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L’hésitation des administrateurs français vis-à-vis de la libéralisation du marché

La fiscalité et l’intégration économique générale

A. L’hésitation des administrateurs français vis-à-vis de la libéralisation du marché

1. La création du Comité Spaak

Les aides américaines, appelées aide Marshall, sont liées à un effort de libéralisme économique et de coopération européenne. Jean Monnet reprend alors l’idée et la propose aux six pays de la CECA en la présentant comme la base de toute la construction européenne. En juin 1955, les ministres des Affaires étrangères des Six se réunissent et prennent l’initiative de la création d’un véritable Marché Commun pour tous les produits et services. Placé sous l’active présidence de Paul-Henri Spaak, le comité intergouvernemental ouvre ses travaux le 9 juillet 1955 à Bruxelles. Les six ministres des Affaires étrangères décident de faire « étudier » un projet.

Jean Monnet connaît bien les mécanismes nationaux et internationaux. Normalement, ce que l’on nomme les « études » ne débouchent que rarement sur des résultats concrets. Afin d’ignorer cette habitude, il veille à la situation. D’abord, il fait mettre en place un calendrier. Ensuite, il établit un questionnaire précis afin d’éviter les réponses « littéraires et les faux-fuyants politiques ». Enfin, il choisit les rédacteurs de l’étude, Pierre Uri et l’Allemand Hans von der Groeben4, futur directeur général de la Concurrence de la Commission de la CEE qui jouera un rôle important dans la création d’une TVA commune5.

Le 12 avril 1956, le Comité Spaak remet aux six ministres un rapport très précis

4 Né en 1907 à Langheim (Prusse orientale), Hans von der Groeben est un fonctionnaire et homme

politique allemand. Avant de s’occuper des affaires européennes, il travaille dans le ministère de l’Agriculture de Reich, au ministère des Finances de Basse-Saxe en tant que directeur du gouvernement du Trésor, puis au ministère fédéral de l’Économie. Au cours de ses fonctions au sein de la Commission Hallstein entre 1958 et 1970, Hans von der Groeben se charge du poste de commissaire pour une politique de concurrence. Après son départ de la Commission en 1970, il se tourne vers l’analyse scientifique des succès et des échecs de la Communauté européenne. Ses travaux aboutissent aux deux rapports sur les « Objectifs et méthodes de l’intégration » et les « Possibilités et limités d’une Union européenne ». Voir Hans von der Groeben, Combat pour l’Europe, La

construction de la Communauté européenne de 1958 à 1966, Luxembourg : Office des publications

des Communautés européennes, 1985.

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encourageant la création d’une CEE ainsi qu’une Communauté européenne de l’énergie atomique – rapport qui est examiné et approuvé lors de la conférence de Venise qui se tient entre les 29 et 30 mai 19566.

Ce « Rapport Spaak » décrit l’esquisse d’un Marché Commun. Il déclare ainsi que « l’objet d’un Marché Commun européen doit être de créer une vaste zone de politique économique commune, constituant une puissante unité de production, et permettant une expansion continue, une stabilité accrue, un relèvement accéléré du niveau de vie, et le développement de relations harmonieuses entre les États qu’il réunit7 ». Ce qui est important ici pour notre réflexion, c’est qu’il définit pour la première fois la possibilité que la Communauté intervienne dans la politique fiscale des États membres. C’est dans ce cadre qu’est prononcée pour la première fois la possibilité d’une harmonisation fiscale entre plusieurs pays membres.

2. Des fonctionnaires français hostiles à la libéralisation

Dès le début des négociations au Comité Spaak à Bruxelles, les diplomates français constatent que les négociations s’orientent de plus en plus vers un projet de Marché Commun généralisé qui s’accompagne de la création d’une zone de libre-échange. Les diplomates français se dépêchent donc de définir la prise de position du gouvernement français pour que le Comité Spaak ne puisse pas arriver à un accord sur une libéralisation trop avancée au sein de la Communauté8.

Dans ce but, les fonctionnaires français préparent un mémorandum le 14 octobre 1955 : ils acceptent le principe du Marché Commun mais avec une application limitée9. Ce mémorandum semble en effet traduire la forte influence du Quai d’Orsay, qui estime toujours que le Marché Commun a de fortes chances de ne jamais voir le jour10 . Cependant, en réalité, la méfiance envers la libération des échanges est aussi très répandue

6 Comité Intergouvernemental créé par la Conférence de Messine, Rapport des chefs de délégations

aux ministres des Affaires étrangères, Bruxelles, le 21 avril 1956. Le « Comité Spaak » est créé lors

de la Conférence de Messine des 1er et 2 et juin 1955 par les Six. Les délégations des six pays sont

conduites par : l’ambassadeur de la République fédérale Carl Friedrich Ophüels pour l’Allemagne, les secrétaires généraux du ministère des Affaires économiques Jean-Charles Snoy et d’Oppuers pour la Belgique, l’ancien ministre et député au Parlement Félix Gaillard pour la France, l’ancien ministre et député au Parlement Ludovico Benvenuti pour l’Italie, l’ambassadeur du Grand-Duché de Luxembourg Lambert Schaus pour le Luxembourg, et enfin Gerard Marius Verrijn Stuart pour les Pays-Bas. [Ibid., p. 8].

7 Ibid., p. 13.

8 Laurent Warlouzet, Le choix de la CEE par la France, L’Europe économique en débat de Mendès

France à de Gaulle (1955-1969), Paris : CHEFF, 2011, p. 26.

9 Ibid. 10 Ibid., p. 27.

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au sein du ministère des Finances et des Affaires économiques11.

Après la publication du rapport du Comité Spaak, tous les directeurs du ministère, à quelques exceptions près12 , manifestent une « sourde hostilité13 ». Notamment, la direction du Trésor qui est très attachée au dirigisme national condamne le libéralisme proposé par le rapport en raison de son rôle éminent dans l’orientation des investissements français14. Cela montre bien les limites du projet français d’intégration européenne. Pour le gouvernement français, les demandes en termes d’interventions sectorielles ou d’harmonisation législatives ou fiscales sont séduisantes en théorie, mais inapplicables de facto, en raison des délégations de souveraineté qu’elles impliquent. Face à cette hostilité très majoritaire à l’égard du rapport Spaak dans le gouvernement, la réunion interministérielle du 24 avril 1956 demande soit le rejet pur et simple du rapport Spaak, soit un remaniement profond à partir d’un futur mémorandum français15.

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