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La position favorable de l’administration fiscale française

III Le fossé entre la Commission et les États membres

B. La prémière réunion du Groupe de Travail N°

3. La position favorable de l’administration fiscale française

Quelle est la prise de position du gouvernement français ? Entre temps, son attitude vis-à-vis de la politique fiscale européenne se modifie : il exprime son opposition contre le principe du pays d’origine que souhaitent la Commission et l’Allemagne. Effectivement, lors de la première réunion des experts en juin 1959, la direction générale des Impôts française ne s’est pas mêlée du débat. C’est le SGCI qui a mené la discussion et c’est la raison pour laquelle la délégation française à Bruxelles ne s’oppose pas nettement à la proposition de la suppression des frontières fiscales.

La délégation française assume donc son rôle et tente de persuader ses partenaires de passer à un système de taxes non cumulatives en leur montrant sa propre expérience :

« (La délégation française) comprend les appréhensions des autres délégations qui hésitent à changer de système et qui ne voudraient que perfectionner les techniques des calculs des ristournes et des droits compensatoires [...] cependant, elle a réussi à transformer en quelques dizaines d’années son système de taxes à cascade original en système actuel de TVA ce qui montre que les difficultés pour passer d’un système à un autre ne sont pas insurmontables140 ».

Pourtant, la France pense qu’il n’est pas recommandé que ses partenaires adoptent « dans l’immédiat » le système de la TVA dans la mesure où son maniement est des plus complexe141 . Effectivement, elle n’estime pas que l’harmonisation doive nécessairement prendre la forme de l’extension de la TVA. Les administrateurs français jugent ainsi difficile que leurs partenaires adoptent le système de la TVA en raison de sa complexité administrative. Pour les Français, l’élimination du système en cascade de ses partenaires est prioritaire. Elle ne pousse pas nécessairement à l’introduction de la TVA des États membres :

« La délégation française pense que si on pouvait accepter un système commun, par exemple une taxe à la production à paiement fractionné, système qui n’est pas très éloigné des systèmes existant actuellement dans les pays du Marché Commun, on éliminerait le problème des distorsions résultant de la longueur du circuit, et on résoudrait le

140 Idem, p. 6.

141 ANF, 19900580/20, procès-verbal de la réunion du 23 octobre 1959, la réunion préparatoire dans

124 problème des frontières fiscales142 ».

Alors que la France ne recommande pas la TVA à ses partenaires, elle s’attache fortement à l’avantage dont elle bénéficie grâce à son système de TVA. Avec la TVA, la France peut en effet « dégager les produits exportés presque complètement d’une taxation chez [elle] prépondérante143 ». C’est pour cette raison que la France rejette la thèse de la taxation dans le pays d’origine pourtant demandée par l’Allemagne. Avec l’instauration du principe du pays d’origine, la France ne pourrait plus bénéficier de l’avantage que représente la TVA. La délégation française souhaite donc naturellement retarder le plus possible le passage au principe du pays d’origine. De ce fait, elle gêne l’Allemagne par des demandes assez déraisonnables.

« Il convient d’observer que ce système [le principe du pays d’origine] suppose que le problème de l’harmonisation est résolu préalablement, c’est-à-dire que les structures et l’incidence des dépenses et des recettes de l’État sont devenues comparables. Sinon malgré une égalité de pression fiscale globale, des distorsions par branches pourraient subsister144».

Pour la RFA, l’objectif de l’harmonisation des taxes sur le chiffre d’affaires au sein de la Communauté doit être la suppression des frontières fiscales. Autrement dit, la RFA est d’accord pour l’harmonisation des taxes sur le chiffre d’affaires en vue de supprimer les frontières fiscales, mais pas afin d’écarter les inconvénients du système en cascade. Ainsi, le conflit entre les deux pays sur ce sujet continue.

Or, si les États membres acceptent l’idée d’une harmonisation des taxes sur le chiffre d’affaires en vue de la suppression des frontières fiscales, il convient d’harmoniser non seulement le système de la taxe sur le chiffre d’affaires mais également ses taux et son assiette. Eventuellement, il faudrait aussi rapprocher la part des taxes directes et indirectes dans chaque pays. Cette orientation risquerait alors de causer la diminution des recettes fiscales en France.

Par rapport à ses partenaires, voire même aux autres pays industriels de l’époque, la France possède une structure fiscale fortement dépendante des taxes indirectes (Graphique 1). C’est avant tout la taxe générale sur le chiffre d’affaires qui représente la plus importante part de son revenu fiscal (Tableau 2).

142 ANF, 19900580/53, procès-verbal précité de la première réunion du Groupe de Travail N° 1, daté

du 17 novembre 1959, p. 10

143 ANF, 19900580/20, procès-verbal précité de la réunion du 23 octobre 1959. 144 Idem.

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Graphe 1 La composition fiscale entre les impôts directs et indirects

(Source) Pour le Luxembourg et la Belgique les donées sont de l’année 1959, La

Commission de la CEE, Rapport du Comité Fiscal et Financier, 1962, p. 25. Le reste des pays en 1961, Richard A. Musgrave, Fiscal Systems, New Haven and London: Yale University Press, 1969, p. 25.

Tableau 2 Structure perçue par l’État, éventuellement les États de la fédération et les autres organismes publics dans les pays de la CEE (1959)

Allemagne

Fédérale France Belgique Pays-Bas Italie Luxembourg Impôt sur le revenu et la fortune 50,6 (23,0) (8,4) 34,8 (13,7) (9,7) 41,2 (34,2*) 56,2 (38,8) (13,5) 27,4 (20,0) (3,0) 62,8 (30,5) (15,8) Impôt sur l’accroissement de la fortune et surles mouvements de capitaux 2,8 5,5 6,0 3,8 7,0 2,3 Impôt sur l’utilisation des revenus 46,6 (25,3) 59,7 (34,7) 52,8 (29,1) 40,0 (19,0) 65,6 (20,4) 34,9 (16,2) (Source) « Rapport du Comité Fiscal et Financier », p. 25.

Étant donné que ses partenaires ont des taux de taxes sur le chiffre d’affaires moins élevé que la France, le principe du pays d’origine signifie, pour la France, une baisse des taux afin de ne pas faire peser une charge fiscale trop lourde sur ses produits exportés. La baisse des recettes de TVA nécessiterait une hausse probable des impôts

0% 10% 20% 30% 40% 50% 60% 70% 80% 90% 100% impôts indirects impôts directs

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directs, synonyme de transferts de charges entre les contribuables et de probables mouvements de mécontentement. D’ailleurs, en général, l’impôt sur le revenu qui impose les individus n’est pas bien accepté par les Français, bien que cet impôt se développe rapidement pendant et après la deuxième guerre mondiale dans les pays industriels comme aux États-Unis, en Allemagne ou au Japon, grâce à sa justice fiscale verticale qui permet la redistribution du revenu national et son élasticité vis-à-vis de la conjoncture économique. La France n’a pourtant pas réussi à instituer un impôt progressif sur le revenu intégré malgré les efforts du gouvernement pendant l’année 1959. Le gouvernement français fait depuis longtemps attention plutôt à la neutralité qu’à la répartition du revenu dans la politique fiscale. Quant à la répartition du revenu, c’est la sécurité sociale qui assume principalement ce rôle. Une telle idée est manifestée dans les travaux de la Commission de Fiscalité du Vème Plan en 1961145. La délégation française conclut que la France ne doit « pas accepter d’harmoniser les systèmes, puis d’aligner les taux : cette proposition est trop rigide146 ».

L’opposition entre la RFA et la France est donc très nette. D’une part, alors que la France vise la suppression du système en cascade à travers l’harmonisation des taxes sur le chiffre d’affaires, la RFA ne donne pas son adhésion à cet avis. D’autre part, alors que la RFA considère que le but final de l’harmonisation des taxes sur le chiffre d’affaires est la suppression des frontières fiscales présupposant une harmonisation plus avancée, la France écarte cette hypothèse voire même s’y oppose. Le débat sur l’harmonisation des taxes sur le chiffre d’affaires se déroule donc avec une réelle opposition structurelle des deux pays principaux de la Communauté.

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