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Trois éléments de l’accélération de l’harmonisation des taxes sur le chiffre d’affaires

III L’élaboration du projet initial de la directive pour le système commun de TVA

A. Trois éléments de l’accélération de l’harmonisation des taxes sur le chiffre d’affaires

On peut évoquer trois raisons pour lesquelles les débats pour créer une directive sur l’harmonisation des taxes sur le chiffre d’affaires sont rapidement avancés en 1962. Tout d’abord, l’intégration économique au sein de la Communauté passe à la deuxième étape au début de l’année 1962, comme prévu dans le Traité de Rome. Le 14 janvier 1962, le Conseil constate à l’unanimité que l’essentiel des objectifs fixés par le traité de Rome pour la première étape a effectivement été atteint. Cette constatation, prévue à l’article 8, paragraphe 3 du Traité, a pour effet d’ouvrir la deuxième étape de la période de transition le 1er janvier 196259 . Dans un certain nombre cas et à l’exception de l’harmonisation fiscale la substitution de la majorité qualifiée à l’unanimité est appliquée pour les décisions à prendre par le Conseil60. Bien que l’adoucissement des conditions requises ne concerne pas directement l’harmonisation des taxes sur le chiffre d’affaires, il permet d’accélérer le mouvement de l’intégration européenne en général.

Effectivement, le passage à la deuxième étape de l’intégration économique pousse les Six à entamer des politiques concrètes dans le cadre de la CEE61. Presqu’en même temps que le passage à la deuxième étape, la politique agricole commune est amorcée. Le 14 janvier 1962 à l’aube, le Conseil adopte les premiers règlements agricoles communs sur les céréales et les produits dérivés : volailles, œufs, viande de porc. Il crée

59 La Commission remet au Conseil, le 6 décembre 1961, le rapport prescrit à l’article 8, paragraphe 3.

Dans ce rapport, elle fait ressortir non seulement les progrès accomplis dans l’ensemble des domaines couverts par le Traité, et qui satisfont aux conditions strictes du passage, mais elle met également en évidence l’avance prise dans d’autres secteurs et en particulier l’effort d’accélération qui traduit la volonté des États membres d’aller de l’avant dans la voie de l’union douanière et de l’union économique. Dans son rapport publié en 1962, la Commission apprécie : « cette décision autorisant le passage à la deuxième étape doit être considérée dans toute sa portée ; non seulement elle sanctionne le bilan positif d’une première période de développement de la Communauté, et témoigne à nouveau de la volonté des États membres de réaliser le Traité et de renforcer la Communauté, mais en outre elle ouvre la voie à un nouveau stade de développement communautaire ». [La Commission de la CEE,

Cinquième rapport général sur l’activité de la Communauté, du 1 mai 1961 au 30 avril 1962, 1962,

p.19-20 (BNF)].

60 Idem, p. 24.

61 Idem, p. 20-21. Des progrès considérables sont accomplis dans le domaine de la libre circulation

des marchandises, grâce aux mesures douanières et contingentaires : au 1er janvier 1962, les droits de

douane sont abaissés de 40 % pour les produits industriels, de 35 % pour les produits agricoles non libérés et de 30 % pour les produits libérés. Les restrictions quantitatives sont intégralement abolies sauf pour les produits faisant l’objet d’un monopole d’État et les produits agricoles. Enfin, le premier rapprochement des tarifs nationaux vers le tarif douanier commun est opéré pour les produits industriels dès le 1er janvier 1961, c’est-à-dire avec un an d’avance sur l’échéance prévue par le Traité.

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le Fonds européen d’orientation et de garantie agricole. Les États renoncent donc à leur souveraineté sur les échanges de produits agricoles. Il s’agit de créer les conditions d’un Marché Commun dans le domaine de l’agriculture, secteur de l’économie traditionnellement moins libéralisé. Ce nouveau système, créé par les règlements agricoles de janvier 1962, entre en vigueur dès le 30 juillet 196262 . Ce succès est profondément ressenti par l’opinion publique et fortifie la confiance dans l’Europe en construction63. L’entrée dans la deuxième étape accompagnant l’intégration économique en réalité réussit à donner une impression de force notamment auprès des milieux économiques.

Deuxièmement, les États membres commencent à augmenter leurs connaissances portant sur le système de la TVA. Lors de la mise en place du Traité de Rome, la TVA est adoptée uniquement en France et les administrateurs des partenaires de la France ne connaissent pas le mécanisme et la théorie de la TVA. Même dans le milieu universitaire, l’accord uniforme posé dans les termes de la théorie sur la TVA n’est pas encore formé, comme nous venons de le voir.

Indépendamment du débat qui se déroule au sein de la CEE, certains pays membres entament volontairement l’introduction de la TVA au niveau national. En RFA, par exemple, en 1962, les administrateurs commencent sérieusement à préparer le projet pour l’introduction du système de la TVA. Effectivement, ce n’est pas la première fois que le système de la taxe sur le chiffre d’affaires en cascade est mis en question en RFA. Les universitaires allemands discutent en effet la nécessité de la réforme fiscale au cours des années 1950. En 1951, le ministre des Finances, Fritz Schäffer, confie les études concernant la réforme fiscale à un comité composé de quinze universitaires. Fritz Neumark, président du Comité Fiscal et Financier de la Commission, est également un membre de ce comité. Le 14 février 1953, le comité publie un rapport intitulé « Organische Steuerreform » dans lequel il propose de remplacer le système non- cumulatif de la taxe sur le chiffre d’affaires par la taxe en cascade à l’instar de la taxe à la production en France64. Au mois de juillet 1960, le ministère des Finances fédéral avec à sa tête le ministre Franz Etzel, ancien collègue de Pierre Uri à la Haute Autorité, présente au Cabinet fédéral un projet de réforme tendant à remplacer l’actuel impôt en cascade par une taxe sur la valeur ajoutée dont le taux normal aurait été de 12 %. Ce projet est cependant rejeté au cours de la réunion du cabinet du 27 juillet65. Enfin, le gouvernement

62 La Commission de la CEE, Sixième rapport général sur l’activité de la Communauté, p. 12. 63 La Commission de la CEE, Cinquième rapport général sur l’activité de la Communauté, p. 21. 64 Hideo Nakamura, op. cit., p. 159-160.

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se propose plus simplement d’apporter des « améliorations pragmatiques66 » au régime de l’impôt sur le chiffre d’affaires67. L’avis dans le ministère des Finances est partagé. L’autorité du budget est contre l’idée de l’introduction du système de la TVA et craint la perte de la recette due à la réforme fiscale. En raison de l’attitude passive de l’autorité du budget, la vraie politique n’apparaît qu’en 1962. Pourtant, cette initiative du ministère des Finances contribue à ouvrir un chemin pour la création de la TVA en RFA. En juillet 1963, le projet gouvernemental portant sur l’introduction du système de la TVA est enfin fixé et est envoyé au Parlement en octobre.

L’Italie, quant à elle, fléchit son attitude vis-à-vis de l’introduction de la TVA. La représentation italienne s’oppose dès le départ à l’idée de la TVA pour de multiples raisons mais invoque surtout sa structure économique qui dépend fortement des petits magasins. Cependant, après avoir envoyé une mission en France pour apprendre le système de la TVA française68, elle commence à penser qu’il est possible de l’introduire si c’est fait progressivement. L’administration fiscale craint le changement radical du revenu fiscal ainsi que l’opposition des contribuables. C’est la raison pour laquelle il est important que les administrateurs acquièrent en premier lieu les connaissances du nouveau système et préviennent sa réalisation.

En Belgique, le problème de la réforme des impôts indirects69 est à l’ordre du jour depuis de nombreuses années, avant même la naissance du Marché Commun, en particulier au sein du Conseil central de l’économie70. Le Marché Commun cependant est incontestablement un instrument de relative accélération en l’espèce, et surtout un élément décisif dans le choix du système de TVA71. Le 2 février 1962, André Dequae, ministre des Finances belge, adresse au président du Conseil central de l’économie une lettre annonçant son intention de procéder à une réforme du système des impôts indirects et sollicitant l’avis du Conseil sur quelques questions précises. Cependant, ne cachant pas

Commercial près l’Ambassade de France au secrétaire général du Comité Interministériel pour les questions de coopération économique européenne, datés au 9 décembre 1960.

66 Idem.

67 La nouvelle loi contient à peine des dispositions tendant à réaliser une meilleure neutralité de

l’impôt sur le plan de la concurrence. Par exemple, les projets d’impôts additionnels dans certaines branches, la réduction de 1 % à 0,75 % du taux de l’impôt du stade du commerce de gros, de même que la réduction de l’impôt de compensation sur les produits agricoles importés.

68 ANF, 19900580/59, Résumé du 13 septembre 1962, la réunion des directives de la Commission

soumis à la réunion des chefs des administration fiscales, préparé au sein de la représentation permanente de la France auprès des Communautés européennes, daté du 18 septembre 1962.

69 Il s’agit essentiellement les taxes assimilées au timbre.

70 « Le projet de création d’un code de la taxe sur la valeur ajoutée (I) », Courrier hebdomadaire du

CRISP 1965/5 (n°431), p. 5.

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son « extrême prudence72 », il ne veut pas mettre en question le principe de la taxe en cascade.

Le troisième élément est le tandem franco-allemand. Comme nous avons vu dans le chapitre précédent, les administrateurs fiscaux des États membres ont souvent l’occasion de se réunir et de travailler ensemble à Bruxelles. En effet, à la base de la réussite de ce petit comité se trouve le « tandem » des deux pays majeurs de la CEE. Les administrateurs fiscaux de la France et de la RFA ont des contacts directs grâce à la « détente » diplomatique qui s’opère entre les deux pays, alors que cela n’est pas nécessairement souhaité par les hommes appartenant au corps diplomatique. Guy Delorme témoigne :

« Le tandem franco-allemand jouait un rôle dynamique. Nos relations avec nos collègues de Bonn étaient au surplus facilitées par les conséquences pratiques de l’accord passé entre le général de Gaulle et le chancelier Adenauer : par exception à la règle, d’ailleurs bien normale, qui confie aux fonctionnaires des affaires étrangères le monopole des liaisons avec l’étranger, nous pouvions avoir des contacts directs avec les fonctionnaires fiscaux de la RFA73».

Ces trois éléments qui n’existaient pas au début de l’année 1960 rendent l’attitude des États membres vis-à-vis de l’harmonisation des taxes sur le chiffre d’affaires plus positive. Grâce à ces changements, les deux groupes d’études peuvent faire avancer leurs études vers l’harmonisation des taxes sur le chiffre d’affaires sans grande difficulté. Ces études contribuent non seulement à la formation de la base du débat mais également à l’échange des informations et des connaissances entre les administrateurs fiscaux concernant le système de la TVA. La compréhension commune entre les fonctionnaires est ainsi formée pour l’harmonisation fiscale.

B. Des avis divers sur la création de la TVA commune

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