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L’impuissance de la direction C « Problèmes fiscaux » vis-à-vis des États membres

I La direction générale IV et sa culture

A. Le renforcement progressif de prérogative de l’administration fiscale européenne

1. L’impuissance de la direction C « Problèmes fiscaux » vis-à-vis des États membres

Les problèmes se produisent aussitôt. Le système en cascade de taxe sur le chiffre d’affaires pratiqué à l’époque dans les cinq pays membres ne permet pas de calculer de manière exacte le montant des taxes compensatoires à l’importation et des ristournes à l’exportation. La compétence restreinte attribuée à la direction C ne lui permet donc pas d’accomplir sa tâche. Elle n’arrive pas en effet à prévenir les violations de ces règles des États membres.

Bien entendu, les États membres ne se privent pas d’en abuser. Dès le début de l’année 1959, les gouvernements néerlandais et belges modifient leurs taux des taxes compensatoires et des ristournes. Comme prévu par le Traité de Rome, les droits intercommunautaires baissent de 10 % le 31 décembre 1958. Les États membres sont donc naturellement incités à modifier leurs taux des taxes compensatoires à l’importation et les ristournes à l’exportation afin de compenser la baisse des droits de douane.

Vis-à-vis des modifications de ces États membres, la direction C manque de fermeté. Elle ne peut qu’avertir ces deux pays que ces modifications peuvent être étudiées par la Commission ainsi que les États membres63 . L’avertissement de la part de la Commission n’est pas efficace. Les Pays-Bas et la Belgique laissent leurs modifications inchangées. En fin de compte, bien que la Commission doute que les États membres parviennent à fixer les taux des taxes compensatoires supérieurs à ceux de l’imposition aux produits similaires à l’intérieur du pays, elle éprouve des difficultés à exposer les motifs protectionnistes de la politique mise en place par les États membres. Elle a donc tendance à négliger et abandonner les problèmes concernant les taxes compensatoires et

63 ANF, 19900580/20, État d’avancement des travaux d’exécution du Traité de Rome, préparé par le

représentant permanent adjoint de la France auprès des communautés européennes, daté du 2 décembre 1959. « Elle indique que ces modifications ne sont pas, dans leur principe, contraires au Traité, mais qu’elle a l’intention de vérifier qu’elles ne contreviennent pas, dans les faits, aux dispositions des art. 95, 96 et 97. Elle précise, en outre, qu’elle se réserve la possibilité d’intervenir auprès des États membres en vertu de l’article 5, 2ème alinéa qui stipule que les États membres

s’abstiennent de toutes mesures susceptibles de mettre en péril la réalisation des buts du Traité et même dans les cas où les modifications de taux ne contreviennent pas expressément aux dispositions du Traité, si elle estime que, par des mesures de ce genre, la réalisation des buts du Traité est mise en péril ».

100 les ristournes.

En outre, la compétence limitée de la direction C fait obstacle à la politique d’une autre direction de la DG IV. Le problème est le suivant. La compétence de la direction D « Aide par l’État64 » vis-à-vis des États membres est plus importante que celle de la direction C. Selon l’article 93, si la Commission constate qu’une aide accordée par un État ou au moyen de ressources d’État n’est pas compatible avec le Marché Commun au sens où cette aide est appliquée de façon abusive, elle décide que l’État intéressé doit la supprimer ou la modifier dans le délai qu’elle détermine. Et si l’État en cause ne se conforme pas à cette décision dans le délai imparti, la Commission ou tout autre État intéressé peut saisir directement la Cour de justice65.

En janvier 1959, Fernand Van Praet, chef de la division « questions générales » de la direction D « Aide par l’État » écrit une note pour son directeur, Armand Saclé, afin d’attirer son attention sur cette question :

« Je suis tout à fait d’accord avec les conclusions formulées par notre collègue M. Günther Etzenbach66 dans sa note du 20 décembre dernier (1958), concernant l’interdépendance qui existe entre les aides États, d’une part, et les mesures fiscales, d’autre part.

Lorsqu’on relit les dispositions du Traité consacrées au domaine fiscal, il est frappant de constater qu’une différence considérable existe entre le ton adopté par le législateur pour la rédaction des articles 92 à 94 et celui qui caractérise les articles 95 à 99, qui ne confèrent aux institutions qu’une compétence assez limitée dans le domaine de fiscalité. Il est évident que le législateur a voulu préserver au maximum la souveraineté des États membres, ceux-ci ne pouvant évidemment renoncer à leur droit de se procurer des ressources par l’impôt67 ».

Effectivement, il y a une interdépendance entre le problème sur l’aide par les États et celui sur les problèmes fiscaux, comme le signale Van Praet. Les taxes compensatoires à l’importation et les ristournes à l’exportation peuvent faire partie des

64 Ses tâches sont stipulées par les articles 92-94.

65 L’article 91-1 stipule qu’elle dispose d’un droit d’autorisation auprès de l’État membre lésé à

prendre les mesures de protection dont elle définit les conditions et modalités au cas où les pratiques de dumping se poursuivent.

66 Günther Etzbenbach est un administrateur de la direction D « Aide par l’État » et devient le chef de

service « cas particulier II » en 1961.

67 AHCE, BAC 62 1980 39, Note pour monsieur le directeur Saclé, signé par Par Fernand Van Praet,

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aides accordées à des industries spécifiques par les États. Le problème est qu’en tenant compte du fait que les règles sur les problèmes fiscaux sont moins strictes que celles sur les aides par États, certains États membres ont tendance à reporter sur le domaine de la fiscalité les mesures d’aides68.

Par exemple, le gouvernement français essaie d’éviter l’intervention de la Commission au sujet de son système de l’amortissement. En effet, grâce à son système de TVA, l’industrie française bénéfice de l’amortissement immédiat lors de l’acquisition des biens et l’amortissement est appliqué seulement une fois dans un processus de production. Résultat, les entreprises françaises se chargent moins de taxe sur le chiffre d’affaires. Étant donné que ce système est avantageux pour les grandes entreprises de production dont la dépense est largement dépendante de l’achat de bien, ce système fait l’objet de critiques par les autres pays. Pour les partenaires de la France, le système de la TVA est une aide pour les entreprises. Le gouvernement français insiste sur le fait que la question sur l’amortissement appartient à la question fiscale et non à de la question des aides par les États, afin d’éviter l’intervention de la Commission.

Or, si la question du système de l’amortissement immédiat de la TVA est traitée dans le cadre de la politique fiscale, il n’est pas possible que la Commission intervienne directement dans ce domaine, en raison de sa compétence limitée à ce sujet. À la différence des règles concernant les aides d’États dont la procédure organisée par le Traité est plus stricte qu’en matière fiscale. Et si la question est traitée dans le cadre des aides d’États, la France risque d’être obligée de modifier son système pour ne plus profiter du bénéfice de l’amortissement immédiat69 . Elle s’oppose donc à ce que « les régimes d’amortissement constituent une aide70 ».

Face à ce problème, dès décembre 1958, la direction D « Aide par l’État » demande une réinterprétation des articles sur la politique fiscale conformément à « l’esprit des autres articles du Traité71 » : il s’agit d’œuvrer en commun pour construire la communauté économique. Grâce à cet esprit, la direction C « Problèmes fiscaux » peut accomplir sa mission avec plus de compétence en face des États membres. Indirectement, cela signifie l’élargissement de la compétence de la direction C vis-à-vis des États membres : cela lui permet d’intervenir plus directement et plus strictement dans les mesures gouvernementales.

Les problèmes fiscaux sont étroitement liés aux questions sur la souveraineté des États membres. C’est la raison pour laquelle les rédacteurs du traité ne stipulent que

68 Idem. 69 Idem. 70 Idem. 71 Idem.

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vaguement les règles sur la fiscalité. Ils ont du mal à écrire des articles stricts sur cette question. Cependant, les administrateurs de la Commission se rendent compte tout de suite que la question sur la fiscalité est un sujet ayant trait au libre-échange qui est la base d’un Marché Commun. Il est donc impossible de laisser les États membres agir à leur guise. Un tel consensus parmi les administrateurs de la Commission incite la direction C à aborder les études pour régler ces problèmes et à proposer une solution inédite aux États membres : il s’agit de l’harmonisation du système de taxe sur le chiffre d’affaires.

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