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Futur Scénarios

3. Des outils à une philosophie de fabrique de la stratégie

3.3. L’ère de la prospective cognitive

Selon la définition de Fabrice Roubelat, il faut distinguer attitude prospective et activité prospective. La première « apparaît comme celle du décideur qui éclaire ses choix en considérant le futur

en rupture avec les cadres d’analyse existants ». La seconde « correspond (…) à la construction de grilles de lecture du futur en rupture avec les cadres d’analyse existants en vue d’une aide à la décision ». Ainsi,

« l’activité de prospective implique (…) de plus nombreux acteurs, même si le décideur peut y être

impliqué et si les études en question lui sont destinées » (Roubelat, 1996, p. 12-13).

Il est cependant impossible de partager toutes les données avec l’ensemble des acteurs concernés par la démarche prospective d’entreprise. En effet, certaines études exigent un minimum de confidentialité et certains scénarios, pessimistes par construction afin de mieux anticiper les risques, peuvent briser l’enthousiasme des acteurs (Stoffaës, 2000).

Pour autant, la prospective d’entreprise devient aujourd’hui l’affaire de tous. La compétitivité est garantie par la productivité, mais aussi par les hommes, qui font la différence. M. Schueller, fondateur de L’Oréal, résume ces propos en ces termes : « une entreprise, ce sont des hommes, encore des hommes,

toujours des hommes ». La mobilisation interne et la stratégie externe sont deux objectifs

indissociables dès lors qu’il leur est assorti un contenu adapté aux véritables enjeux du futur. En effet, « l’imaginaire et la motivation [sont] les ressorts de cette mobilisation collective interne qui [permet]

d’entrer dans le 21e siècle en gagnant » (Klein, 1996, p. 170). L’effort d’anticipation de l’entreprise et de

l’individu, est lié aux capacités individuelles et collectives à interpréter les informations issues de leur environnement direct ou non. En effet, le diagnostic prospectif doit pouvoir renseigner les managers sur les directions qu’ils peuvent prendre, et celles qu’ils doivent éviter. L’information demande un travail de recueil et d’interprétation, pour aboutir à un message pour les décideurs (Baumard, 1996). L’entreprise place sa capacité d’interprétation comme un objectif qualitatif prioritaire et organise sa démarche prospective en conséquence (Kivikko, 1990). Une telle articulation conduit l’entreprise dans une politique de transformation permanente, dont le fondement réside dans la volonté d’aider l’organisation à anticiper les changements, en élargissant continuellement son périmètre d’observation.

La réussite du projet et l’action efficace de changement passent par l’appropriation intellectuelle et affective, condition nécessaire pour que cela se traduise demain en actions bénéfiques pour l’entreprise (Klein, 1996). Cette appropriation nécessite une motivation et une mobilisation individuelle et collective durables autour d’un projet futur, d’une vision commune. Les actions de sensibilisation, comme les séminaires, menées de façon permanente par la cellule prospective introduisent la transdisciplinarité et le décloisonnement des structures et des mentalités. L’objectif est de gagner l’adhésion des membres de l’organisation afin qu’ils s’emparent des travaux d’anticipation impulsés par la direction.

Ainsi, la prospective d’entreprise apparaît comme un véritable enjeu d’apprentissage pour l’organisation afin de mieux prévenir les discontinuités, et assurer un renouvellement permanent de la perception des managers. Elle nécessite une coordination, un état de veille et l’intégration constante des diagnostics prospectifs à la stratégie. En d’autres termes, elle exige continuellement « d’apprendre et de

désapprendre » (Hedberg, 1981, p. 3). L’entreprise doit apprendre à s’appuyer sur des « savoirs conjecturaux » (Détienne & Vernant, 1974, p. 25) et sur ses connaissances pratiques (Nyiri & Smith,

1988). Elle doit les intégrer à la réflexion stratégique de l’organisation afin de préserver sa pérennité et son aptitude à anticiper ses futurs possibles.

Si la prospective stratégique avait une devise, elle se résumerait en ces termes : travail et participation, qui doivent coexister (Lesourne, 1996). En effet, la prospective d’entreprise joue de la participation et entre dans le projet de l’entreprise. Elle ne remplit pleinement son rôle utilitaire que si elle est comprise et adoptée par le plus grand nombre. Elle met en œuvre une relation d’apprentissage destinée à orienter l’organisation vers le marché tout en élargissant son périmètre d’observation, par le biais d’une vision partagée. Ces démarches se dessinent ainsi comme un nouveau chapitre de savoir- faire de gestion, capable de contribuer au rassemblement, à la mobilisation des cadres et de leurs collaborateurs, mais aussi à la communication interne. Dans cette perspective « pédagogique », la réflexion prospective doit intégrer tous les niveaux (Stoffaës, 1996, p. 35). Cette « prospective

pendant une durée suffisamment longue pour collecter les données chiffrées, procéder à une rétrospective, construire un système de référence, définir les scénarios et les chiffrer. L’équipe se concentre sur elle-même, dans un souci de profondeur et de cohérence de la réflexion, mais doit également s’ouvrir sur l’extérieur, notamment vers les porteurs d’information et les décideurs de l’organisation. La démarche est inévitablement vouée à l’échec si la direction ne participe pas à l’effort de prospective stratégique, au moins « lors de la définition de la mission, lors de l’élaboration du système de

référence, et lors de la présentation des scénarios et de leurs conséquences chiffrées dans le temps et dans l’espace » (Lesourne, 1996, p. 75).

Ces propos méritent une précision sur les notions de participation et par extension, de management participatif. La recherche de modèles participatifs s’est développée à partir de la critique des relations humaines. Ce type de théorie, notamment développé sous l’influence d’auteurs comme Mac Gregor ou Argyris, prend en compte les capacités et les exigences cachées des travailleurs en créant des structures qui leur soient adaptées de façon à augmenter la productivité et à assurer une meilleure adéquation entre l’organisation et leurs attentes (Sainsaulieu & al., 1983). Participer a le sens de prendre part à une action exigeant plusieurs acteurs, agissant et coopérant de concert. Le système participatif accorde une part de responsabilité aux personnels d’une organisation. Pour cette raison, le concept de participation est généralement associé à celui du management participatif (Mahé de Boislandelle, 1998). Ce dernier laisse le champ libre aux décisions décentralisées, accorde aux groupes un rôle intégrateur et substitue au contrôle hiérarchique la confiance et la communication. Il instaure ainsi une logique de responsabilité plutôt que d’obéissance (Follett, 1924).

Cependant, il ne faut pas confondre les notions de management participatif et la participation, prise au sens d’autogestion (c’est-à-dire se gérer soi même). Le fait de permettre à des salariés d’acheter des parts de l’entreprise, renvoie à la notion d’ « organisation démocratique » (Sainsaulieu & al., 1983). Renaud Sainsaulieu résume ce qu’il appelle le « participative management » en une série de principes afin de le comparer au fonctionnement collectif. Ce dernier est proche des modèles de gestion participative, les différences tenant davantage aux objectifs qu’aux principes d’organisation effectifs (idem,

1983). Le fonctionnement collectif crée un autre modèle d’organisation que celui des modèles dominants en érigeant l’individu comme un acteur. Un nouveau modèle d’interactions se forme dont le fondement est la participation (Rothschild-Whitt, 1978 ; Rothschild-Whitt & al., 1986, 2001).

Principes Management participatif Fonctionnement collectif

Autorité

Repose sur l’assentiment du groupe de travail. Cependant le travailleur doit être encadré et traité par une autorité, des sanctions et des récompenses.

Elle peut avoir un rôle de contrôle dans la mesure où celui-ci a été négocié

Repose sur l’élection, mais celle-ci a un rôle avant tout d’animation plutôt que de contrôle.

Organisation formelle

Repose sur un système de délégation, le supérieur ayant rôle de délégué pour son groupe, dans certains cas il pourra être élu.

Rejet de l’organisation formelle, mais il peut y avoir un système de délégation si l’élection en est à la base.

Structures d’organisation

Permettent l’intégration des individus en s’adaptant à leurs motivations psychologiques. Il faut donc créer des structures qui permettent d’assurer des champs de « succès psychologique » aux individus qui le désirent.

Apportent plus de satisfaction au travail

Adéquation aux normes

Point central du dispositif.

Engagement profond du salarié envers l’organisation, au nom de l’efficacité organisationnelle. L’embauche et la cessation d’activité se font à partir de l’adéquation aux normes et à la culture de l’organisation, à partir de la capacité d’engagement personnel des salariés.

Point central du dispositif.

Engagement profond du salarié envers l’organisation, au nom de l’idéologie collective.

L’organisation aura besoin d’un personnel qui ne se sentira pas

menacé par le succès

psychologique, l’estime de soi, la responsabilité personnelle et l’engagement profond, mais qui les valorise effectivement