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Conclusion du chapitre

Chapitre 2 : Conception de la stratégie et Ecosystèmes d’Affaires

3. Des stratégies collectives pour la stabilité et la survie des organisations dans leur environnement

3.3. Les mécanismes de coordination

Le principal déterminant de la coordination des stratégies collectives est la plateforme, socle du système. Cependant, ce « poumon » s’alimente d’un certain nombre d’autres paramètres, dont toute la difficulté consiste à les maîtriser. Ce qui donne finalement un certain degré d’indéterminisme aux actions des entreprises leaders. Ces paramètres, cependant, relèvent en grande partie des volontés des hommes de favoriser ou non leur mise en œuvre. On pourra toujours relever une part d’imprévus dans les actions menées, mais dans la mesure où ces dernières sont réalisées de façon concertées et collégiales, un réajustement est toujours possible.

Toutefois, les stratégies collectives renvoient à d’autres problématiques plus générales sur leurs conditions de stabilité, qui peuvent être remises en cause en « interne » ou par des facteurs externes. Cette notion de stabilité a été largement débattue dans de nombreux travaux académiques faisant référence notamment aux « nouvelles théories de la firme » (théorie des coûts de transaction, de l’agence et des droits de propriété). Faut-il alors considérer la plateforme sous l’angle d’un « équilibre instable » (Stanley, 1999 ; Pellegrin & Gueguen, 2004) ? Si les risques d’appropriation des compétences (connaissances, technologie) par l’un des partenaires sont tout à fait réels, la stabilité de la plateforme peut être remise en cause. Il convient dès lors de prendre en compte les mécanismes de coordination (Assens, 2003).

Le courant sociologique affirme que la coopération relève davantage du comportement des acteurs ou de la politique. Il considère que, au-delà des contrats permettant de réguler les transactions, d’autres règles interviennent. Il permet d’appréhender les dimensions socio-politiques des organisations et des notions propres aux individus comme l’influence, la réputation ou la confiance - alors que l’on s’attache davantage à l’objet et aux objectifs de la coopération dans le courant économique.

Un facteur de stabilité pourrait notamment être lié au rôle clé joué par le leader et par la constance et le degré de ce rôle (Pellegrin & Gueguen, 2004). La position de leader n’est pas immuable et son comportement est déterminant afin de préserver son leadership, dans la mesure où les écosystèmes d'affaires sont caractérisés par d'importantes dynamiques concurrentielles aux niveaux intra et inter-

écosystèmes. La position de firmes-pivot constitue la « clé de voute de l’écosystème d’affaires dans la mesure où elles permettent, par leur vision et leurs capacités relationnelles, de mettre sur pied un nouveau réseau de valeur » (Ronteau, 2009, p. 201). Le rôle, la stratégie, la vision de la firme-pivot sont

déterminants dans la pérennité de l’EA. Si l’écosystème d’affaires de BASF a su traverser les épreuves du temps, c’est aussi parce qu’il a été initié par le Cercle, émanation d’un dirigeant visionnaire qui aura marqué le groupe entier pendant près de 30 ans17. Par ailleurs, la direction générale de BASF cultive un management basé sur la participation, l’initiative de ses membres et sur le travail collaboratif à tous les niveaux de l’entreprise. Ces différentes caractéristiques ont été décrites dans la littérature sur les écosystèmes d’affaires comme des facteurs d’explication de la coévolution des écosystèmes d’affaires (Ronteau, 2009).

Quant aux autres acteurs de l’EA, notamment les acteurs de niche, il s’agit de spécialistes, d’experts qui n’influencent pas directement le processus d’évolution de l’écosystème d’affaires. Les

apporteurs d’affaires, eux, profitent de l’opportunité mais ne s’investissement pas totalement. Il s’agit, par

exemple, dans le cas du Cercle, des agriculteurs, des associations de consommateurs. Par ailleurs, les

entreprises dominantes sont positionnées dans des secteurs relativement stables et ancrées et cherchent

à maîtriser la valeur produite par l’écosystème pour leur propre développement. Pour notre étude de cas, il s’agit par exemple des coopératives, des IAA ou de la grande distribution. Enfin, les organisations pivot sont au cœur de relations croisées et évoluent dans des secteurs aux environnements turbulents. La dynamique d’évolution de l’écosystème d’affaires dépend d’eux et réciproquement.

Les entreprises qui adhérent à des stratégies collectives le font de manière délibérée. C’est un choix conscient et réfléchi, motivé par le désir de participer à un projet collectif potentiellement générateur de valeur pour l’entreprise. Au sein d’une plateforme, les entreprises ont intérêt à coopérer, notamment pour accéder à certaines ressources, ce qui les place d’emblée dans une situation d’interdépendance. Comme toute organisation, la plateforme doit donc concilier en permanence « intérêt commun » et « intérêt individuel ». Le leader devra donc gérer en permanence cette tension entre la création de valeur

d’être neutre (Iansiti & Levien, 2004). Les relations entre les entreprises dans une plateforme sont complexes et traduisent un mélange de coopération et de compétition (« coopétition ») qui contribue à la dynamique de la structure. Les entreprises qui rejoignent la plateforme ont également des activités complémentaires à celle du leader ou de la firme pivot et suivent une logique de spécialisation. L’existence de produits ou de services complémentaires (Nalebuff & Brandenburger, 1996) à l’offre mise en avant par la firme pivot (core offer) favorise la croissance du système par le biais des externalités de réseaux directes ou indirectes (Katz & Shapiro, 1985, 1986 ; Matutes & Regibeau, 1988 ; Church & Gandal, 1993 ; Stremersch & al., 2007 ; Isckia, 2011). Les grappes d’innovation qui résultent de ce processus collaboratif peuvent être portées par différents business models et contribuent au développement d’une compétence collective. Le leadership sera donc généralement assuré par l’entreprise qui aura su identifier et mettre en œuvre les modalités de collaboration les plus en adéquation avec les intérêts des différents partenaires. Ce faisant, l’entreprise leader assure non seulement la prospérité et le maintien de la plateforme mais aussi la sienne (Isckia, 2011).

Les frontières sont susceptibles d’évoluer au gré des coalitions entre les entreprises. Le rôle de l’entreprise leader n’est pas neutre car c’est elle en effet qui va attirer – à travers la vision du business qu’elle va promouvoir ou du standard qu’elle souhaite diffuser – différents partenaires et orchestrer les relations d’affaires. Dans ce contexte, le rôle et la position du leader seront valorisés par les membres de la communauté, dans l’intérêt d’un destin partagé par tous (idem, 2011).

La dialectique concurrence/coopération renvoie à l’un des principes fondamentaux de la notion de système et à la problématique de l’équilibre. Les plateformes se nourrissent de la théorie des systèmes. Par les régulations, la reproduction et l’apprentissage, elles développent leur capacité de résistance à l’entropie, permettant flexibilité, adaptation et pilotage par objectifs plutôt que par programmation (Mira-Bonnardel & al., 2012).

L’entreprise évolue, insérée au sein d'un environnement à partir duquel elle va tisser différents types de relations. Ces dernières sont denses, complexes et sont définies comme étant à la fois verticales, horizontales, transversales et diffuses, mais ne suffisent pas à comprendre la globalité des relations entretenues par une entreprise. L'association de ces différentes relations permet de développer

des synergies fortes et cruciales. Les relations verticales réunissent fournisseurs et clients, dans la perspective directe et immédiate de la production de biens et/ou de services. Les relations horizontales correspondent à la réunion des entreprises produisant le même type de bien. Dans le cas du partage d’une même ressource, ces entreprises sont concurrentes. Si la relation est axée sur la coopération entre concurrents, il s’agit de coopétition. Les relations transversales lient les organisations qui développement des activités différentes, dans des filières de production non concurrentes. Dans le cas d’intérêts partagés, ces entreprises peuvent se regrouper sous un modèle organisationnel associatif. Enfin, les relations dites « diffuses » sont tacites et correspondent au partage de valeurs et de croyances communes, comme la culture ou l'identité.

La compréhension des entreprises devient plus pertinente lorsque l’on analyse les relations tissées avec ses pairs et ses divers partenaires, sur la base de compétences centrales. Mais cela n’est pas suffisant car il faut également appréhender les relations indirectes entre les fournisseurs, les clients, et toutes les autres parties prenantes afin de partager un standard, une norme, un référentiel commun. Leurs liens et leurs comportements respectifs auront un impact sur le développement de la compétence centrale et par voie de conséquence, sur l'avenir de l'écosystème d'affaires.

Les types de collaboration peuvent offrir une grande diversité ; d’une part, les modes d’organisation des relations témoignent d’une complexité notable : de forme horizontale lorsque les entreprises sont en concurrence, verticale dans des situations de complémentarité, mais des liaisons transversales, incluant des firmes en situation de coopétition (Brandenburger & Nalebuff, 1995, 1997) apparaissent également. D’autre part, les modalités structurelles traduisent une échelle croissante d’implication des acteurs, allant de la mise en réseau à un degré faible, jusqu’à des formes d’alliance structurées impliquant un niveau d’engagement élevé (Fourcade, 2006).

Figure 20 : les relations entre les acteurs des écosystèmes d’affaires (adapté d’après Moore, 1996 ; Gueguen & Torrès, 2004 ; Iansiti & Levien, 2004 ; Ronteau, 2009)

Mais ces éléments ne sont pas suffisants et d’autres facteurs d’équilibre interviennent. Il semble que la confiance entre les différents protagonistes liée aux processus d’apprentissage (technologique et organisationnel) soit garante d’une certaine stabilité. La confiance reste liée à des facteurs comme l’opportunisme qui a pris une large part dans les développements de la théorie des coûts de transaction. En effet, l’existence du système contractuel suppose un degré d’opportunisme qui impose la recherche de clauses de sauvegarde garantissant les intérêts des acteurs impliqués dans la relation (Williamson, 1985). La confiance est supposée diminuer les coûts de transaction car elle évite la constitution de ces clauses qui ne peuvent être effectuées sans coûts supplémentaires.

Cette relation est perçue comme un gage de réussite et de durabilité dans le cadre de la coopération inter-firmes (Ciborra, 1991). La confiance est la « présomption que, en situation d’incertitude,

l’autre partie va, y compris face à des circonstances imprévues, agir en fonction de règles de comportement que nous trouvons acceptables » (Bidault, 1988) ou encore le « facteur clé de réussite des interactions » qui « permet de dépasser les intérêts égoïstes et de produire des bénéfices importants dans le cadre de relations coopératives entre acteurs économiques » (Baillette & Lebraty, 2002). La confiance a

été définie de différentes manières du fait de la complexité du concept et de la multitude des domaines qui se sont intéressés à son étude. La confiance mutuelle liée aux engagements antérieurs, à la réputation et à la « mémoire sociale », constitue un élément rassurant et stabilisant renforcé par la combinaison et l’échange de nouvelles connaissances et d’un savoir-faire organisationnel. La dimension relationnelle est

Firme-pivot (keystone) Dominants physiques (Physical dominators) Centresd'affaires (hub landlords) Acteurs de niche (N iche players)

aussi forte que celle des connaissances et est présente à travers des contrats moraux et de confiance, bien sûr, mais aussi commerciaux. Preuve en est d’une abondante littérature sur l’éthique des affaires et celle des réseaux, qui positionnent notamment la confiance comme un préalable à la contractualisation entre les acteurs (Jarillo, 1988 ; Puel, 1989 ; Jonas, 1990 ; Ricoeur, 1990 ; Dosse, 1995 ; Thévenot, 1995 ; Seidel, 1995 ; Misrahi, 1997 ; Ballet & De Bry, 2001 ; Peyrelevade, 2005 ; Forgues, Fréchet & Josserand, 2006 ; Flipo, 2007 ; Josserand, 2001, 2007 ; Postel & Rousseau, 2008 ; De Bry & al., 2010).

Conclusion du chapitre

En somme, les acteurs d’une plateforme adoptent des comportements stratégiques en fonction de leur profil, de la complexité de leurs relations, du degré de turbulence et d’innovation (c’est-à-dire l’environnement) (Iansiti & Levien, 2004), de la confiance, du rôle du leader, de l’institutionnalisation des routines et des règles. Ce sont les mêmes déterminants pour plusieurs organisations que pour une seule organisation, ce qui laisse à penser que l’on reproduit le même environnement. La différence est que l’environnement considéré est fabriqué, concerté et négocié (Cyert & March, 1963). Pourrait-on alors parler de « facteurs de contingence maîtrisés » pour caractériser ces déterminants ?

Certaines conditions déterminent le succès de cet environnement fabriqué, de cette plateforme : la productivité, la « robustesse » (la capacité à résister aux chocs et à s’adapter à un environnement changeant), la possibilité de créer des niches et des opportunités pour de nouvelles firmes (Iansiti & Levien, 2004), les parties prenantes (qui ne sont pas toutes des entreprises) et les valeurs sociétales que partagent les organisations de la plateforme (Moore, 1996 ; Gueguen & Passebois-Ducros, 2011).

Ainsi, l’écosystème d’affaires apparaît tour à tour comme une structure qui englobe des entreprises et comme une structure qui émerge des stratégies des entreprises. Pour autant, la notion de communauté n’est pas anodine, parce que si c’est une structure qui englobe les entreprises, c’est que l’environnement est le déterminant. Si c’est une structure qui émerge des stratégies de l’entreprise, c’est une démarche volontaire où l’objectif est d’influencer l’environnement. Le flou même de la définition de

En effet, les bases théoriques de cette recherche soulignent la contingence de l’organisation à l’environnement et l’importance des processus de décision des dirigeants dans la relation de l’organisation avec l’environnement et la continuité stratégique de l’entreprise (Watiez, 2002). Il est intéressant de prendre en considération l’environnement des entreprises qui font partie de l’écosystème dans la mesure où les stratégies des autres acteurs extérieurs peuvent avoir des répercussions sur l’équilibre de l’écosystème. C’était déjà le cas des autres types de réseaux/alliances.

« Les stratégies des firmes tierces sont susceptibles de contrer celles des

firmes qui participent à l’accord et de provoquer des débauchages et des conflits d’intérêt. Il existe en permanence la menace d’un recours à une coalition alternative, à une autre forme de coopération (telle l’acquisition d’une licence) ou à un retour à une stratégie indépendante » (Jacquemin, 1986, p. 4).

Il existe en effet des changements dans les structures mêmes des marchés qui auront des répercussions sur le développement des écosystèmes, l’entrée ou la sortie des différents acteurs (Daidj, 2011). Ainsi l’on peut s’interroger sur la part de stratégie délibérée et celle de réaction opportuniste dans la construction d’un écosystème d’affaires (Mira-Bonnardel & al., 2012). Autrement dit, entre programmation et improvisation, quelle démarche stratégique est mise en œuvre dans la naissance d’un écosystème d’affaires ?

Deuxième partie : Méthodologie, Conception et