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Le document de travail du Groupe de Travail N°

III Le fossé entre la Commission et les États membres

A. Le document de travail du Groupe de Travail N°

Lors de la première réunion des experts fiscaux en juin, la Commission présente seulement la possibilité de l’harmonisation des taxes sur le chiffre d’affaires mais elle n’explique pas comment les harmoniser. Après les vacances d’été, la situation change. Au nom de la Commission, le Groupe de Travail N°1 (GT1) propose les systèmes fiscaux concrets à examiner dans son document de travail.

Elle propose trois types de taxe sur le chiffre d’affaires à envisager : 1) la taxation uniquement au stade de la commercialisation (la taxe sur la vente en gros) ; 2) une taxe commune perçue au stade de la production combinée avec une taxe autonome perçue au stade de la commercialisation (la taxe sur la production + la taxe sur la vente en gros)112 ;

110 Il semble qu’Antoine Pinay et la direction générale des Impôts n’échangent pas souvent d’avis en

ce qui concerne la politique fiscale en Europe.

111 Pierre Guieu, « La Commission européenne et l’harmonisation fiscale », op. cit., p. 58.

112 ANF, 19900580/53, document de travail pour la première réunion du Groupe de Travail No.1, daté

du 28 septembre 1959, p. 5. Les membres du Groupe de Travail sont en faveur de la taxation à un seul stade : « si l’on pouvait réaliser une harmonisation au terme de laquelle les pays partenaires adopteraient des systèmes ayant comme élément commun la taxation des marchandises uniquement à un stade qui se trouve, en ce qui concerne les échanges internationaux, en général, après le franchissement de la frontière, la plupart des inconvénients de la situation actuelle seraient éliminés. Une telle solution présenterait en outre le grand avantage qu’elle permettrait de maintenir pour une grande partie la souveraineté des États-membres dans le domaine de la taxation du chiffre d’affaires

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et 3) une taxe sur la valeur ajoutée commune (la TVA)113. Ces trois systèmes permettent de lever les obstacles en vigueur :

« a) Il est impossible de calculer, dans le cadre des taxes à cascade, le montant exact des ristournes à l’exportation et des taxes compensatoires à l’importation. L’application de taux moyens ne peut pas être considérée comme une solution qui réponde aux conditions nécessaires du Marché Commun. En effet, l’existence de taux moyens ne permet pas d’éliminer les distorsions portant atteinte à une libre et saine concurrence.

b) Les systèmes actuellement en vigueur nécessitent le maintien de frontières fiscales entre les Pays-membres ce qui ne semble guère compatible avec la notion même de libre circulation des produits, de marché commun et de communauté économique.

c) L’encouragement artificiel à l’intégration et à la concentration d’entreprises que donnent les systèmes des taxes à cascade ne constitue pas seulement un grave inconvénient sur le plan national, mais aussi dans le cadre du Marché Commun. On doit dès maintenant le considérer comme peu compatible avec les conditions nécessaires au bon fonctionnement du Marché Commun.

d) Il est bien évident qu’au fur et à mesure de la réalisation des objectifs économiques et sociaux du Traité, la coordination des politiques fiscales deviendra plus facile. Si dès maintenant en pouvait par exemple commencer à introduire progressivement dans les 6 pays, des systèmes de taxe sur le chiffre d’affaires ayant tous la même structure et appliquant les mêmes principes, il semble qu’il ne serait pas trop difficile de faire disparaître ultérieurement dès que la situation financière, économique et sociale le permettrait, les différences qui pourraient encore subsister et d’arriver à l’unification des taux114».

Par rapport à la réunion des experts en juin, la prise de position de la direction C vis-à-vis de l’harmonisation fiscale est plus clairement expliquée. Comme le montre le point d), elle envisage l’harmonisation des taxes sur le chiffre d’affaires en vue de la

qui joue précisément un rôle très important dans la politique fiscale nationale ».

113 Plus tard, ces trois hypothèses seront réorganisées en forme de sous-groupes d’études A, B et C. 114 Idem, p. 5.

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future harmonisation des politiques fiscales des États membres. D’ailleurs, il faut les harmoniser puisque « la multiplicité des régimes et les diversités d’interprétation compliquent considérablement le commerce international tant entre les Pays membres qu’entre la Communauté et les pays tiers115 », c’est la raison pour laquelle elle ne se contente pas de proposer que chaque État membre adopte simplement un des trois systèmes proposés. Il convient donc choisir un seul système commun de taxe sur le chiffre d’affaires pour tous les États membres :

« Il apparaît incontestable que dans l’optique de la création d’une véritable communauté économique, la solution idéale est l’élaboration d’un régime commun qui ne devrait pas seulement éviter tous les inconvénients [...], mais qui pourrait aussi représenter dans tous ses aspects le meileur système pour la taxation du chiffre d’affaires dans tout le territoire de la Communauté116».

En tant qu’administration de la Commission, la direction C s’efforce de faire de la fiscalité un instrument dans la construction du Marché Commun. Ses missions ne sont pas seulement d’écarter des obstacles provenant de la diversité dans le système fiscal mais également d’harmoniser la politique fiscale au sens large entre les États membres. Cela comprendrait non seulement l’harmonisation du système de la taxe sur le chiffre d’affaires en question mais également l’harmonisation de la politique fiscale comme le rapprochement du rapport entre les taxes directes et indirectes et l’harmonisation des dépenses publiques.

Or, la direction C a une préférence nette pour un système particulier. En effet, dès le démarrage de la CEE, les administrateurs fiscaux effectuent, sous la présidence du directeur de la direction C, plusieurs études et prennent officieusement des contacts. Le débat avance donc, entre autres, dans le sens de « l’extension du système français aux autres Pays117 » : il s’agit là de la TVA. En plus, Hans von der Groeben, n’est pas opposé à l’idée de la TVA. Dans sa lettre datée du 14 août 1959, il demande au représentant permanent de la France à Bruxelles, Éric de Carbonnel118, des informations plus détaillées

115 Idem. 116 Idem, p. 4-5.

117 ANF, 19900580/53, note précitée sur la réunion du mercredi 17 juin 1959, datée du 20 juin 1959,

p. 2.

118 Éric de Carbonnel est le premier représentant permanent de la France auprès de la CEE depuis

avril 1958. Georges Gorse lui succède à ce poste en novembre 1959. Éric de Carbonnel occupe également un poste de secrétaire général du ministère des affaires étrangères entre juillet 1959 et octobre 1965.

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sur l’ensemble du système fiscal de la France dont le revenu est fortement dépendant à la TVA119.

Le fait que la direction C a une préférence pour le système de la TVA est officiellement dévoilé lorsque le document de travail rédigé au sein de la direction C est distribué auprès des États membres en septembre 1959. Dans le document, elle explique de manière très détaillée l’hypothèse d’une TVA commune et aucun désavantage n’est souligné concernant ce système, alors que des avantages comme des désavantages sont présentés pour les deux autres systèmes proposés. La Commission écarte peut-être un peu légèrement tous les obstacles techniques à la généralisation de la TVA en estimant qu’elle pourrait être mis en vigueur « d’une manière très souple et progressivement120 ».

Rien d’étonnant à ce que la proposition de la direction C provoque un vif débat parmi les États membres. Effectivement, il y a une très grande tendance à ne pas choisir la TVA mais à retenir une taxe unique perçue au stade de gros, étant donné qu’elle est techniquement plus facile à adopter pour les partenaires de la France121. Ils souhaitent toujours garder leur souveraineté fiscale et craignent que leur compétence dans la politique fiscale soit érodée par la politique fiscale menée par la Commission. Plus la prise de position de la Commission devient claire et dure, plus les États membres s’y opposent.

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