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La création de groupes d’études sur un double plan

I L’approbation de la TVA commune par les groupes d’études

A. La création de groupes d’études sur un double plan

1. L’initiative de la Commission : la TVA commune pour l’unité politique de l’Europe

Lors de la réunion de février 1960, la Commission demande de hâter les résultats du Groupe de travail N°1, composé des administrateurs gouvernementaux, qui traite alors de l’harmonisation des taxes sur le chiffre d’affaires2. Elle propose donc aux délégations des États membres de fixer à un délai de six mois l’obtention d’un résultat concret.

La Commission se dépêche. Le passage de la première étape à la deuxième étape de l’intégration économique est important en matière de politique économique commune. Les articles du Traité de Rome stipulent que les États membres doivent avant tout se concentrer sur l’élimination des obstacles qui entravent le libre-échange (l’intégration négative) dans la première étape. Pourtant, à partir de la deuxième étape, l’intégration positive, tout comme l’harmonisation des politiques économiques ou le rapprochement des législatives nationales, peuvent être recherchés.

À proprement parler, l’accélération de l’intégration économique n’a rien à voir avec l’harmonisation des taxes sur le chiffre d’affaires. Il est vrai que les stipulations du Traité de Rome adoucissent les conditions du rapprochement des législations entre les États membres dès la deuxième étape. L’article 101 qui stipule le rapprochement des législations, autorise le Conseil à arrêter les directives nécessaires en statuant non pas à l’unanimité mais à la majorité qualifiée après la deuxième étape. Cependant, concernant l’harmonisation des taxes sur le chiffre d’affaires, la condition nécessaire pour la délibération du Conseil n’est pas adoucie même après la deuxième étape. L’article 99 qui stipule l’harmonisation des taxes indirectes, prévient que le Conseil statue donc à

1 ANF, 19900580/20, Compte-rendu de la réunion tenue à Bruxelles le 23 février 1960, Cabinet du

directeur général des Impôts, p. 5-6.

2 Idem, Application des dispositions du Traité de Rome dans le domaine fiscal, résumé de la réunion

163 l’unanimité, même après la deuxième étape.

Par conséquent, la perception des contemporains qui hâtent les travaux sur l’harmonisation des taxes sur le chiffre d’affaires se fonde sur l’interprétation globale des stipulations du Traité de Rome plutôt que sur les stipulations individuelles. La Commission estime d’ailleurs que la mesure favoriserait la réalisation de l’unité politique européenne et va même jusqu’à prévoir un système commun de TVA3.

Une telle conception est tout de suite rejetée par les États membres pour différentes raisons. Les délégations des États membres s’y opposent à tout prix. Dans le cas de l’Italie, par exemple, sa structure économique morcelée rend techniquement impossible toute modification du système des taxes indirectes selon le plan proposé par la Commission. Étant donné que l’intégration du système de distribution des produits en Italie n’est pas avancée et que les détaillants italiens sont dispersés, il est difficile d’envisager que les petits magasins puissent se charger immédiatement de l’administration nécessaire au nouveau système de taxe sur le chiffre d’affaires. Celle-ci propose en effet d’harmoniser le système de taxe sur le chiffre d’affaires vers le système général sans effet de cascade.

Dans le cas de la RFA, l’élection prévue rend délicat le développement d’un débat politique. En effet, en 1960, les administrateurs du ministère des Finances de la RFA préparent un projet de réforme afin de remplacer le système de la TVA par un système de taxe cumulatif sur le chiffre d’affaires. Cependant, le projet est rejeté au niveau du Cabinet. Puisque l’élection générale est prévue en septembre 1961, le projet de réforme ne peut de toute façon qu’être soumis au nouveau Bundestag. Il est donc difficile, en RFA, de poursuivre toute discussion sur ce sujet au cours de l’année 1960.

Compte-tenu des oppositions assez vivaces que l’on constate chez les différents États membres, la Commission comprend qu’elle ne peut obtenir un résultat concret dans un délai immédiat et décide de se concentrer sur les travaux de recherches afin de parvenir à persuader les États du bien-fondé de l’harmonisation des taxes sur le chiffre d’affaires. Ainsi, elle institutionnalise différents types de groupes d’études. Ces études s’organisent autour de deux axes : un axe technique et un axe économique4. Alors que les travaux axés sur le domaine technique sont principalement effectués par les fonctionnaires des États membres et de la Commission, les études qui se concentrent sur le plan économique sont, quant à elles, exclusivement réalisées par des universitaires.

3 Georges Égret, La TVA, op. cit., p. 43.

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2. Les groupes d’études : les administrateurs

Bien logiquement, c’est le Groupe de travail N°1 qui se penche sur l’aspect technique. Institué lors de la première réunion des dirigeants des administrations fiscales nationales en juin 1959, ce groupe se compose des administrateurs fiscaux des États membres. Néanmoins, les hauts fonctionnaires et les directeurs généraux n’y sont pas présents.

Le Groupe de travail N° 1 achève très rapidement une étude en décembre 1959 dans laquelle il présente trois types de taxes sur le chiffre d’affaires à envisager comme nous avons déjà pu le mettre en avant dans le chapitre précédent. Les membres du Groupe préparent la création de sous-groupes chargés d’étudier de façon plus approfondie chaque système. Ainsi, juste après la deuxième réunion des experts fiscaux en février 1960, ils instituent trois groupes appelés sous-groupes A, B et C.

L’objectif de ces sous-groupes est de trouver un système « idéal5 » de taxe sur le chiffre d’affaires pour le Marché Commun. Les trois sous-groupes traitent de différents sujets. Le sous-groupe A est ainsi chargé de l’étude de la suppression des contrôles physiques aux frontières. Les sous-groupes B et C sont, quant à eux, chargés d’étudier en détail les différents systèmes de taxes sur le chiffre d’affaires. Le sous-groupe B est responsable de l’étude de la taxe unique générale perçue au stade antérieur à celui du commerce de détail et combinée, éventuellement, avec une imposition des détaillants. Le sous-groupe C est, quant à lui, chargé de l’étude des systèmes de taxation au stade de la production et combinée avec une taxe autonome perçue au stade de la commercialisation ainsi que la taxe sur la valeur ajoutée commune, combinée, le cas échéant, avec une taxe perçue au stade de la commercialisation. Ces sous-groupes sont présidés par le chef de la division « Impôts indirects » de la direction C « Problèmes fiscaux » : Johannes Jansen6.

3. Les études sur le plan économique : le Comité Neumark

Les études développées sur le plan économique au sein de la Commission sont amorcées par le professeur italien Gaetano Stammati en juin 19597. À la demande de la

5 ANF, 19900580/53, Télex par courrier, signé par Georges Gorse, daté du 17 avril 1961, p. 1. 6 ANF, 19900580/53. Pour le sous-groupe B, il est demandé aux délégations allemandes, belges et

italiennes d’apporter une assistance à la Commission. Pour ce qui est du sous-groupe C, ce sont les délégations allemandes, françaises et italiennes qui sont sollicitées.

7 Né en Italie, Gaetano Stammati est un économiste et homme politique. Il enseigne l’économie

politique et la science financière ainsi que le droit financier à l'université de Rome. Après avoir occupé des postes importants dans divers ministères en tant que chef de cabinet et directeur général, il est nommé comptable général de l'État et président de la Banque italienne de commerce. Il est également nommé sénateur pour les chrétiens-démocrates en 1976 et en 1979. Disponible sur :

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Commission, il rédige un rapport intitulé « Étude sur les aspects économiques de l’harmonisation fiscale des pays de la CEE8 » en octobre 1959. Son rapport aborde non seulement les taxes sur le chiffre d’affaires mais surtout le système fiscal dans son ensemble9. En tant que juriste, il prête une attention toute particulière aux « difficultés propres à une harmonisation des systèmes fiscaux, même d’un point de vue purement formel » puisque les institutions de droit fiscal « s’enracinent profondément dans un terrain historique et institutionnel et sont liées aux habitudes des services fiscaux et à la psychologie particulière des contribuables, variables de pays à pays10 ». Un tel point de vue est repris par les études menées sur le plan économique effectuées au sein de la Commission.

Or, en vue d’approfondir les études, la Commission propose, lors de la réunion des experts en février 1960, de constituer un comité composé d’économistes et de juristes issus principalement des Six11 . Les membres du comité d’experts sont composés exclusivement de professeurs d’université. On y trouve deux Allemands : Fritz Neumark et Willy Albers, deux Français : Georges Vedel et Alain Barrère, deux Italiens : Gaetano Stammati et Cesare Cosciani, un Belge : Maurice Masoin, un Luxembourgeois : Joseph Kauffman, un Hollandais : Bernard Schendstok et un Américain : Carl Shoup. Fritz Neumark est nommé président de ce comité qui se voit ainsi nommé « Comité Neumark » alors que son appellation officielle est « Comité fiscal et financier ». Réfugié pendant 1933 et 1948 en Turquie, Fritz Neumark est un professeur ayant déjà eu l’expérience de travailler pour le ministère des Finances en tant que conseiller pour la politique fiscale allemande. Il connaît donc bien les attentes du ministère de son propre pays.

Le processus de sélection des membres du Comité n’est pas évident. La plupart de ses membres, comme Fritz Neumark, Maurice Masoin, Alain Barrère, Bernard Schendstok, Gaetano Stammati et Carl Shoup, appartiennent à une organisation universitaire internationale appelée l’Institut International de Finances Publiques (IIFP)12.

8 ANF, 19900580/20, « Étude sur les aspects économiques de l’harmonisation fiscale des pays de la

CEE », la version originale est en italien, écrite par Gaetano Stammati. Le mandat est fixé de « préparer une note introductive aux problèmes soulevés par la recherche d’une harmonisation fiscale entre les pays membres de la Communauté Économique Européenne du point de vue des rapports d’interdépendance existant entre la fiscalité et les problèmes d’ordre économique, social et budgétaire ».

9 L’égalisation de la pression globale des impôts dans les pays ; l’analogie dans la répartition de la

charge fiscale totale entre les différentes branches du système fiscal comme les impôts sur les revenus, les impôts sur les biens de consommation, les impôts sur la circulation et les échanges des biens ; le rapprochement des structures des impôts, tout au moins pour les plus importants d’entre eux.

10 Idem, Compte-rendu précité de la réunion tenue à Bruxelles le 23 février 1960, p. 2. 11 Idem, p. 5.

12 L’IIFP est crée en juillet 1937 à Paris. Pour en savoir plus, voir Karl W. Roskamp, International

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Beaucoup de membres du Comité sont très actifs au sein de cet Institut au cours des années 1950. Par exemple, entre les années 1950 et 1965, Carl Shoup, Fritz Neumark, Maurice Masoin et Bernard Schendstok occupent successivement le poste de président (sauf entre 1953 et 1956). Ils se sont donc déjà rencontrés avant même la création du Comité Neumark.

C’est principalement l’administration fiscale de chaque État membre qui prend part dans la nomination des membres. Par exemple, c’est la direction générale des Impôts qui recommande au gouvernement français la nomination de Georges Vedel. Spécialiste des droits publics et professeur de l’Université de Paris, Georges Vedel a déjà travaillé à Bruxelles en tant que membre de la délégation française lors de la négociation du Traité de Rome. Quant au membre américain, Carl Shoup, c’est certainement ses liens avec le président Fritz Neumark qui l’amènent à Bruxelles13. Fritz Neumark et Carl Shoup sont des collègues proches et ils apprécient mutuellement leurs travaux. À l’invitation de Carl Shoup, Fritz Neumark travaille à l’Université de Columbia en tant que professeur invité entre la fin de février et la mi-mai 1957. Ils organisent ensemble un séminaire ayant trait aux études comparatives sur les systèmes fiscaux américains et européen14. Depuis lors, ils échangent fréquemment des lettres d’amitiés et passent même parfois leurs vacances ensemble avec leurs familles.

Le Comité Neumark est officiellement créé le 5 avril 196015. Reprenant l’étude de Gaetano Stammati, il envisage les questions sur le système fiscal comme la relation entre l’économie et la fiscalité en général, l’impact du niveau du prélèvement obligatoire sur l’économie et la diversité dans la structure du revenu fiscal entre les États membres.

Le rapport publié en commun par les sous-groupes A, B, C et celui du Comité Neumark sont rendus publics presque en même temps, au printemps en 1962, juste après le passage à la deuxième étape de l’intégration de la CEE. Alors que les groupes sont de types différents, ils proposent tous l’introduction du système commun de taxe sur la valeur ajoutée. Cela encourage l’accord futur entre les ministres des États membres.

13 Né en 1902, Carl S. Shoup est un économiste américain, connu pour ses contributions aux

recherches relatives aux systèmes fiscaux internationaux. Carl S. Shoup et Fritz Neumark ont un lien personnel très étroit. Selon les correspondances privées, Carl Shoup a hébergé Fritz Neumark, sa femme et son enfant chez lui lors du passage de Fritz Neurmark à New York en 1956. Leur relation se réduit notamment pendant le séjour de Fritz Neumark lorsqu’il a travaillé en tant que professeur invité à l’Université Colombia entre la fin du mois de février et la mi-mai 1957. C’est Carl Shoup qui s’occupe de lui. [Shoup Collection de l’Université nationale de Yokohama (Japon) Boîte « Neumark Fritz » No. 117, File « Neumark 1955-1969 », la correspondance, de Fritz Neumark à Carl Shoup, datée du 25 janvier 1956, la correspondance, de Carl Shoup à Fritz Neumark, datée du 30 janvier 1956, la correspondance, de Fritz Neumark to Carl Shoup, datée du 19 novembre 1956].

14 Idem.

15 ANF, 19900580/21, Rapport du comité fiscal et financier. Cf. annexe n°12, mandat à confier à un

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B. Les études scientifiques et la politique réelle : l’influence de l’ordo-libéralisme

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