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Le principe de la Haute Autorité : la non-intervention dans le domaine fiscal

II La fixation des règles fiscales de la CECA

B. Le refus de l’introduction de la TVA 1 L’intervention de Pierre Uri sur la TVA

2. Le principe de la Haute Autorité : la non-intervention dans le domaine fiscal

Tandis que la division Économie prouve pour la première fois des avantages de l’introduction d’une TVA dans le Marché Commun, en pratique, ses études n’apportent aucun résultat. Le comité des taxes achève les « thèses » le 18 juin 1955. Concernant la diversité dans le système de la taxe sur le chiffre d’affaires entre les États membres, le comité des taxes « se réserve de préparer un avis121 » étant donné que sans connaître « les effets de distorsions » produits par produits selon tous les éléments des coûts, « il est impossible de dire a priori dans quelle mesure la concurrence est faussée122 » et « l’existence de systèmes fiscaux différents ne suffit [...] pas par elle seule pour que l’on puisse conclure à une distorsion dans les conditions de la concurrence123 ». Le défi de Pierre Uri se révèle donc être un échec. Quelles sont donc les causes de cet échec ?

120 Idem, p. 6. 121 Idem. 122 Idem, p. 2. 123 Idem, p. 3.

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Pierre Uri affirme qu’il a réussi à persuader ses collègues allemands de la Haute Autorité que « la TVA est quand même mieux124 » pour le bon fonctionnement du Marché Commun du charbon et de l’acier. Cependant, un accord aussi simple au niveau des administrateurs de la Haute Autorité entre la France et la RFA ne parvient pas à changer immédiatement l’avis des administrateurs des États membres qui se chargent depuis longtemps des dossiers fiscaux de leur pays.

L’épisode suivant explique la difficulté d’aborder les questions fiscales au sein de la CECA. En effet, en réponse à la conclusion de l’étude de la division Économie élaborée dans le cadre du comité des taxes en juin 1954, qui présentent les avantages du système de TVA, le gouvernement allemand ne manque pas de sonner l’alarme. Le 17 décembre 1955, quelques jours avant une réunion du comité des taxes, le directeur du ministère fédéral des Finances allemand manifeste dans sa note et auprès de la Haute Autorité son mécontentement. Pour lui, il n’est pas acceptable qu’une division de la Haute Autorité se prononce sur « le meilleur système de taxe sur le chiffre d’affaires ». Une telle proclamation dépasse, selon lui, la compétence du Comité :

« Quant aux conclusions figurant dans la note de la Haute Autorité [...] en ce qui concerne le caractère de la taxe à la valeur ajoutée, elles dépassent largement à notre avis la question [...] posée à la Commission. Elles constituent un point de vue déterminé nettement précisé en réponse à la question de savoir quel est, en termes généraux, le meilleur système de taxe sur le chiffre d’affaires. À notre avis, ce problème ne peut encore être traité à fond dans le cadre de la question limitée qui a été posée, ni d’autant moins faire l’objet d’une décision de la Commission125».

Le ministère allemand des Finances refuse donc d’« entrer dans les détails de la controverse théorique » lors du débat au sein du comité des taxes126. Conformément à ses souhaits, le sujet relatif au « meilleur système de la taxe sur le chiffre d’affaires » n’est pas abordé lors de la réunion se tenant le 21 décembre 1955.

124 Archives historiques de l’Union Européenne, l’entretien personnel de Pierre Uri précité.

125 CAEF, B-58850, Remarques complémentaires sur la question 4, préparées dans le ministère

Fédéral des Finances allemand, datées du 17 décembre 1955, signé par W. Mersmann (directeur du ministère fédéral des Finances), p. 2.

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Ainsi, l’idée de non-intervention de la Haute Autorité dans le domaine de la fiscalité est, comme le montre le ministère fédéral des Finances, fortement partagée dans les États membres. Il est donc impossible d’avancer le débat sur ce sujet dans le cadre de la CECA. Dans tous les cas, contrairement aux inquiétudes du gouvernement de la RFA, la Haute Autorité n’a plus d’intérêt à avancer le sujet du « meilleur système de la taxe sur le chiffre d’affaires ». En effet, après avoir achevé sa note en juin 1954, la Haute Autorité commence à traiter d’un autre sujet relatif aux impôts touchant les investissements qui apparaît alors comme plus urgent dans les discussions127.

La mise en œuvre de la CECA témoigne que les impôts indirects ont rapport au libre-échange que suppose le Marché Commun. Les deux questions posées sur le choix entre le principe du pays de destination et celui du pays d’origine et le système de taxe sur le chiffre d’affaires sont imbriquées. En effet, le système de taxe sur le chiffre d’affaires est mis en question lorsque l’on décide le principe du pays de destination.

Pierre Uri contribue aux études effectuées par la division Économie portant sur le choix de taxes sur le chiffre d’affaires pour les États membres. Sans sa présence, la proposition de la TVA à ce stade n’aurait pas vu le jour. L’idée du nouveau système fiscal français est apportée dans la Haute Autorité au travers de Pierre Uri puis transmise aux administrateurs fiscaux des États membres au travers du comité des taxes. Cette idée ne sera finalement pas adoptée. Il est curieux que la division Économie propose l’application de la TVA jusqu’au stade du commerce de détail qui n’est pas encore réalisée en France en raison de la difficulté technique dans l’administration ainsi que de l’opposition des milieux128 . En ce sens, nous pouvons déjà trouver le prototype de la TVA commune européenne introduite en 1967. En tous les cas, ces deux sujets majeurs nécessaire à la bonne tenue d’un débat sur l’harmonisation des taxes sur le chiffre d’affaires en Europe apparaissent ainsi.

Pourtant, nous ne pouvons pas nier le fait qu’en matière fiscale, la Haute Autorité maintient le statu quo : il est décidé que le principe du pays de destination « imparfait » est maintenu et il n’est pas demandé aux États membres d’écarter les taxes sur le chiffre d’affaires en cascade malgré la difficulté dans le calcul des taxes compensatoires et des ristournes. Dans le cadre de l’intégration économique sectorielle, comme montre

127 Idem, Projet de sommaire des conclusions de la première réunion tenue le 21 décembre 1955,

comité mixte Haute Autorité-Conseil, Commission « incidence des impôts sur les investissements ».

128 Idem, Note sur la question 4 posée au comité des taxes, préparée par la division Économique de la

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l’opposition des administrateurs allemands, il n’existe pas encore le consensus parmi les États membres visant à entamer les questions fiscales dans un but d’intérêt communautaire. À ce stade, les questions fiscales demeurent une affaire exclusivement gouvernementale.

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