• Aucun résultat trouvé

I La direction générale IV et sa culture

A. La formation de l’administration fiscale de la Commission de la CEE 1 Le choix de répartition fonctionnelle des compétences

2. La direction générale IV Concurrence

L’attribution des tâches des directions générales est décidée par les membres de

12 « Déclaration faite par M. Walter Hallstein, président de la Commission de la Communauté

économique européenne, à l’Assemblée des trois Communautés, à Strasbourg, le 20 mars 1958 », p. 27. [Conservé à la BnF]

13 Ibid.

14 La tâche du président du groupe correspond souvent à une tâche appelée « portefeuille » de laquelle

chaque commissaire est responsable au sein de la Commission.

15 Le nombre des administrateurs de la Commission augmente rapidement : 1051 en 1958, 1367 en

1959, 1615 en 1960, 1808 en 1961, 1691 en 1962, 1745 en 1963, 2005 en 1964 [Michel Dumoulin, « L’administration », op. cit., p. 230].

16 Cf. annexe n°8.Dans la direction générale VI –Agriculture, exceptionnellement, il y a la direction

« Marchés Agricoles » composée de huit divisions. La direction générale V est composée de 18 divisions, ce qui constitue le nombre le plus élevé parmi les dix directions générales.

88

la Commission. Hans von der Groeben, un membre allemand de la Commission, contribuait beaucoup à la création de la CEE. Il se charge depuis longtemps de la question de la concurrence aussi bien dans le cadre national qu’européen et est donc naturellement orienté vers la concrétisation des règles de concurrence au sein de la CEE. Après s’être comporté « à la manière du chiffonier qui ramasse tout », il réussit finalement à « réunir dans [sa] direction générale les cartels et les monopoles, les aides d’État, le rapprochement juridique et l’harmonisation fiscale17 », c’est-à-dire « tous les ingrédients qui ont par la suite assuré la viabilité de la Communauté18 ».

Afin de fixer la répartition des compétences entre les différentes directions générales, les membres de la Commission prennent les divers chapitres du Traité. La section concernant la fiscalité se trouve dans le chapitre de la concurrence. La fiscalité est donc traitée au sein de la direction générale IV (DG IV)19. La DG IV est ainsi compétente « pour toutes questions ne relevant pas de la compétence particulière d’une division technique spéciale20 » :

« Les divergences d’opinions se manifestèrent moins au niveau du principe d’une concurrence saine et loyale que dans le cadre de la discussion concernant le choix des mesures à prendre et celui de l’autorité compétente – la Communauté ou les gouvernements nationaux. Lors de la répartition des attributions entre les membres de la Commission, les secteurs techniques de l’économie extérieure, de la politique économique, de l’agriculture et des affaires sociales furent très demandés. Les heureux élus étaient donc prêts à faire des concessions au Commissaire chargé de la concurrence [= Hans von der Groeben], ce qui permit de rassembler dans une seule direction générale les domaines essentiels pour la politique en matière de concurrence [...]21 ».

La DG IV se charge donc des tâches dont les règles sont fixées par les articles

17 Entretien avec Hans von de Groeben, 16 décembre 2003, effectué par Éric Bussière. Cité dans Éric

Bussière, « La concurrence », in M. Dumoulin, La Commission européenne 1958-1972 histoire et

mémoires d’une institution, Union Européenne, 2014, p. 313.

18 Ibid.

19 Pierre Guieu, « La Commission européenne et l’harmonisation fiscale », in Le rôle des ministères

des Finances et de l’Économie dans la construction européenne (1957-1978), Journées préparatoires

tenues à Bercy le 14 novembre 1997 et le 29 janvier 1998, Tome II, Paris : CHEFF, 2002, p. 54.

20 Archives historiques de la Commission, Collection reliée des documents « COM », COM(58)61

Vol. 1958/0002, « Tâches de la Commission », daté du 19 mars 1958, p. 9.

89

85-102 du Traité de Rome. Ces stipulations composent ensemble le Titre premier intitulé « les règles communes » dans la Troisième partie intitulée « la politique de la Communauté22 ». La DG IV se compose de quatre directions : la direction A « ententes et monopoles, dumping, discriminations par l’industire » (Article 85-91), la direction B « rapprochement des législations » (Article 100-102), la direction C « problèmes fiscaux » (Article 95-99) et la direction D « aides et discriminations de la part des États » (Article 92-94)23. Parmi les quatre directions, la direction A « ententes et monopoles, dumping, discrimination par l’industrie » qui s’occupe de la politique et des règles de la concurrence est la plus importante en termes de personnels24.

Dans les premiers temps, en effet, l’institutionnalisation d’une direction générale indépendante destinée à la politique de la concurrence n’était pas évidente. Au cours de la discussion sur l’organisation de l’administration de la Commission, Robert Marjolin25, vice-président français de la Commission, propose d’incorporer une unité qui se charge de la politique de la concurrence dans un grand département dédié à la politique

22 Cf. annexe n°9. Structure du traité instituant la Communauté économique européenne ». La

structure des articles est modifiée à plusieurs reprises.

23 Cf. annexe n°10. Composition de la direction générale IV – Concurrence et son personnel principal. 24 Katja Seidel, « DG IV and the origins of a supranational competition policy: Establishing an

economic constitution for Europe », in W. Kaiser, B. Leucht, M. Rasmussen (ed.), The history of the

European Union: Origins of a trans- and supranational polity 1950-72, New York: Routledge, 2009,

p. 134. Le processus de décision concernant l’organisation de l’administration de la Communauté au sein de la Commission reste encore peu connu et il est difficile d’identifier le critère selon lequel les membres de la Commission la fixent. Certaines directions générales sont organisées conformément à la structure du traité. Par exemple, la DG IV se charge des tâches fixées par l’ensemble des stipulations d’un Titre du Traité de Rome. Et les compétences attribuées à ses quatre divisions correspondent à un certain nombre des articles spécifiques. Il en est de même pour la direction générale VI « Agriculture » (Titre II – L’agriculture dans la Deuxième Partie : Les fondements de la Communauté, Articles 38-47) ainsi que la direction générale VII « Transport » (Titre IV – Les transports dans la Deuxième Partie, Articles 74-87). Pourtant, ce n’est pas nécessairement le cas pour d’autres directions générales de la Commission. Quant à la direction générale III – Marché Intérieur se consiste en quatre divisions : A. Circulation des marchandises, B. Douanes, C. Droit d’établissement et services, D. Industrie, artisanat et commerce, et elle est responsable des missions stipulées par les clauses qui se situent dans deux différents Titres du Traité de Rome. Alors que les premières deux divisions, donc « Circulation des marchandises » et « Douanes », se chargent des toutes les tâches fixées par Titre premier : La libre circulation des marchandises (Articles 9-37), dans Deuxième Partie, les deux dernières divisions se voient confier des travaux définis par une partie des stipulations dans Titre III – La libre circulation des personnes, des services et des capitaux (Articles 52-66). Par ailleurs, concernant la direction générale V « Affaires sociales », elle se charge des tâches stipulées par tous les articles dans Titre III - La politique sociale dans la Troisième partie (Articles 117-122) ainsi qu’une partie des stipulations dans le Titre III – La libre circulation des personnes, des services et des capitaux dans la Deuxième partie, qui se trouve dans un Chapitre intitulé « Les travailleurs » (Articles 48-51).

25 Né en 1911 à Paris, Robert Marjolin est un homme politique et haut fonctionnaire français.

Spécialiste du domaine économique, il se charge du poste de vice-président de la Commission Hallstein jusqu’en 1967.

90

économique et financière : il s’agit de la direction générale II - Affaires économique et financière et le poste du président du groupe est ultérieurement occupé par lui-même. Pourtant, soutenu par le ministère des Économies et celui des Affaires étrangères allemands, Hans von der Groeben s’efforce avec Walter Hallstein d’institutionnaliser une unité administrative indépendante pour la politique de la concurrence.

En RFA qui est son pays d’origine, les règles de concurrence, ou la lutte contre les trusts et les cartels, constituent une des politiques les plus importantes. Après la Seconde Guerre mondiale, le gouvernement essaie, sous l’initiative du ministre de l’Économie puis premier ministre en RFA Ludwig Erhard26, de gouverner le pays selon le principe que l’on nomme « ordolibéralisme ». Ce principe défend l’idée que la société doit être organisée sur la base de la liberté individuelle des entreprises et des consommateurs. Dans ce cadre, le cartel (ou l’entente) et le trust entre les entreprises qui risquent de fausser les conditions de la concurrence doivent être exclus. Selon l’ordolibéralisme, une des tâches les plus importantes du gouvernement consiste donc à fixer les législations des règles de concurrence pour assurer la saine condition de la concurrence. C’est la raison pour laquelle dès 1957, la RFA adopte une loi ambitieuse dans ce domaine alors que la plupart des pays de la CEE développent des législations extensives uniquement à partir des années 1980. Quant à la France, qui dispose pourtant d’une loi dès 1953, il faudra attendre les deux lois de 1977 et surtout de 1986 pour que la politique de la concurrence soit véritablement institutionnalisée comme domaine d’action propre et influent27.

Cependant, l’homogénéité de l’ordolibéralisme sur la question européenne ne doit pas être surestimée : alors qu’Alfred Muller-Armack est l’un des protagonistes des négociations, d’abord en tant que représentant allemand dans le comité du Marché Commun dirigé par Hans von der Groeben, puis comme secrétaire d’État aux Affaires européennes, Wilhelm Röpke, n’est pas favorable à la création d’un Marché Commun. Au-delà des économistes néolibéraux stricto sensu, Ludwig Erhard n’est pas lui-même un fervent partisan de la construction européenne dans sa variante la plus fonctionnaliste, s’opposant en cela à Konard Adenauer28.

26 Ludwig Erhard. Il s’oppose autre autres contre une « organisation bureaucratique de l’Europe ».

Pour en savoir plus, voir son mémoire, Ludwig Erhard, La prospérité pour tous, traduit de l’allemand par Francis Brière et François Ponthier, Paris : Plon, 1965, p. 188.

27 Laurent Warlouzet, « La politique de la concurrence en Europe : enjeux idéologiques », publié dans

laviedesidees.fr, daté du 23 mai 2014, disponible sur : http://www.laviedesidees.fr/La-politique-de-la- concurrence-en.html [Consulté le 8 juillet 2018].

28 Jean Solchany, Wilhelm Röpke, l’autre Hayek aux origines du néolibéralisme, Paris, Publication de

91

Le fait que l’administration qui traite les problèmes fiscaux soit située dans la direction générale IV – Concurrence a un impact sur la direction de la politique fiscale de la Commission : ce fait jouera un rôle déterminant pour fixer une orientation libérale à la politique fiscale de leur direction générale, voire à celle de la Commission. Dans tous les travaux en matière fiscale, la priorité est toujours donnée à la recherche de la neutralité concurrentielle29. Il est encore plus vrai d’autant plus que les questions sur la politique fiscale seront traitées au sein d’une unité administrative gérée par Hans von der Groeben.

B. La culture de la DG IV et une administration « Problème fiscaux »

Outline

Documents relatifs