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CHAPITRE 1 LE MESSIANISME ET TEXTES MESSIANIQUES DE

1.2 Le messianisme à l’époque du Second Temple

1.2.2 Genèse et théorisation du messianisme juif à l’époque du Second Temple

État de la question. Peut-on préciser les racines plus lointaines du messianisme juif? Est-il possible de retracer la trajectoire qui conduit à sa théorisation durant l’époque du Second Temple? Voyons d’abord ce que nous apprennent les recherches récentes sur le sujet. J. J. Collins montre que les origines des messianismes juifs se trouvent pour une grande partie dans l’idéologie royale des Israélites, qui s’inspire elle-même des conceptions monarchiques d’Égypte et de Mésopotamie. Les motifs tels que la reconnaissance («tu es mon fils») et l’intronisation à la droite du dieu sont à l’origine des éléments de l’idéologie royale égyptienne. Jérusalem avait été soumis à l’Égypte à l’époque pré-israélite et il est probable que les formules anciennes et les traditions

égyptiennes ont été reprises par les rois de Juda21. T. Römer admet aussi que l’idéologie royale du Juda est marquée de celle de l’Égypte, mais il estime qu’elle a aussi subi des influences mésopotamiennes dès le 8e siècle av. J.-C. et qu’elle s’est inspirée de l’idéologie royale assyro-babylonienne22. Le même auteur voit «la redéfinition de la méditation à l’époque perse qui se caractérise par l’opposition entre les partisans nationalistes qui pensent le rétablissement de la dynastie davidique et les courants laïques et sacerdotaux qui veulent constituer la nouvelle orthodoxie»: la publication de la Torah par ces derniers est «un reflet dépolitisé de la dyarchie laïco-sacerdotale qui résiste aux attentes d’un messie qui réaliserait l’indépendance politique du peuple»23. L’époque hellénistique, plus précisément la période autour de l’insurrection macabéenne, marque la naissance des divers courants du messianisme eschatologique.

L’opinion est partagée par P. Piovanelli24 qui, en examinant certains passages de la littérature biblique «tardive» (Dn 7; 1M 2; 14; Jr 3325, etc.), conclut que le messianisme juif, en tant qu’attente de leaders eschatologiques légitimes, envoyés ou suscités par Dieu pour apporter le salut à ses justes, est né de la réinterprétation

21 J. J. Collins, «Messiah, Jewish», p. 59-66. G. Puente propose que le peuple hébreu a repris la version mésopotamienne, modifiée en vertu de l’idée du chef propre à un peuple semi-nomade. En Égypte, le Pharaon est considéré comme un vrai dieu; mais en Mésopotamie, le roi est seulement un homme doué de qualités divines dès le moment de sa conception. Dans ce sens, le roi n’est pas un dieu par nature, mais il est plus qu’un homme. Voir G. Puente, Messianisme et idéologie, Paris: Librairie philosophique J. Vrin, 1983, p. 53.

22 T. Römer, «Origine des messianismes juif et chrétien, transformation de l’idéologie royale», dans

Messianismes: variations sur une figure juive, p. 13-29. L’auteur lit l’origine des messianismes du judaïsme

ancien à partir d’un paradigme fourni par la sociologie d’inspiration wébérienne, selon laquelle il y a trois attitudes principales qui caractérisent les réactions intellectuelles face à la situation de crise: l’attitude utopique (dite du prophète), l’attitude nostalgique (dite du prêtre) et l’attitude analytique (dite du mandarin). Ces trois réactions permettent d’analyser les grands courants du peuple hébreu face au drame national de l’exil babylonien. Dans les espoirs de la restauration de la royauté davidique, on retrouve les thèmes traditionnels de l’idéologie royale et ses traits liés à l’avènement du roi parfait et idéal. Les «démocralisations» de l’idéologie royale présentent une stratégie de rupture avec le passé: le titre messianique n’est plus directement lié à la dynastie davidique et les promesses faites à la ligné davidique peuvent se réaliser pour le peuple. Les intellectuels de l’école deutéronomiste cherchent à comprendre les raisons du drame de l’exil à travers de la «démythologisation» de l’idéologie royale. «Ces trois courants, caractérisant chacun une des trois attitudes vis-à-vis du messianisme à l’époque de l’exil babylonien, s’affirmeront à l’époque perse» (p. 22).

23 T. Römer, «Origine des messianismes juif et chrétien», p. 24.

24 P. Piovanelli précise que c’est à l’époque de l’insurrection macabéenne et tout au long du 2e siècle av. J.-C. que furent jetées les fondations idéologiques sur l’identité et les rôles des différents agents messianiques. Voir «Les figures… », p. 30-59.

25 Selon l’auteur il s’agit d’une deuxième édition «longue» du livre de Jérémie datée au temps des premiers Asmonéens.

polémique de la propagande asmonéenne. De même, la polémique ouvre la voie à «la théorisation d’une idéologie légitimiste davidico-lévitique de type inédit, eschatologique, mono ou bi-messianique, qui sera bientôt utilisée pour critiquer ouvertement les usurpateurs asmonéens et leurs successeurs hérodiens»26.

En examinant l’abondance des attentes messianiques, ainsi que de diverses figures de l’agent de salut eschatologique dans le judaïsme ancien (les manuscrits de Qumrân, les pseudépigraphes et les attentes dans les diasporas), H. Lichtenberger27 montre que certaines figures messianiques ne proviennent pas des milieux influencés par les scribes, telle que de la maison davidique ou des familles sacerdotales; au contraire, il s’agit de gens d’origine de la classe inférieure, qui ont obtenu le soutien de cette même classe (par ex., le tisserand Jonathan, Theudas, Simon bar Giora, etc.).

Deux alliances traditionnelles. L’espérance messianique de la période du Second Temple semble dériver de deux courants principaux parmi les grandes traditions religieuses de l’Ancien Testament. L’idée messianique juive relève d’abord d’un idéal de réhabilitation du royaume davidique, dont l’origine est sans doute à rechercher du côté de l’idéologie royale qui parait prendre naissance avec l’oracle de Nathan (2S 7, 1-17). Dans l’Ancien Testament, on espère essentiellement que la nation israélite soit une nation autonome, capable de se gouverner seule et libre de pratiquer sa propre religion. Ainsi, les actions libératrices se réalisent lors de difficultés militaires précises; c’est en sortant et en combattant à la tête des Israélites que le roi sauve des puissances étrangères. Dieu a

26 P. Piovanelli, «Les figures...», p. 30-59. Piovanelli conclut qu’une théorisation de divers messianismes se développe du 1er siècle av. J.-C., «déplaçant progressivement l’accent de l’institution sacerdotale à l’institution royale et transformant un programme de recherche de structures sociales et religieuses de remplacement en une négation totales de ces mêmes structures qui, sous couvert de théocratie radicale, frôle presque l’anarchie» (p. 54). L’auteur reprend les catégories dualistes développées par G. Scholem, et propose qu’au lendemain de la destruction de Jérusalem, les nouveaux théoriciens du messianisme juif ont eu tendance à souligner davantage l’aspect utopique de cette idéologie que ses aspects purement restaurateurs (p. 55). Cette conclusion rejoint en quelque sorte notre hypothèse qu’avec le déclin de la royauté et du temple, les membres de la communauté qumranienne auraient commencé à projeter l’âge messianique dans un futur qu’ils ont investi de motifs apocalyptiques sur l’instauration d’un certain royaume céleste.

27 H. Lichtenberger, «Messianic Expectations and Messianic Figures in the Second Temple Period», in J. H. Charlesworth, H. Lichtenberger and G. S. Oegema (eds), Qumran-messianism: Studies on the Messianic

donné à son peuple un oint à travers lequel il poursuit sa lutte contre le mal, jusqu’au triomphe final de sa justice28.

On constate que l’exaltation messianique du pouvoir royal s’est développée surtout dans le milieu des prophètes. L’interprétation messianique est généralement acceptée pour Mi 5, 1-3, Is 9,1-6; 11, 1-5, qui paraissent envisager une crise dans la maison davidique et dès lors un nouveau départ à partir d’un descendant idéal. Bien que fortement déçu par les derniers rois judéens, Jérémie ne renonça pas à l’espérance messianique, comme on peut le voir en Jr 23, 5-6 et 33, 15. De plus, le prophète en Exil, Ézéchiel, paraît entrevoir une restauration de la monarchie, et annoncer la venue d’un nouveau David en 34, 23-24 et 37, 22-25.

A. Caquot affirme que le messianisme royal a subi une éclipse durant les années qui suivirent la déportation babylonienne29. À l’époque post-exilique, la Judée constituait un district autonome (le Yehud) de la province ou «satrapie» de Transeuphratène au sein du grand empire perse, donc rétablir la royauté en Judée est impossible à vue humaine et nécessiterait une intervention divine eschatologique. Les réformes d’Esdras et de Néhémie étaient en place vers 400 av. J.-C.; dès lors le Yehud devenait une théocratie dirigée essentiellement par des prêtres. Dans les Chroniques, la dynastie davidique s’effacerait derrière l’importance accordée par l’hagiographe au Temple: l’alliance royale est explicitement liée à la reconstruction du Temple. L’importance réduite du messianisme royal dans les derniers livres bibliques est confirmée par le témoignage des livres apocryphes, du moins dans la mesure où ce témoignage nous est conservé30.

Passons maintenant au courant sacerdotal. Si la prophétie de Nathan liait l’alliance davidique à la reconstruction du Premier Temple, le texte fondateur de l’alliance sacerdotale est à rechercher dans les récits de la construction du Second Temple. La réinstallation de la communauté juive en Palestine et la reconstruction du Temple à Jérusalem assurèrent une certaine continuité entre les périodes du premier et du deuxième Temple: les prêtres et leur hiérarchie auraient revêtu une importance plus

28 É. Beaucamp, «Salut selon la Bible dans l’Ancien Testament», Supplément au Dictionnaire de la Bible IX, Paris: Letouzey et Ané, 1991, p. 544-545.

29 A. Caquot, «Le judaïsme depuis la captivité de Babylone jusqu’à la révolte de Bar Kokheba», dans H.-C. Puech (dir), Histoire des religions (Tome II), Paris: Gallimard, 1972, p. 114-184.

30 J. Coppens, Le Messianisme royal. Ses origines, développement, son accomplissement (Lectio Divina 54), Paris: Cerf, 1969.

grande dans la société post-exilique. La direction sacerdotale a sans doute joué un rôle majeur dans la compilation et la propagation des premières formes du corpus biblique.

Le messianisme sacerdotal se fonde sur la conception d’une alliance sacerdotale: au livre des Nombres (25,12-13), Dieu donne au prêtre Pinhas, petit-fils d’Aaron, «son alliance de paix» et à sa descendance une alliance éternelle. Les prophètes de la période post-exilique, comme Aggée et Zacharie, lient la restauration des davidides à la reconstruction du Temple. Les chapitres 3-4 du livre de Zacharie tendent à promouvoir l’ascension du sacerdoce. Le livre de Malachie rappelle aussi l’alliance héréditaire «de vie et de paix» passée entre Dieu et Lévi, l’ancêtre sacerdotal (Mal 2,4-7). Néhémie évoque encore l’ «alliance sacerdotale et lévitique» qu’il affirme avoir protégée de la souillure en chassant de la Ville sainte le petit-fils d’un Grand Prêtre marié avec la fille d’un gouverneur samaritain (Né 13,28-30). Enfin le Siracide rappelle l’ «alliance de paix» héréditaire avec le prêtre Phinéas, «de sorte qu’à lui et sa descendance appartienne à jamais l’office de grand prêtre» (Sir 45, 23-24). Le texte mentionne l’alliance de David pour préciser que l’héritage du roi passe d’un fils à un fils tandis que l’héritage d’Aaron passe à toute sa descendance. En d’autres mots, en insistant plus sur le fait que le sacerdoce va se perpétuer que sur le rétablissement de la dynastie davidique, le Siracide semble attribuer une pérennité non à la dynastie davidique, mais uniquement à la grande œuvre des deux premiers davidides, à savoir l’organisation du culte et l’édification du sanctuaire de Yahvé à Jérusalem.

Si, au fur et à mesure que nous nous rapprochons de l’ère chrétienne, les témoignages littéraires sur le messianisme royal se font moins nombreux, les prophéties bibliques et les apocryphes attestent d’un état de l’idéologie sacerdotale qui s’est développée et spiritualisée depuis l’institution du titre héréditaire de Grand Prêtre à l’époque des Achéménides. Il semble que, pendant cette période, la théologie juive est plus préoccupée par la question du sacerdoce que par la nostalgie d’une royauté éteinte depuis longtemps. Selon cette théologie, l’alliance sacerdotale garantit les promesses faites à la lignée royale, qui ne prendront effet qu’à l’eschaton, envisagé comme le jour du Seigneur. Ce déplacement d’accent se traduit par l’onction royale conférée désormais au Grand Prêtre, selon le modèle référentiel non de David, mais d’Aaron (Ex 29,7; Lv 8,12), avant d’être le lot commun de tout le sacerdoce (Ex 28,41; Lv 7,36).