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Introduction du chapitre

1. Les théories classiques du changement

1.2. Les modèles du changement

1.2.1. Changement incrémental ou par amélioration continue

Le changement agit à la fois sur les composantes qui caractérisent l’entreprise et sur celles qui l’animent. Ce principe de globalité impose une vue globale du changement même s’il ne concerne qu’une partie de l’entreprise. Une rupture, c’est-à-dire une déstabilisation de la situation existante instaure un déséquilibre de l’entreprise. L’instauration d’un nouvel état, à travers un processus de changement requiert la participation de tous les collaborateurs de l’entreprise. Malgré ce principe d’universalité, le changement est un phénomène chaotique qui ne peut être maîtrisé par la détermination de causes et d’effets. Il peut, tout au plus, être guidé, mais il est quasiment inéluctable, selon le principe

d’indétermination (Grouard & Meston, 1998).

Le changement advient ainsi soit en rupture avec l’existant (revolutionary model) soit par déformation progressive, autrement dit, par amélioration continue (evolutionary model). Les périodes de crises sont favorables aux changements (Argyris & Schon, 1978, Probst & al., 1992). Lorsque les règles du jeu (concurrence, technologie, réglementation) changent radicalement, lorsque l’entreprise vit une situation de crise (modèle déterministe) ou lorsqu’elle décide d’anticiper une crise potentielle (modèle volontariste), seul un changement entraînant un saut quantique dans l’amélioration des performances et des comportements permet à l’entreprise de se repositionner.

Une synthèse de comparaison de ces deux approches, est présentée dans le tableau ci-dessous, inspirée des travaux de Grouard & Meston (1998).

Changement par rupture Changement par amélioration continue Principe fondateur Le changement exige le déséquilibre de la

situation existante pour vaincre les inerties existantes

Pas de rupture si l’organisation progresse de façon continue Traumatismes financiers et humains créés par la rupture

Objectifs Performance rapide Amélioration progressive de la

performance par apprentissage continu de l’organisation

Démarche Top-Down Bottom-Up

Formation Rôle du management Définir la vision

Planifier et suivre l’exécution

Créer les conditions d’apprentissage permanent

Coach Risques potentiels Résistances fortes

Traumatismes dans l’organisation Sous-estimations des moyens nécessaires

Evolution trop lente pour faire face à une éventuelle rupture de l’environnement

Tableau 2 : Comparaisons des changements par rupture et par amélioration continue (d’après Grouard & Meston, 1998)

Mais la plupart des changements dans les organisations ne résultent ni de processus ou de forces extraordinaires, ni d’une imagination, d’une obstination ou d’une aptitude hors du commun, mais de processus routiniers reliant l’organisation à l’environnement (March, 1991). Cette capacité d’apprentissage continue et progressive de l’organisation permet d’éviter les ruptures et les crises internes. En revanche, elles « peuvent stimuler le changement mais ont un coût social et humain fort » (Senge, 1992, p. 40). On l’a vu précédemment, les choix des individus sont parfois guidés et influencés par des éléments extérieurs, provoquant l’apprentissage et le changement. La réponse de l’organisation est toujours fondée sur la répétition des actions et sur l’adaptation graduelle (réorientation, révolution, métamorphose, adaptation). Les processus d’intégration et de différenciation permettent l’ajustement dynamique de l’organisation à son milieu (processus adaptatif) (De La Ville, 1998). Par ailleurs, la mise en œuvre du changement par amélioration continue est davantage adaptée lorsque le changement est lié à l’activité quotidienne du personnel. Il permet une adaptation progressive, un réel apprentissage dans une relative

stabilité. Dans ce même ordre d’idée, le Kaisen12, développé au Japon, implique une amélioration faisant

participer le maximum de personnes pour une dépense relativement faible. Ce concept est relié à une philosophie de vie qui suppose des efforts constants d’amélioration et dont l’objectif est la réalisation simultanée du « QCD » (Qualité, Coût, Délai).

Finalement, ces deux approches de mise en œuvre du changement, loin de s’opposer totalement, peuvent cohabiter et se renforcer l’une l’autre. Il est vrai que le changement par rupture est lié à un processus transversal de la décision stratégique alors que l’amélioration continue est associée à un processus fonctionnel des niveaux opérationnels. Cependant, la rupture est à l’origine du changement, et l’amélioration continue est garante de sa pérennité en permettant le développement des objectifs initiaux définis par la direction dans le cadre de la vision globale. Elle témoigne de l’appropriation réelle des initiatives de changement par l’ensemble de l’organisation et de sa capacité d’initiative et d’autonomie. Si la direction générale implique ses cadres intermédiaires dans la fabrique de la stratégie, rien n’empêche de combiner changement radical et incrémental. Cela impliquerait toutefois de considérer que le changement radical, forcément induit par un événement majeur, précéderait les actions de changement menées progressivement par les membres de l’organisation. La direction impulserait une nouvelle stratégie, visant à rompre avec une situation existante, et les collaborateurs s’exécuteraient, ce qui permettrait de réajuster la stratégie initiale. Il y aurait alors forcément une boucle de rétroaction qui favorise de nouveaux changements.

Les organisations réticulaires, de plus en plus nombreuses, exploitent cette complémentarité. Ces organisations sont conçues pour maintenir leur stabilité dans des milieux dynamiques et évolutifs (Beer, 1988) et être en état « d’homéostase » (Jayaratna & Rogers, 1996), c’est-à-dire être en harmonie avec leur environnement. L’organisation s’ajuste par rapport aux changements externes et se stabilise à un nouveau point d’équilibre. Quant aux changements internes à l’organisation, en principe, ils déstabilisent d’abord les relations internes qui sont rétablies à un autre niveau par ajustements des structures, des canaux de communication et des transmissions de messages.

La majeure partie de la communauté scientifique en management partage cette vision du changement qui repose sur le principe d’une alternance entre des phases de rupture et des phases d’amélioration continue destinées à ancrer ces évolutions. L’on fait notamment référence à l’éclairage apporté par Weick & Quinn (1999) pour l’appréhension des transformations de l’organisation selon leur engagement dans des phases de rupture ou d’évolution continue, mais aussi à Joyce & Hrebiniak (1985) qui ont travaillé sur la prise de décision et les démarches plus ou moins volontaires en faveur du changement.

Aujourd’hui, la question n’est plus véritablement de savoir si le changement est contraint ou déterminé, par amélioration continue ou par rupture. Ce qui mobilise les questions de recherche de ce début de XXIe siècle, ce sont les pratiques managériales destinées à piloter ce processus dynamique de changements et par là-même, l’innovation.

1.2.2. Les « moteurs » du changement

Comprendre les implications des changements organisationnels opérés par les entreprises reste un sujet relativement permanent dans la recherche en stratégie. Des études récentes traitant d'un grand nombre de théories sur le changement (Van de Ven & Poole, 1995) et passant en revue plusieurs études empiriques (Barnett & Caroll, 1995) mettent d'ailleurs en exergue le besoin de davantage de travaux dans ce domaine (Vas, 2000). Privilégiant les approches multiples de l’organisation, Van de Ven & Poole (1995) ont axé leur réflexion sur les tensions pouvant se révéler à l’origine d’une transformation. Ces conflits sont induits d’un côté par la structure de l’organisation et, de l’autre, par les actions des individus au sein de cette structure. De leur étude de ces interactions a émergé une matrice, qui fait aujourd’hui figure de référentiel, présentée ci-après.

Unité d’analyse du changement E nt ité s m ul tip le s Evolution Linéaire, irréversible

Variation Sélection Rétention

Dialectique

Thèse, antithèse, synthèse

Antithèse Conflit Synthèse Thèse E nt ité u ni qu e Cycle de vie

Récurrente, discontinue, avec des séquences de variations

Croissance

Démarrage Récolte Déclin

Téléologique

Cycle avec planification et contrôle

Evaluer les écarts

Implémentation Apprentissages des objectifs

Définition des objectifs

Prescrit Construit

Moteurs du changement

Figure 5 : Le cadre de référence de l’identification du changement (d’après Van de Ven & Poole, 1996 ; Autissier & al., 2010)

L’axe horizontal, le « moteur du changement », classe la transformation de l’organisation en fonction de son caractère prévisible ou non. L’axe vertical, « l’unité du changement » propose deux unités d’analyse, selon que le changement concerne une seule entité de l’organisation (par exemple un individu, ou un groupe comme un service de l’entreprise) ou de multiples entités (plusieurs populations distinctes). Il en ressort quatre grandes typologies : la théorie évolutionniste où les organisations se créent et se défont au gré d’un processus de sélection naturelle, réglé selon des lois établies par le secteur ; la théorie du cycle de vie où une entité se développe selon des étapes similaires à toutes les autres : le démarrage, la croissance, la récolte puis le déclin. La théorie dialectique met en exergue les conflits et la concurrence qui existent entre les entités multiples qui soutiennent des avis contradictoires (d’où les notions de thèse et d’antithèse). De ces conflits jaillit un consensus (synthèse) qui deviendra par voie de conséquence une organisation, une thèse, jusqu’à la prochaine évolution. Cette thèse est propice à une période de stabilité au sein de l’organisation. Enfin, la théorie téléologique où le changement s’établit au sein d’un cercle vertueux, constructif où chaque action est vouée à atteindre un objectif

préalablement défini, évalué. Puis l’expérience et l’apprentissage viennent remettre en question l’organisation et amener la définition de nouveaux objectifs.

Ces quatre catégories ont été nuancées par leurs auteurs de manière à proposer jusqu’à seize niveaux du changement. Sans aller jusqu’à un tel niveau de détail, nous remarquerons que les quatre typologies exposées dans la matrice ne sont pas cloisonnées entre elles. Une modification de l’organisation peut être classée dans plusieurs cases à la fois et il est même recommandé de « mixer ces

théories du changement pour mieux rendre compte de la complexité et de la réalité des transformations organisationnelles » (Autissier & al., 2010, p. 222). Les influences du changement sont en effet présentes

à la fois à l’intérieur et en dehors de l’organisation, de même que les moteurs peuvent être multiples. En 2005, les deux auteurs ont même ajouté au modèle la prise en compte du facteur temps (interaction avec l’évolution du changement) et de la perception de l’organisation (vue comme la somme de plusieurs flux et de processus, ou identifiée comme un acteur social à part entière). Tout modèle comporte de la place pour l’amélioration et l’interprétation, et celui-ci n’y échappe pas. Il demeure cependant un cadre fort intéressant à la compréhension de la formation des changements au sein de l’organisation, et sur lequel nous nous appuierons au cours de notre analyse.