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Conclusion du chapitre

Chapitre 2 : Conception de la stratégie et Ecosystèmes d’Affaires

2. L’écosystème d’affaires, entre réseau, communauté et plateforme

2.2. La plateforme, socle du système pour la création de valeur

Pour se construire, l’EA a besoin d’une architecture organisationnelle initiale où la communauté travaille en harmonie (Moore, 1996). Cette structure, nécessaire à la coévolution des acteurs, est fournie par les leaders sous la forme d’une plateforme (Iansiti & Levien, 2004 ; Evans & Schmalensee, 2007 ; Cusumano, 2010). Elle incorpore les technologies fondamentales et les standards qui fournissent un modèle efficient pour créer et partager de la valeur (Iansiti & Levien, 2004). Une plateforme peut être

définie comme « un ensemble de solutions à des problèmes, mis à la disposition des membres de l’EA à

travers un ensemble de points d’accès ou d’interfaces » (Daidj, 2011, p. 148).

Les plateformes sont au centre du système. C’est par leur biais qu’il semble possible d’analyser la transformation progressive des formes d’organisation en réseau jusqu’à l’émergence des écosystèmes. En effet, « le développement des stratégies de plateformes préside le développement des EA » (De Vogeleer & Lescop, 2011, p. 216). Les travaux sur les plateformes (issus de la recherche en économie industrielle) ont fait leur apparition au début des années 2000 (Caillaud & Jullien, 2001, 2003 ; Rochet & Tirole, 2003 ; Parker & Van Alstyne, 2005 ; Roson, 2005). Bien que les principales caractéristiques des plateformes aient été analysées, cette notion reste peu mobilisée dans l’étude des EA à l’exception de quelques travaux (Iansiti & Levien, 2004 ; Isckia, 2009, 2011, Daidj, 2011).

Une plateforme est composée de plusieurs modules physiques et/ou logiciels reliés entre eux par des interfaces (Baldwin & Clark, 2000 ; Gawer & Cusumano, 2002, 2008). Si la notion de plateforme renvoie à des éléments techniques, elle intègre également une dimension relationnelle qui est fondamentale. C’est, notamment, le développement du Cercle qui permet à la direction de BASF de fédérer de nombreux acteurs (distributeurs, transformateurs, etc.) issus de la filière agro-alimentaire. Les entreprises parviennent à créer leurs marchés au travers de stratégies de plateformes qui se substituent au marché en jouant un rôle de coordination et de gouvernance des acteurs économiques (De Vogeleer & Lescop, 2011).

L’objectif de la plateforme est double. Elle doit d’une part permettre aux acteurs de niche de se greffer en leur fournissant les outils nécessaires et, d’autre part, faciliter les travaux collaboratifs entre les acteurs « majeurs » (ceux qui ont des intérêts élevés dans la technologie) qui définissent les standards et les spécifications. Les leaders proposent une plateforme de base mais c’est ensuite l’ensemble de la communauté qui œuvre pour la développer en apportant ses contributions. Toutefois, le rôle des leaders reste primordial car ce sont eux qui vont l’orchestrer, inciter de nouveaux membres à la rejoindre et qui vont orienter sa trajectoire. De nombreuses industries obéissent à cette logique de plateforme (Daidj &

création de valeur. En effet, la plateforme constitue un mécanisme de coordination qui met à la disposition des membres de l’écosystème des solutions à travers un ensemble de points d’accès ou d’interfaces (Gueguen & Passebois-Ducros, 2011).

La notion de plateforme permet d’observer des phénomènes inter-organisationnels de co- construction de compétences, particulièrement importants au cours de la naissance d’un EA (Moore, 1996). Cette plateforme permet d’agrandir progressivement et d’orchestrer la communauté naissante (Loilier & Malherbe, 2012). Pendant cette phase, ses membres s’ajustent progressivement et façonnent le futur grâce à une innovation qui génère de nouveaux besoins chez les utilisateurs (Moore, 1998). Elle s’accompagne d’une proposition de valeur et d’un modèle économique déterminés par les pionniers, puis acceptés et enrichis par l’ensemble de la communauté. Ce moment est un temps d’apprentissage pour l’ensemble de la communauté, y compris pour les clients. Il est donc impératif de sélectionner une population de clients « tests » (early adopters) pressentis pour tester et tolérer une version primitive de l’offre finale et qui participeront à son amélioration (Moore, 1996). Ce sont donc les plateformes qui permettent d’accéder aux ressources. La plateforme sert de support à la création des compétences écosystémiques tout en permettant aussi leur intégration (Loilier & Malherbe, 2012).

C’est la nature de ces plateformes, ouvertes versus fermées, qui conditionne la valeur susceptible d’être créée au sein de l’écosystème. Dans le premier cas, la conception repose sur l’utilisation de standards ouverts et publics facilitant l’interopérabilité entre les plateformes. Dans le deuxième cas, la conception est liée à l’utilisation de normes propriétaires qui limite la compatibilité entre les plateformes.

Les notions de compétences écosystémiques (Moore, 1996) ou de capacités dynamiques (Teece, 1997) illustrent, d’une part, la nécessité pour les entreprises de renouveler rapidement leurs compétences pour faire face aux évolutions de leur environnement et, d’autre part, l’aptitude du management à intégrer, construire, et reconfigurer des compétences internes et externes pour répondre à ces mêmes évolutions. La plateforme permet de mieux expliquer ce processus d’intégration-construction- reconfiguration des compétences internes et externes c’est-à-dire la co-évolution des capacités des membres de l’écosystème avec celles du leader. Dans cette approche, la plateforme devient le cadre de

processus de reconfiguration des ressources et des apprentissages associés aux capacités dynamiques Ces mêmes processus sont à l’œuvre dans l’innovation ouverte et les plateformes y occupent également une place importante.

En effet, la plateforme est une infrastructure qui supporte l’innovation collective et qui fixe les règles du jeu (Teece, 2007). Le contrôle de cette architecture aux substrats technologique et/ou informationnel conditionne la performance à long terme de la firme pivot et donc de l’EA (Pierce, 2009). Autrement dit, les règles du jeu sont susceptibles d’être manipulées par le keystone et résultent donc moins d’un processus de co-évolution (ou du jeu des acteurs) que de la volonté du keystone de fixer ses propres règles (desquelles dépendront les contributions des autres acteurs). Le choix architectural, c’est à la dire la plateforme, est donc particulièrement important et conditionne le degré d’ouverture du processus d’innovation.

« En définitive, l’approche par les EA permet de mieux comprendre la dynamique d’innovation collective, les stratégies de coopétition, les choix architecturaux du leader - lesquels conditionnent le degré d’ouverture du processus d’innovation - et le développement des capacités dynamiques » (Isckia, 2011, p 163).

Les travaux sur l’innovation ouverte ou open innovation sont récents (Chesbrough, 2003, 2006) et marquent une tendance forte dans le domaine des études sur l’innovation. Pour l’instant, la notion d’EA n’est mobilisée que de manière anecdotique en référence à un environnement élargi, à un espace d’opportunités. Néanmoins, les travaux sur les EA, les plateformes et l’innovation ouverte ont un point commun : ils renvoient tous à la question de l’innovation comme mécanisme de création de valeur et vecteur de compétitivité (Isckia, 2011). Les travaux sur l’innovation ouverte soulignent la nécessité pour les entreprises de développer de nouvelles pratiques visant à explorer et/ou exploiter les connaissances et les compétences disponibles dans leur écosystème afin d’améliorer l’efficience de leur processus d’innovation et d’explorer de nouveaux espaces de marché.

« L’innovation ouverte nécessite souvent la mise en place d’un réseau de

partenaires, que les entreprises dominantes cherchent à structurer sous la forme d’un écosystème d’affaires, (…) communauté de fournisseurs, de distributeurs et de concepteurs de produits ou service complémentaires à une offre définie par une entreprise dominante (…). En constituant un écosystème, les grandes entreprises bénéficient d’un niveau de satisfaction plus élevé de leurs clients, heureux de trouver les produits compatibles. Pour leur part, les membres de l’écosystème peuvent profiter d’un marché vaste et lucratif. (…) Pour autant, les grandes entreprises doivent gérer leur écosystème pour qu’il continue à évoluer dans leur intérêt : il s’agit pour elles d’établir et surtout de régulièrement mettre à jour une plate-forme technologique sur laquelle l’écosystème peut croître et prospérer » (Johnson & al.,

2010, p. 370).

Ainsi, les questionnements actuels du champ de l’innovation ouverte et de celui des écosystèmes d’affaires sont donc très proches et portent sur les logiques d’extension de l’innovation et le rôle des entreprises pivot au sein de leur écosystème pour créer de la valeur (Iansiti & Levien, 2004 ; Saglietto, 2007 ; Ronteau, 2009 ; Isckia & Lescop, 2011). Pourtant, le modèle de l’innovation ouverte par le prisme de l’écosystème d’affaires est paradoxal car il est basé sur l’ouverture à de nouveaux entrants pour créer de la valeur, mais au sein d’un Cercle très « fermé », eu égard à l’importance stratégique du choix des entreprises partenaires sélectionnées (Loillier & Tellier, 2011). Cependant, c’est de cette « sélection » que dépend le processus d’innovation crée par le partage des relations et des savoirs communs des acteurs de l’écosystème d’affaires. En cela, l’opposition systématique entre innovation ouverte et fermée, notamment lorsqu’il s’agit d’écosystèmes d’affaires ou de plateformes, réduit l’analyse et la compréhension du phénomène (Isckia & Lescop, 2011).

Il est ainsi nécessaire d’exploiter des savoirs externes pour innover, que cela passe ou non par une plateforme technique. En outre, le processus de développement des compétences écosystémiques

procède d’une démarche volontaire et repose sur un dispositif de pilotage formel mis en place par le ou les promoteurs du projet stratégique. L’intention stratégique préside donc au développement des écosystèmes (Fréry, 2012). La plateforme souligne le rôle de l’expérimentation dans la naissance d’un EA : elle permet de mettre sous tension les acteurs dans une logique projet et de faire l’inventaire des compétences permettant d’atteindre les objectifs visés (Fréry & al., 2012, Loilier & Malherbe, 2012).

3. Des stratégies collectives pour la stabilité et la survie des organisations dans leur