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Le maintien du statu quo : le principe du pays de destination imparfait et les taxes sur le chiffre d’affaires en cascade

II La fixation des règles fiscales de la CECA

A. Le maintien du statu quo : le principe du pays de destination imparfait et les taxes sur le chiffre d’affaires en cascade

1. La préparation des « thèses » pour un accord avec les Allemands : le consentement pour le principe du pays de destination

Juste après que la Commission Tinbergen remet son rapport, la Haute Autorité prend une décision définissant les pratiques discriminatoires comme le propose la Commission Tinbergen. Or, Pierre Uri pense qu’une simple décision au niveau de la Haute Autorité ne suffit pas : il propose donc de « formaliser l’accord avec les Allemands » en ce qui concerne le principe du pays de destination pour la taxe sur le chiffre d’affaires.

104 Dans le rapport, il est proposé : « au cours de ses travaux, la Commission a rencontré des questions

qui se sont révélées importantes pour le problème à étudier. Ce fut notamment le cas pour la différence entre les types d’impôts sur le chiffre d’affaires, en France, d’une part, et dans les autres pays de la Communauté, d’autre part. Le système français diffère des autres systèmes dans son principe : impôt sur la valeur ajoutée, au lieu d’impôt en cascade ; en outre, le mode de perception appliqué en France a des conséquences qui méritent d’être signalées. Bien que l’Arrêté instituant la Commission ne fasse pas explicitement mention de telles questions, la Commission a estimé qu’elle devait procéder à une analyse qui aidait à mieux préciser encore les situations qu’elle avait mission d’éclaircir ». [Haute Autorité de la CECA, Rapport sur les..., op. cit., p. 11].

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Dans ce cadre, la Haute Autorité décide d’examiner immédiatement, avec les gouvernements intéressés, l’effet sur les industries du charbon et de l’acier des dispositions relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires, en vue d’améliorer le système d’exonération et de compensation actuellement en vigueur. La question principalement posée est que la taxe sur le chiffre d’affaires en cascade pratiquée par les États membres ne permet pas le calcul exact des exonérations et des compensations dans le cadre le principe du pays de destination partiel que propose la Commission Tinbergen.

À ce propos, dans la lettre que la Haute Autorité adresse aux gouvernements le 1 mai 1953, elle demande que cet examen soit conduit dans le plus bref délai et qu’il soit terminé au plus tard le 31 décembre 1953106. C’est dans ce cadre, en juillet 1953, que la Haute Autorité institue le « comité des taxes ». Les membres se composent de délégations des États membres et d’administrateurs de la Haute Autorité, notamment ceux de la division Économie dont le premier directeur n’est autre que Pierre Uri107.

Le programme de travail du Comité est composé de quatre questions à envisager. De façon générale, ces quatre questions ont trait aux problèmes relatifs aux ajustements des taxes à la frontières108. Après deux ans d’études, le comité des taxes parvient à établir un rapport intitulé « thèses générales sur l’incidence de systèmes fiscaux différents sur les échanges entre États, et en particulier sur les échanges des produits du marché commun109 ». Elles sont arrêtées à l’unanimité par les délégations gouvernementales le 18 juin 1955110.

Alors que les thèses réussissent à représenter un accord officiel sur la question de la « querelle fiscale » entre la France et la RFA, le Comité n’arrive toujours pas à trouver une alternative aux propositions de la Commission Tinbergen. Il se limite donc à donner son adhésion au principe du pays de destination partiel et ne met pas en cause le système de taxe sur le chiffre d’affaires en cascade. Pour le Comité, de modifier de la réglementation actuelle des exonérations et ristournes n’est « opportun ni nécessaire111 »

106 Haute Autorité, « Rapport spécial sur l’établissement du marché commun de l’acier », supplément

au rapport général sur l’activité de la communauté, mai 1953, Service des publications des Communautés européennes, p. 47.

107 La division économie (puis la division économie générale) et la division ententes et concentrations

sont créées le 1er octobre 1952. À la tête de la première, Jean Monnet place l’un de ses proches collaborateurs, Pierre Uri, qui devient le coordinateur général des services de la Haute Autorité.

108 Cf. annexe n°6, Programme du travail.

109 Les réunions du comité des taxes se tiennent les 19 et 20 juillet 1954, le 29 avril 1955 et le 17 juin

1955. [CECA, B-58850, « Résolution du comité des taxes », datée du 18 juin 1955].

110 CAEF, B-58850, Thèses générales sur l’incidence de systèmes fiscaux différents sur les échanges

entre États, et en particulier sur les échanges des produits du marché commun, préparées par le comité des taxes, datées le 18 juin 1955.

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puisqu’il n’y a « dans aucun pays des perturbations résultant de la situation présente de la réglementation de l’impôt sur le chiffre d’affaires112 ». Les taxes en cascade des États membres restent donc intactes.

2. Les avantages de la TVA

Il ne s’agit pas là d’une véritable intention de Pierre Uri. Ce dernier comprend que le principe du pays de destination partiel ne convient pas au fonctionnement du Marché Commun dans la mesure où les États membres, à l’exception de la France, gardent le système de taxe en cascade sur le chiffre d’affaires. Si les États membres adoptent le principe du pays de destination partiel dans le Marché Commun, il faut qu’ils écartent le système de taxe sur le chiffre d’affaires cumulatif : il s’agit soit de la taxe unique à une seule étape comme par exemple une taxe à la production ou une taxe à la vente de gros ou à la vente de détail, soit d’une taxe sur la valeur ajoutée comme la TVA. La TVA est un impôt sur le chiffre d’affaires à plusieurs étapes qui ne pose pas de problème de calcul du montant de l’exonération pour l’exportation dans la mesure où cette taxe permet d’écarter l’effet cumulatif des impôts dans le prix des produits grâce à son mécanisme de déduction d’impôt pour les achats dans le passé. C’est la raison pour laquelle, même dans le système « imparfait » du réajustement des taxes aux frontières, à savoir le réajustement uniquement à la dernière étape prévue par la Commission Tinbergen, le montant d’un impôt payé par un exportateur est évident. Cela permet de calculer avec exactitude le montant du remboursement pour l’exportation.

Le système de TVA est graduellement développé en France et créée en avril 1954. Le nouveau système introduit en France est le suivant. Pendant et après la Première Guerre mondiale, les taxes sur le chiffre d’affaires modernes sont néées dans les différents pays européens afin de financer les besoins de l’État. En France, à la place de la taxe éphémère sur les paiements, la taxe sur le chiffre d’affaires « à cascade » est créée en 1920 suivant l’introduction de la même taxe en Allemagne en 1916. Cette taxe est un impôt qui frappe la valeur d’un service ou d’un produit à chaque transaction. Dans les faits, cet impôt présente un caractère cumulatif dans le montant de l’imposition en proportion au nombre de transactions.

Cette nouvelle imposition provoque immédiatement une opposition chez les artisans ainsi que les commerçants qui prennent principalement la charge de cet impôt. Ils s’irritent également du moyen de perception de cette taxe jugée « inquisitoriale113 ». À l’époque en France, leur influence politique n’est pas négligeable. Leur opposition

112 Idem.

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vivante amène donc les taxes indirectes françaises à « exonérer les petits mais taxer les gros114 ».

La première vague se produit en 1925. Le gouvernement français crée une quarantaine de taxes uniques dépourvues de tout caractère cumulatif, parallèlement à la taxe sur le chiffre d’affaires cumulative. Au début, par le biais de l’introduction des taxes uniques, l’autorité française vise la simplification de l’administration. Pourtant, contrairement à son attente, le système devient plus complexe et la fraude fiscale se multiplie.

La deuxième vague se produit en 1936. Une nouvelle taxe qui applique ce mécanisme est créée : il s’agit d’une taxe à la production. Avec ce système, alors qu’il est possible d’éviter l’effet cumulatif des taxes sur les matériaux premiers, l’effet cumulatif des impôts pour les frais des investissements et les achats des fournitures indirectes diminue. Après la Deuxième Guerre mondiale, l’administration fiscale française affronte d’abord ce problème en introduisant des « payements fractionnés » en 1948. La réforme fiscale historique en avril 1954 pour créer la TVA s’inspire évidement de ce nouveau mécanisme de perception « payements fractionnés ». À l’initiative d’un haut fonctionnaire de la direction générale des Impôts, Maurice Lauré, la France introduit la TVA à la place de la taxe à la production. Cette nouvelle taxe est appliquée à toutes les étapes, sauf dans le cas des commerces détaillants, avec le système des paiements fractionnés. Les agriculteurs sont également exonérés. Ce nouveau système permet d’éviter l’effet cumulatif des taxes non seulement pour les matériaux premiers mais également pour les investissements et les frais généraux. Bien entendu, cette réforme vise à améliorer la productivité des entreprises françaises qui est considérée comme inférieure à celle de son pays voisin : la RFA.

Cette nouvelle taxe appelée TVA correspond à une taxe sur la consommation. Comme le Tableau 5 le démontre, elle est, en théorie, équivalente à la taxe sur la vente au détail, à condition que l’on estime qu’un vendeur puisse rejeter le montant total de la taxe sur un acheteur115. En assistant une telle évolution dynamique du système de taxe sur le

114 Georges Égret, La TVA, op. cit., p. 10.

115 Le Tableau 4 démontre son mécanisme en comparaison avec la taxe unique perçue au stade du

commerce de détail. Supposons qu’un producteur vende un produit à 100 F à un commerçant de gros. Ce commerçant de gros vend à 200 F au commerçant de détail qui à son tour vend au consommateur à 300 F et le taux de la TVA est à 10 %. Le producteur réclame 10 F (100 x 0,1) au commerçant de gros et le paie au fisc. A l’étape suivante, le commerçant de gros réclame 20 F (200 x 0,1) auprès du commerçant de détail mais le grossiste en retranche 10 F déjà réclamé à l’étape précédente et paie donc 10 F au fisc. De même, à la dernière étape, le commerçant de détail demande 30 F (300 x 0,1) au consommateur mais le détaillant en retranche 20 F et paie 10 F au fisc. Ainsi, la TVA est calculée à chaque stade avec les prix hors taxe et celle-ci permet de calculer précisément les montants de la ristourne et de la taxe compensatrice.

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chiffre d’affaires, les hauts fonctionnaires et plus particulièrement ceux présents dans l’administration fiscale en France, sont au courant de la théorie et du mécanisme de ce système fiscal. À leurs yeux, il devient donc évident que tous les types de taxes sur le chiffre d’affaires tiennent de la taxe de consommation.

Tableau 5 Le mécanisme de la TVA et la taxe unique au stade de détail Les chiffres d’affaires Taxe au stade du commerce de détail TVA

Paiements Réclamation La déduction Paiements fractionnés I 100 F 0 F 10 F 0 F 10 F II 200 F 0 F 20 F 10 F 10 F III 300 F 30 F 30 F 20 F 10 F Taxe totale - 30 F - - 30 F

(Source) Naohiko Jinno, Finances Publiques, édition revue, Tôkyô : Yûhikaku, 2009, p. 205. [神野直彦『財政学(改訂版)』有斐閣、2007 年、205 頁]

B. Le refus de l’introduction de la TVA

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