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Le hiatus entre la baisse de droits de douane et le maintien des mécanismes fiscaux compensatoires

I La remise en question des réajustements des taxes aux frontières

A. L’accélération de la mise en œuvre du Marché Commun et la question sur la fiscalité

2. Le hiatus entre la baisse de droits de douane et le maintien des mécanismes fiscaux compensatoires

Dans ce contexte, la Commission ainsi que les États membres cherchent à accélérer l’abaissement des droits de douane. Deux propositions sont présentées. En septembre 1959, dans un discours au sein de la Commission, un commissaire luxembourgeois, Lambert Schaus 8 , fait allusion à la possibilité d’accélérer le désarmement des tarifs douaniers et de supprimer les quotas9. Selon l’article 14 du Traité de Rome, les États membres s’efforcent d’aboutir à ce que la réduction appliquée aux

dans Leon N. Lindberg, The political dynamics of European economic integration, Stanford: Stanford University Press, 1963, p. 170]. Selon lui, « The dynamic intensity with which big and small in all six countries has adapted its thinking and its plans to the visions of a Common Market has already given it far more reality than one might have expected from the tentative provisions of the Rome Treaty ».

6 Idem, p. 167.

7 AHCE, CM2/1960-198, l’extrait d’une note sur la réunion des ministres des Affaires étrangères des

Etats membres, relatif à un exposé de Pierre Wigny, daté du 13 octobre 1959.

8 Né en 1908 à Luxembourg, Lambert Schaus est un homme politique et diplomate luxembourgeois.

En 1946, il est nommé ministre du Ravitaillement et des Affaires économiques et en 1947 en plus de la Force armée. En 1948, il est nommé au Conseil d'État et en 1953, il intègre le corps diplomatique, de 1955 à 1958 en tant qu'envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire, puis de 1968 à 1973 comme ambassadeur à Bruxelles. Influencé par le mouvement paneuropéen des années 1930, il s'engage dans la construction politique et juridique européenne tout en insistant sur la nécessité d'une législation européenne. Lambert Schaus est président de la délégation luxembourgeoise auprès de la conférence intergouvernementale pour la négociation des Traités de Rome, puis représentant permanent du Luxembourg auprès des Communautés européennes. Il succède au poste de premier commissaire luxembourgeois à Michel Rasquin à la Commission de Walter Hallstein. Disponible sur :

http://www.autorenlexikon.lu/page/author/181/1810/FRE/index.html [Consulté le 2 septembre 2018]

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droits sur chaque produit atteigne, à la fin de l’année 1961 (la première étape), au moins 25 % du droit de base qui était appliqué au 1er janvier 1957 et à la fin de l’année 1965 (la deuxième étape), au moins 50 % du droit de base10. Le membre luxembourgeois de la Commission propose d’avancer ce plan sans attendre les dates prévues par le Traité de Rome.

Le ministre belge des Affaires étrangères, Pierre Wigny11, quant à lui, propose en octobre 1959 au Conseil des ministres de diminuer la période transitoire, qui est prévue pour la fin de 1969, pour la réalisation d’un Marché Commun. Sa proposition signifie d’avancer le passage à la deuxième étape qui permet aux gouvernements de s’engager à suivre la Commission sur cette voie, « non seulement en abaissant les droits de douane et élargissant les contingents, mais aussi en ce qui concerne sa politique monétaire, sa politique du crédit, des crédits, des investissements, agricoles et commerciaux12 ».

Ce mouvement d’accélération aboutit aux projets présentés par Walter Hallstein lors du Conseil des ministres le 10 mars 1960. Les projets visent à accélérer la mise en œuvre du Traité. La Commission présente son intention de faire avancer l’intégration économique dans tous les domaines13.

La suppression des droits de douanes entre les États membres et les tarifs douaniers communs vis-à-vis des pays tiers, se déroule en trois temps. Premièrement, la suppression complète des quotas d’importation pour les produits industriels, qui était prévue pour la fin de l’année 1969 dans le Traité de Rome, sera achevée à la fin de l’année 1961. Cette règle s’appliquera également aux pays tiers sous condition bilatérale. Deuxièmement, l’abaissement des tarifs douaniers prévu à 30 % pour la fin de l’année 1961 par le Traité de Rome atteint 40-50 % sous le coup du plan d’accélération de l’unification. Troisièmement, en ce qui concerne le tarif douanier commun, la première mise en place progressive s’effectuera jusqu’à la fin de l’année 1960, un an avant ce qu’était prévu et d’une manière plus importante que dans le projet initial14.

10 Ce calendrier est basé sur la stipulation concernant les étapes de l’intégration européenne pendant

la période transitoire. L’article 8 du Traité de Rome stipule que « le marché commun est progressivement établi au cours d’une période de transition de douze années. La période de transition est divisée en trois étapes, de quatre années chacune, dont la durée peut être modifiée ».

11 Né en 1905 à Liège, Pierre Wigny est considéré comme l’un des personnalités politiques belges les

plus importantes après la Seconde Guerre Mondiale. Il occupe successivement des postes importants comme ministre des Colonies de 1947 à 1950 puis ministre des Affaires étrangères de 1958 à 1961.

12 AHCE, CM2/1960-198, accélération de la mise en œuvre du traité instituant la CEE.

13 « La situation actuelle du développement du marché commun européen », op. cit.. p. 2. Voir aussi

AHCE, CM2/1960-199, Discours de Hallstein devant l’Assemblée parlementaire européen pour introduire le débat de politique générale en mars 1960.

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Effectivement, comme le montre le Tableau 1, le 1er janvier 1961, les États membres effectuent un abaissement supplémentaire des tarifs douaniers qui n’est pas prévu. Jusqu’au début de la deuxième étape, c’est-à-dire le 1er janvier 1962, les tarifs douaniers sont abaissés de 40 % pour les produits industriels et 35 % pour les produits agricoles « non libérés » au lieu de 30 % par rapport aux niveaux du 1er janvier 195715.

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Tableau 1

Calendrier et rythme du plan de réalisation progressive de l’Union douanière

Traité original Accélération Résultat Élimination des droits intracommunautaires 31.12.1958 : 10% 01.07.1960 : 10% 31.12.1961 : 10% Fin de la 1er étape : 30% Après : 10% par an ou par un an et demi. 31.12.1969 : la suppression totale 31.12.1958 : 10% 01.07.1960 : 10% 31.12.1960 : 10- 20% Fin de la 1er étape : 40-50% 31.12.1958 : 10% 01.07.1960 : 10% 31.12.1960 :

5% (pour les produits agricoles « non libérés ») 10% (pour les produits industriels)

31.12.1961 : 10% 01.07.1962 :

5% (pour certains produits agricoles « libérés » ) 10% (pour les produits industriels)

01.07.1963 : 10% 31.12.1964 : 10% 31.12.1965 : 10% 31.07.1967 :

10%ou 15% (pour les produits agricoles)

5% (pour les produits industriels)

01.07.1968 :

La suppression totale Quotas Quotas ordinaires

seront élargis de 20% par an. Petits et zéro quotas seront achevés pour les productions nationales jusqu’à la période transitoire.

Tous les quotas sur les produits industriels seront supprimés jusqu’au 31 décembre 1961. Mise en place du tarif douanier commun 31.12.1960 : la première approximation 31.12.1965 : la deuxième approximation 31.12.1969 : la mise en place complète du TDC 31.12.1960 : la première approximation (30%)

Après : pas encore décidé 31.12.1958 : la première approximation (30%) 01.07.1963 : la première approximation (30%) 01.07.1968 :

La mise en place complète du TDC

(source) « The political dynamics of European economic integration », op. cit., p. 168. 『最近における欧州共同市場の発展状況』, op. cit., p. 2.

CVCE, « Calendrier et rythme de la réalisation progressive de l’Union douanière »,

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À cette accélération de la mise en œuvre du Marché Commun, certains États membres répondent par une protection accrue de leur industrie. La Belgique et les Pays- Bas en particulier augmentent le taux de leur taxes compensatoires à l’importation, ce qui produit un effet équivalent à une augmentation des tarifs douaniers. Aux Pays-Bas, d’une part, un arrêté royal du 30 décembre 1958, entré en vigueur le 5 janvier 1959 modifie pour quelque cent vingt-cinq produits les taux perçus à l’importation ou les ristournes accordées à l’exportation en matière de taxes sur le chiffre d’affaires. En Belgique, d’autre part, un arrêté royal du 24 décembre 1958, entré en vigueur le 1er janvier 1959, apporte quelques modifications au tableau des taux de la taxe de transmission à l’importation. Outre des aménagements de pure forme, ce texte augmente de 2 % le taux de la taxe de transmission perçue sur les automobiles importées destinées au transport des personnes mais non affectées aux transports en commun16.

Les milieux industriels, notamment en France, en Belgique et en Allemagne, critiquent ces manipulations du taux et expriment leurs mécontentements à l’Assemblée européenne. Certaines fédérations patronales de l’industrie, quant à elles, saisissent directement à la Commission pour faire connaitre leur mecontentements. Elles se déclarent « vivement désireuses » de voir les travaux aboutir à « des solutions concrètes satisfaisantes » concernant ces problèmes17.

La Commission ne peut plus tolérer une situation aussi indésirable. Pourtant, elle a du mal à prendre l’initiative sur ce dossier étant donné que sa compétence en matière de fiscalité est, conformément aux règles du Traité de Rome, très restreinte. La Commission se sent alors menacée. L’accélération de l’élimination des droits intracommunautaires a ainsi des conséquences sur les questions fiscales de la Communauté.

B. L’accord de « stand-still » : un parcours difficile 1. Le manque d’efficacité du Groupe de Travail N°2

Les études concernant les questions sur les taxes compensatoires et les ristournes n’aboutissent pas dans un premier temps à des résultats concrets. Il y a deux raisons techniques pour cela. Premièrement, en réalité, il n’existe pas de critères pour vérifier si

16 CAEF, B-59782/1, Note d’information, réponse de la Commission de la CEE en date du 27 avril

1959 à la question écrite n°12 posée par M. de SMET, membre de l’Assemblée parlementaire européenne, préparée au sein du secrétariat du Conseil des Communautés européennes, datée du 29 avril 1959, p. 2.

17 ANF, 19900580/20, Compte-rendu de la réunion tenue à Bruxelles le 23 février 1960, préparé au

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les taux des taxes compensatoires et les ristournes sont fixés conformément aux articles 95-97 étant donné que chaque État membre adopte son propre système. Il n’est donc pas suffisant d’observer uniquement les niveaux des taux de chaque État membre. Deuxièmement, il existe un problème de nature politique. En effet, les États membres qui pratiquent le système de taxe sur le chiffre d’affaires en cascade s’opposent au durcissement des règles concernant les taxes compensatoires et les ristournes. Ils essaient ainsi de maintenir leur pouvoir décisionnel en matière de politique fiscale.

Au sein de la Commission, c’est le Groupe de Travail N°2, institué lors de la réunion du 22 juin 1959, qui se trouve en charge du problème sur les taxes compensatoires et les ristournes. Au cours de l’année 1959, les membres de ce Groupe de Travail se réunissent à une seule reprise, en octobre, en même temps que se déroule la réunion du Groupe de Travail N 1. À cette occasion, la Commission envisage deux solutions : d’une part, dégager des critères précis permettant de fixer les taxes compensatoires et les ristournes de chaque État membre et d’autre part, en limiter les modifications fréquentes18. L’opposition s’avère immédiatement entre la Commission, soutenue par la délégation française, et les cinq États membres qui adoptent le système de taxe sur le chiffre d’affaires en cascade.

Les délégations belge, hollandaise, allemande et italienne tentent de justifier par une analyse de leurs dispositions réglementaires le niveau de leurs taxes compensatoires à l’importation et leurs ristournes à l’exportation19. En effet, ces derniers États estiment que, d’une part, le Traité ne leur interdit ni de fixer les taux de ristournes et de taxes compensatoires au niveau qu’ils estiment optimum, à condition de ne pas dépasser le plafond, ni de modifier ces taux à leur gré dans la limite de ce plafond20. La France, qui est alors le seul pays à avoir déjà adopté le système de TVA, s’oppose à cette manière de voir les choses et entre en conflit avec ses partenaires sur ce sujet. Elle estime que toute modification du taux des ristournes et des taxes compensatoires ne doit pouvoir être effectuée que si elle répond à un motif d’ordre strictement fiscal comme, par exemple, la modification du taux de la taxe intérieure. Elle paraît disposée à admettre, dans un souci de clarté et pour éviter les inconvénients actuels, que les taux soient portés au maximum

18 ANF, 19930275-41, Document de travail pour la première réunion du Groupe de Travail N°II (Art.

95 à 97 du Traité), direction des Problèmes fiscaux, daté du 5 octobre 1959.

19 Idem, Note pour le directeur, réunion à Bruxelles du Groupe de travail N°2 sur les conditions

d’application des articles 95 à 97 du Traité de Rome. direction des relations économiques extérieurs, datée du 10 novembre 1959, p. 2.

20 Idem, Procès-verbal de la première réunion du Groupe de Travail N°II avec les experts

gouvernementaux en matière fiscale, direction des Problèmes fiscaux, daté du 16 novembre 1959, p. 4. En ce qui concerne les règles du Traité de Rome, cf. annexe n°7.

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possible dans la mesure où ils sont actuellement inférieurs au plafond21 . La France soutient ainsi fortement la proposition de la Commission sur ce sujet.

Au cours de cette réunion, la Commission demande aux États membres davantage : elle propose la consultation préalable qui est également un sujet sensible. Selon cette procédure, chaque fois que les pays membres souhaitent le changement des taxes compensatoires ou des ristournes, ils doivent consulter au préalable la Commission et lui faire part de leur projet de réforme. Dans le cas où une telle procédure serait adoptée, la Commission verrait son importance augmenter en matière de fiscalité au sein de la CEE. La délégation néerlandaise se déclare tout de suite opposée à un tel principe22.

En fin de compte, le Groupe de Travail N°2 choisit à peine sept produits (tubes en aciers, voitures automobiles, radios, fils de laine peignée, tissus de coton, savons de toilette, engrais ajoutés) sur lesquels il peut être envisagé le détail du calcul du taux de la taxe compensatoire à l’importation et des exonérations ou la ristourne à l’exportation23.

La Commission comprend ainsi tout de suite la difficulté de former un accord entre les États membres sur un tel sujet. En tout cas, il est presque impossible que les administrateurs fiscaux des États membres s’entendent étant donné qu’ils n’ont pas de réel pouvoir de décision.

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