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CHAPITRE 1 LE MESSIANISME ET TEXTES MESSIANIQUES DE

1.4 Dualité messianique et questions de méthodes

1.4.2 Critères de repérage des textes messianiques

Pour repérer les textes messianiques de Qumrân, nous nous proposons les six critères suivants:

1) Les titres des figures messianiques et les types de fonctions qu’elles pourraient accomplir. Nous optons pour une étude centrée sur le concept de «messie» défini comme un agent de salut eschatologique, quelle que soit la terminologie utilisée. Nous considérons donc comme messianiques les textes qui évoquent l’intervention de diverses figures dans un contexte de « fin des temps », même si ces figures ne sont pas explicitement qualifiées de «messies». En dehors du terme

̇חישמ

les plus importants sont «

אישנ

» (prince) ou «

רש

» (prince, chef), «

חמצ

» (branche, rameaux), «

ןב

» (fils), «

הרומ

» (maître ou enseignant), «

בכוכ

» ou «

טבש

» (astre ou sceptre), «

ןהכ

» (prêtre). Les termes suivants, qui pourraient se référer au scénario eschatologique, nous permettent aussi de percevoir l’organisation temporelle du texte : «

םימי

תירחאב

» (les derniers jours), «

אבצ

» (armée), «

םולש

» (paix) ou «

המחלמ

» (guerre), «

לומג

» (récompense) ou «

המקנ

» (vengeance), etc. Compte tenu les différents titres employés dans les textes, la mise en évidence de la corrélation des diverses épithètes et des titres qui peuvent être appliquées à la même figure constituerait une des étapes essentielles de l’interprétation précise de l’attente messianique conçue dans l’idéologie de la communauté qumrano-essénienne.

2) Les Tendances sectaires. L’idéologie sectaire de Qumrân présente deux tendances oscillant entre le type introverti et le type révolutionnaire. Dans la vie du groupe l’élément piétiste, de type introverti, qui se traduit par l’application concrète de la

loi selon l’exégèse particulière de la communauté, est plus important que l’eschatologie, caractéristique du type révolutionnaire. Il convient de noter toutefois que cette distinction n’est pas absolue, parce que l’observance de la loi, qui demeure au centre de la vie communautaire, est sans cesse justifiée par l’attente d’une nouvelle ère promise aux « fils de lumière» après leur victoire contre les «fils de ténèbres». Dans ce sens, quand les différentes tendances sectaires s’entremêlent dans un même texte comportant les attentes messianiques, il faut mettre en éclairage le contexte où sont employées les épithètes, et voir s’il est possible de situer tout le passage du texte concerné dans une tendance sectaire la plus appropriée.

3) Langues des textes. Les textes apocryphes en araméen qui ne comportent pas explicitement d’éléments sectaires, mais pourraient également donner une dimension intemporelle ou eschatologique à certains personnages anciens et contribuer à l’élaboration des attentes messianiques. Ces textes mentionnent des figures qui agiront dans l’ère eschatologique, ou simplement comme agent du jugement divin universel et de l’expiation. Par rapport aux textes clairement sectaires qui ont été produits en hébreu, ces textes, adoptés et préservés par la communauté, nous permettront de suivre le développement de certaines conceptions messianiques, en particulier de voir comment les figures des agents de salut qu’on y trouve ont pu s’inspirer de la tradition biblique et influencer les perceptions messianiques de communauté qumrano-essénienne;

4) Le thème et genre littéraires: Compte tenu que différents titres sont souvent attribués à un agent messianique, nous nous proposons d’identifier dans une unité textuelle une structure globale qui correspond à un genre littéraire précis, et d’étudier les différents motifs et thèmes qui sont présents dans un texte en les comparant avec d’autres textes. Quand les textes mettent l’accent sur l’auto-compréhension des sectaires comme les seuls qui soient légitimement habilités à reconstituer l’ordre d’antan, cette perspective pourrait avoir suscité un courant restaurateur dans la communauté. D’autre part, quand les textes font état de scénarios apocalyptiques anticipant la fin imminente des temps, ils reflètent des attentes ardentes d’orientation utopique, dans lesquelles se manifeste «la

tendance des hommes à se libérer de toute contrainte terrestre et à établir un pacte avec Dieu»59;

5) La datation des textes. Quelques critères tels que les évocation historiques du texte, la paléographie et la méthode de datation au radiocarbone, ont permis aux experts de situer les manuscrits de Qumrân dans un cadre chronologique allant du milieu du 3e siècle avant J.-C. à 68-70 de notre ère60. Nous adoptons en général le point de vue des responsables de l’édition officielle publiée dans les 40 volumes de la collection «Discoveries in the Judean Desert» (DJD) entre 1955 et 2010. Compte tenu que les textes fondamentaux de Qumrân appartiennent à une époque qui se situe entre la fondation du parti religieux et le règne d’Hérode le Grand, nous classerons les textes messianiques en deux principaux groupes selon qu’ils sont d’époque plus ancienne (pré-maccabéenne, maccabéenne ou asmonéenne) ou plus récente (romaine et hérodienne, depuis la prise de Jérusalem par Pompée en 63 av. J.-C.)61.

Il convient de noter que dans notre recherche, le décodage du corpus des textes comptera sur une approche diachronique fondée essentiellement sur la datation des

59 J. Taubes, Studien zur Geschichte und System der abendländischen Eschatologie, Berne, Buchdruckerei Rösch, Vogt & Co., 1947, p. 24. Traduit et cité par M. Löwy, dans «Le concept d’affinité élective en sciences sociales», Critique internationale No 2, 1999, p. 42-50.

60 La datation des manuscrits a recours notamment aux trois critères : 1) Les évocations historiques du texte : la mention d’une personne ou d’un fait connus est un repère pour déterminer la date d’un document. Quelques informations plus ou moins voilées se trouvent dans les pesharim. 1QpNa I 1-4 comprend une mention explicite de quelques individus, ce qui renvoie à un contexte historique spécifique et permet de situer sa composition avec précision dans le temps (1er siècle av. J.-C.). 2) L’analyse paléographique : le terme «paléographie» provient de deux mots grecs: παλαιὀς (ancien) et γράφειν (écrire), il s’agit d’une science des écritures anciennes qui étudie la manière dont les scribes de l’Antiquité formaient les lettres des documents qu’ils écrivaient ou copiaient. Bien qu’il ait aussi des variantes entre les scribes, la manière de dessiner les lettres évoluait avec le temps plutôt que les personnes, c’est donc l’examen de changement dans l’art d’écrire qui permet au paléographe de déterminer la place d’un écrit dans la série chronologique des variations graphiques. Pour ce faire la paléographie dispose d’abord du repère chronologiquement fiable des documents qui portent eux-mêmes une information directe impliquant une date (la mention d’un règne ou d’un événement connu). C’est ainsi que l’on est arrivé à dater l’ensemble des manuscrits de Qumrân d’une période allant du milieu du 3e siècle avant J.-C. à 68-70 de notre ère. 3) La méthode du carbone 14: En 1990, on appliqua la méthode de carbone 14 (AMS, la méthode de datation radiocarbone par spectrométrie de masse par accélérateur) à quatorze manuscrits choisis dans l’ensemble des textes de la mer Morte (pas seulement de Qumrân). Les résultats ont nettement confirmé la valeur scientifique de la datation paléographique, ils ont montré que les dates les plus anciennes imputées à certains manuscrits par les paléographes sont justes et qu’aucun des textes de Qumrân n’avait été copié après l’an 68 de notre ère,. 61 Après la prise de Jérusalem par Pompée (-63), la Palestine fut placée sous la juridiction romaine. Quelques années plus tard, l’Édomite Antipater, ancien légat des Asmonéens, bien vu des Romains, réussit à faire nommer ses fils Phasaël et Hérode légats, l’un de Galilée, l’autre de Judée. A la mort de Phasaël,

Hérode obtint par ses intrigues à Rome le titre de roi de Judée. Son règne dura trente-quatre ans (37-4 av.

manuscrits, et non sur l’histoire de la composition des textes. La date de la copie d’un manuscrit fixe la date la plus basse pour sa composition (terminus ad quem), qui peut avoir commencé plusieurs décennies auparavant (terminus a quo) et s’être étalée sur une période assez longue. Nous verrons dans les chapitres suivants que l’établissement d’une date de composition demeure assez hypothétique, il est cependant possible de classer les textes d’après la date de la copie, qui démontre que le texte était utilisé à cette époque, même s’il a pu être composé avant. Par exemple: Un texte copié à l’époque asmonéenne a été utilisé à cette époque et on peut chercher le sens qu’il pouvait avoir à cette époque. Un texte copié à l’époque hérodienne pouvait avoir une origine plus ancienne, mais on peut en chercher la signification à l’époque hérodienne.

6) La tendance restauratrice/utopique. Pour cette recherche, la tendance restauratrice se rapporte explicitement à la restauration de l’ordre du passé, alors que la présence des figures utopiques vise plutôt à créer une réalité inédite. Le messianisme de Qumrân se développe dans la tension autour de la légitimité des Grands Prêtres et du contrôle du Temple et du Palais de Jérusalem à l’époque du Second Temple. Il prend parfois la forme d’un bi-messianisme articulant les rapports d’une figure sacerdotale et d’une figure royale: ce dédoublement des figures, qui pourrait avoir été utilisé pour critiquer les usurpateurs asmonéens (et leurs successeurs hérodiens), témoigne surtout d’une analyse rationnelle et d’une attente messianique restauratrice. Dans un contexte plus récent, il semblerait que les attentes mettent l’accent plutôt sur le caractère catastrophiste de l’ère messianique; à ce trait s’ajoutent les données utopiques concernant l’inauguration de l’ère messianique.