris dans son sens propre de «bâton de commandement», il également possible de l’associer au législateur de la communauté en lisant ce commentaire du verset Gn 49, 10a à la lumière des autres textes sectaires comme CD VI 2-11 qui interprète Nb 21 dans le même sens.

Dans le TM, la bénédiction à Juda se termine par «jusqu’à ce que vienne le Schilo, et que les peuples lui obéissent» (Gn 49, 10c). La venue du Schilo est généralement traduite par «jusqu’à ce que vienne celui auquel il appartient» dans les versions modernes. La LXX a traduit ἕως ἂν ἔλθῃ τὰ ἀποκείμενα αὐτῷ («jusqu’à ce vienne ce qui lui est réservé»). Ézéchiel semble s’y référer, pour en faire peut-être le nouveau David, lorsqu’il parle de la venue de «celui à qui appartient le jugement» (Éz 21, 32, voir 34, 23; 37, 24). Dans le Targum Onkelos Gn 49, 10, le midrash Genèse Rabbah 98. 8, et plus explicitement dans le Talmud sanhédrin 98b. 66, le «Schilo» est également compris comme un titre pour le messie.

4Q252 V 3 - 4 fait référence implicitement à Gn 49,10c. Le commentaire paraît faire le lien entre «jusqu’à ce que vienne le Schilo» (

הליש̇אבי־יכ̇דע

) avec «jusqu’à la venue du messie de la justice» (

קדצה̇חישמ̇אוב̇דע

), et il semble que le compilateur a

utilisé la séquence scripturaire pour organiser son interprétation. Comme 4Q174 (Florilège) frag. 1-2 i 11-12, et en s’appuyant éventuellement sur une tradition connue, 4Q252 voit dans le texte de Gn 49, 10 l’annonce sur la venue d’un rameau davidique, identifié explicitement comme le «messie de justice» selon la formule similaire de Jr 23, 5-6 et 33, 15-16. La perspective est définitivement eschatologique. On envisage un roi idéal accompagné par les prêtres. C’est avec la venue d’un tel libérateur politique qui pratiquera la justice dans le pays que l’alliance de la royauté sera accomplie.

3.3.4 4Q254: Deux fils oints

Le troisième Commentaire de la Genèse (4Q254), est constitué de 17 fragments. Puisque certains (surtout les frag. 2, 11, 12, 13, 14, 15) ne comportement que quelques lettres, il est difficile de rétablir une structure cohérente ou de dégager un thème unitaire qui aurait déterminé le choix des passages bibliques113. Le texte préservé commence par la malédiction de Noé s’adressant à Canaan (frag. 1), suivie d’une référence à Hagar (frag. 2). Le fragment 3 devait traiter le récit du sacrifice d’Isaac (Gn 22, 1-19), si l’on se base sur les mots lisibles des lignes 4, 6 et 8114. La ligne 2 du fragment 4 comporte une allusion à Za 4, 14 qui évoque deux oints: ]

̇ רשא̇רהציה̇ינב̇ינש

[ («…les deux fils de l’huile qui…»)115; le texte des autres lignes (l. 3-4) se lit «ceux qui observent le commandement de Dieu […] pour les hommes de la communauté […]». Ces phrases, bien que mutilées, reflètent clairement la terminologie sectaire de Qumrân. La première est parallèle aux «

לא̇ תוצמ ירמוש

» en CD III 2; l’autre fait écho aux «

ישנא

דחיה

» mentionnés dans 1QS VI 21 et 4Q252 V (frag. 6) 5. Les fragments 5 à 7 concernent les bénédictions de Jacob s’adressant à Issachar (Gn 49,15), Dan (Gn 49, 16-17) et Joseph (Gn 49, 24-26). La structure du commentaire dans ces trois fragments est similaire à celle des bénédictions à Ruben (Gn 49, 3-4), Juda (Gn 49, 10), Asher (Gn

113 L’édition officielle de 4Q254: G. J. Brooke, «4QCommentary on Genesis C», DJD XXII, Oxford: Clarendon, 1996, p. 271-232. Voir aussi «Commentary on Genesis C», in PTSDSSP vol. 6B, 2002, p. 224-233.

114 ורומח (son âne, l. 2) ne se trouve que dans Gn 22,3 et 44, 13. Puisque les lignes 6 et 8 comportent des allusions à Gn 22,17 (הכערז: ta descendance, לוח: sable), il est logique de situer le texte dans l’histoire de sacrifice d’Isaac en Gn 22.

115 רהציה̇ינב̇ינש: cette expression est suivie dans TM par le participe suffixé d’un article définitif םידמעה (les deux fils oints qui se tiennent), 4Q254 utilise la particule relative רשא.

49, 20) et Nephtali (Gn 49, 21) dans 4Q252 frag. 5-6. Bien qu’aucun chevauchement entre les sections conservées des deux manuscrits ne soit démontré, cette similarité de structure suggère que 4Q252 et 254 comportaient chacun un commentaire portant sur toutes les bénédictions de Jacob.

L’intégration d’une référence aux «deux oints» (Za 4,14) dans le fragment 4 de ce commentaire est en particulier intéressante. Il est nécessaire de se demander comment ce passage est mis en lien avec le texte de la Genèse. On sait qu’au retour de l’exil, une promesse de Zacharie a nourri l’espoir dans le peuple d’une splendide renaissance sous la direction des deux guides: Zorobabel, le Davidide, et Josué, un Sadocite petit-fils du dernier Grand Prêtre pré-exilique, qui furent appelés par Zacharie (4,14) «deux fils oints». Cependant la restauration de la monarchie davidique échoua et les pouvoirs et la dignité des anciens rois d’Israël furent progressivement attribués au Grand Prêtre. Les chapitres 40-48 d’Ézéchiel dépeignent un programme de théocratie, présidé par le sacerdoce sadocite, dans lequel le «prince» était surtout un soutient du culte.

Si le texte de 4Q254 fait allusion à Zacharie 4,14, une des meilleures interprétations est que le commentaire l’a appliqué au texte de Gn 49, 8-12, c’est-à-dire à la bénédiction s’adressant à Juda. Cela permettait de faire entendre la distinction entre la royauté et le sacerdoce, s’alignant ainsi sur l’idéologie sectaire, selon laquelle on a pris soin de faire partager les fonctions royales avec le sacerdoce. Mais il ne s’agit pas d’une égalité des pouvoirs, puisque le roi demeure soumis à l’autorité des prêtres. Cette distinction est bien soulignée dans le Testament de Juda, où Juda dit à ses enfants116:

Maintenant mes enfants, aimez Levi afin que vous puissiez subsister et ne vous glorifiez pas contre lui pour ne pas être complètement détruits. Car à moi le Seigneur donna la royauté et à lui la prêtrise; et il a placé la royauté sous la prêtrise… Comme le ciel est plus haut que la terre, telle est la prêtrise de Dieu, plus haute que la royauté sur la terre, à moins qu’elle ne s’éloigne du Seigneur à cause du péché et soit dominée par la royauté terrestre. (T. de Juda 21, 1-4).

116 Traduction d’après H. C. Kee, «Testaments of the Twelve Patriarchs», in J. H. Charlesworth (ed), The

Old Testament Pseudepigrapha (vol. 1): Apocalyptic Literature and Testaments, New Haven: Yale

University Press, 1983, p. 800; voir aussi M. Philonenko, «Testaments des douze partriarches», dans A. Dupont-Sommer et M. Philonenko (dir), La Bible. Écrits intertestamentaires (Bibliothèque de la Pléiade), Paris: Gallimard, 1987, p. 870.

La distinction entre la royauté et le sacerdoce peut être une réaction contre la fusion des deux pouvoirs. De même, l’allusion à l’éventualité que le sacerdoce pourrait s’écarter de Dieu et se laisser dominer par la royauté est vraisemblablement une critique sur la dégénération du sacerdoce contemporain. Bien que l’absence du contexte dans 4Q254 ne nous permette pas d’en tirer une conclusion définitive, par analogie avec d’autres textes contemporains, on pourrait suggérer que la référence aux deux oints implique une insistance sur la distinction entre la royauté et le sacerdoce. Le commentaire semble développer une interprétation eschatologique de cette expression, sans qu’on puisse déterminer s’il s’agit d’une double attente messianique117.

Conclusion

Jusqu’ici nous avons distingué deux types de messianisme restaurateur. L’accent du premier (étudié au chapitre précédent) est mis plutôt sur la restauration des pouvoirs sacerdotal et politique dans la légitimité et la pureté rituelle. En tant que réaction critique contre l’attribution de la double fonction de Grand Prêtre et de chef d’État juif à Simon et à ses descendants, cette attente est surtout marquée par l’avènement d’un messie d’Aaron et d’un messie d’Israël dont la venue sera annoncée par un prophète eschatologique.

Le deuxième paradigme de messianisme restaurateur souligne la perception sectaire autour de la continuation de l’ordre d’une institution historique, ainsi que de l’importance de l’application concrète de la Loi selon l’exégèse particulière de la communauté. Le Document de Damas évoque diverss agents de salut eschatologique ; la préoccupation semble déplacer vers le rôle éducatif ou exégétique plutôt que cultuel pour trancher les controverses concernant la Loi et le culte dans le Temple eschatologique. La conception messianique est basée plutôt sur l’attente d’un «interprète de Loi» ou «celui qui enseigne la justice» modelé sur le Maître de justice historique; ainsi, elle est marquée par l’attention particulière que la communauté portait à la nature fondatrice de structures religieuses et sociales crées par le Maître de justice, et destinées à rester en vigueur jusqu’à l’avènement du messie (ou des messies) d’Aaron et d’Israël.

L’ambiguïté causée par la forme du singulier suggère peut-être que l’auteur du

117 C’est le verbe ןמש plutôt que רהצי qui est plus souvent utilisé dans la Bible hébraïque pour désigner le sens de «faire l’onction d’huile».

Document de Damas hésite à reprendre telle quelle, pour parler du bi-messianisme, cette expression qu’il trouve dans le(s) document(s) plus ancien(s). Il évoque par contre comme figures de type messianique, celles de l’ «Interprète de la Loi» et du «Prince de la congrégation» - l’un comme législateur/enseignant et l’autre comme roi/leader militaire.

Selon l’avis de quelques spécialistes, l’ «Interprète de la Loi» qui accompagne le «rameau de David» dans 4Q174 (probablement dans 4Q252) pourrait être le messie sacerdotal. Mais le texte ne parle pas explicitement du messie sacerdotal, à moins que l’on identifie le «messie d’Aaron» avec l’ «Interprète de la Loi». À notre avis, cette figure, comme dans le Document de Damas, serait un agent de salut de type restaurateur, un continuateur de l’ordre d’une institution historique, et cette institution concerne vraisemblablement la communauté elle-même. Il s’agit d’un rôle éducatif ou exégétique plutôt que cultuel, ou d’un guide spirituel du libérateur politique qui restaurera la paix et la justice sur la terre. En référence à la bénédiction de Juda, l’interprétation messianique de 4Q252 envisage un roi idéal accompagné par les prêtres. C’est avec la venue d’un «rameau de David», le «messie de justice» qui pratiquera la justice dans le pays, que l’alliance de la royauté sera accomplie. Dans cette perspective, la communauté, qui se considérait comme l’héritière légitime de la tradition biblique et la détentrice de révélations particulières, s’identifie elle-même au fidèle qui sauvegardait l’alliance de la royauté. Avec l’aide d’un «Interprète de la Loi», l’ancienne prophétie sur l’alliance davidique pourrait se confirmer dans sa réalisation selon la logique de la «nouvelle alliance».

4Q174 et 4Q252 mentionnent explicitment le «rameau de David», sans que le personnage qu’il désigne soit identifié clairement avec le «Prince de la congrégation». Les deux textes ne mentionnent pas non plus explicitement la guerre eschatologique. Par contre, le paradigme que nous aborderons dans le prochain chapitre se caractérise par l’évocation explicite d’un scénario guerrier à travers lequel se réaliseront la délivrance des justes et la vengeance de Dieu contre les nations: la venue d’un agent messianique s’accompagne des cataclysmes et d’un jugement dernier aboutissant à une transfiguration radicale de l’ordre cosmique.

Chapitre 4