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Introduction du chapitre

2. La permanence du débat des rapports de l’entreprise à son environnement

2.2. L’alignement stratégie-structure-environnement

Les perspectives théoriques qui se sont attachées à définir les phénomènes organisationnels reposent sur des hypothèses apparemment opposées quant à la conception même de l'organisation. Pour les uns, l'entreprise est considérée comme une organisation caractérisée par des phénomènes d'inertie (Boeker, 1989 ; Hannan & Freeman, 1984 ; Kimberly, 1979). Cette approche considère l'environnement comme le moteur d'un processus de sélection des formes organisationnelles. Les organisations doivent s'adapter, trouver leur niche ou disparaître. L'écologie des populations (Hannan & Freeman, 1984) est une

des théories les plus représentatives de ce courant. Pour d'autres (Starbuck, 1965 ; Johnson, 1987), l’entreprise est caractérisée par des phénomènes d'adaptation voulus par les gestionnaires ou imposés par l'environnement. Ce second courant met en exergue le rôle proactif des gestionnaires comme moteur de changement au sein de l'organisation. Cette perspective repose sur la théorie du choix stratégique (Child, 1972) ou le rôle des membres clés de l'organisation devient essentiel puisqu'ils surveillent les changements environnementaux afin d'adapter au mieux leurs stratégies (Chaffee, 1985 ; Tichy & Ulrich, 1984 ; Andrews, 1971).

Ces théories « traditionnelles » mettent en évidence la volonté managériale d'adapter les ressources et la structure de l'organisation aux contraintes et opportunités de l'environnement. Des chercheurs se sont d'ailleurs interrogés sur les relations existant entre les courants « déterministes » et « volontaristes », examinant l'interaction entre le contexte environnemental et l'action managériale (Van de Ven & Poole, 1995 ; Pettigrew, 1985 ; Hrebiniak & Joyce, 1985).

Les théories classiques sur le changement opposent également deux natures du changement au sein des organisations. Certains modèles ont distingué le changement alpha du changement gamma (Golembiewski & al., 1976), le changement évolution du changement révolution (Hedberg & al., 1976 ; Miller & Friesen, 1980), le changement radical (Tushman & Romanelli, 1985) ou incrémentaI (Quinn, 1980 ; Pettigrew, 1985), révolutionnaire ou évolutionnaire, de premier ou de deuxième ordre (Watzlawik & al., 1978), piecemeal ou quantum (Miller & Friesen, 1980)13, simpliste ou systémique (Kets de Vries, 1995 ; Meschi, 1996). Plus généralement, on oppose la conception darwinienne, qui présente l'évolution comme une succession de petites mutations graduelles, à la conception « ponctuationniste » (Eldredge & Gould, 1972 ; Tushman & Romanelli, 1985) qui considère l'évolution comme une longue période d'équilibre ponctuée par de courtes périodes de changement radical. La théorie « ponctuationniste » ou de l’équilibre ponctué (Gersick, 1991)14 a émergé dans un grand nombre de disciplines de sciences sociales et physiques. Inspirés de ce courant, Tushman & Romanelli (1985) décrivent le processus

13 Miller & Friesen (1980) définissent « quantum » comme un changement « quantique », c'est-à-dire qui implique des

modifications profondes de la structure organisationnelle, dans un intervalle de temps réduit. Ils opposent cette notion à celle de « piecemeal », c'est-à-dire un changement graduel, pas à pas, d'ajustement de la structure.

d'évolution des organisations comme un processus alternant de longues périodes appelées périodes de convergence durant lesquelles le changement est limité à des ajustements et des périodes peu fréquentes et courtes de changements radicaux, profonds, révolutionnaires appelés réorientations ou re-création. Pour eux, la réorientation stratégique se marque par de nouveaux choix managériaux qui portent sur les croyances et valeurs de base des employés, sur les produits, marchés et technologies, sur la répartition du pouvoir, la structure de l'organisation, le type, la nature et l'étendue des systèmes de contrôle. Plusieurs recherches empiriques appuient cette thèse du changement ponctué dans de nombreux domaines (Kelly & Amburgey, 1991). L'intérêt du modèle de l'équilibre ponctué est de réconcilier la vision adaptative et inflexible de l'évolution des organisations en intégrant les perspectives de changement volontaire et déterministe. De même, l'alternance de longues périodes de convergence propices à des ajustements incrémentaux et de courtes périodes de changements radicaux issues de choix managériaux, permet de réconcilier les conceptions incrémentales et radicales du changement organisationnel.

Après une certaine accalmie, le thème du changement revient sur de nouvelles thématiques dans la mesure où ces dernières s’appliquent désormais à des contextes nouveaux : Collins & Porras (2000) insistent sur la nécessité d’une réelle vision du changement distinguant le stable de l’évolutif dans une organisation. Strebel (2000) met quant à lui en avant la bonne communication nécessaire à la mise en œuvre et la réussite d’un changement. La question du rythme du changement (Vas, 2000) est également à l’honneur car le changement s’entretient des résultats visibles qu’il produit, et de l’équilibre qu’il convient de trouver (Duck, 2000) ; ne pas aller trop vite, c’est prendre le risque de ne pas laisser à une grande partie des acteurs le temps de compréhension et d’appropriation du changement (Claveau &

al., 1999 ; Chanut-Guieu, 2002). Dans tous les cas, le changement prend du temps, parce qu’il est d’ordre

culturel et qu’il s’inscrit dans la durée (Duck, 2000).

Dans chacun de ces modèles, la première forme de changement organisationnel agit pour maintenir la culture et la structure de l’organisation tout ajustant les process de travail et les effectifs alors que la seconde forme agit pour les transformer.

Changement de premier ordre Changement de second ordre

Au niveau de l’entreprise

Adaptation Métamorphose

- Focalisation : changement incrémental dans les organisations

- Mécanismes : Incrémentalisme

Dépendance des ressources - Auteurs : Lindblom (1959), Miles & Snow (1978), Quinn (1978), Pfeffer & Salancik (1978), Pettigrew (1993)

- Focalisation : changement brisant la structure (le cadre) dans les organisations

- Mécanismes : Phases de cycles de vie Transitions de configuration - Auteurs : Greiner (1972), Kimberky & Miles (1980), Miller & Friesen (1984), Tushman & Romanelli (1985), Ginsberg (1988), Miller (1982), Mintzberg & Westley (1992), Hammer & Champy (1993), Nadler & Tushman (1994)

Au niveau industriel Evolution Révolution

- Focalisation : changement incrémental dans les industries (bien) implantées

- Mécanismes : Sélection naturelle

Isomorphisme institutionnel - Auteurs : Hannan & Freeman (1977), MacKelvey & Aldrich (1983), DiMaggio & Powell (1983), Scott (1987), Zucker (1987)

- Focalisation : Emergence, transformation, et déclin des industries

- Mécanismes : Equilibre ponctué Sauts quantiques

- Auteurs : Schumpeter (1950), Gould & Eldredge (1977), Astley (1985), Barney (1986), Miller & Friesen (1984), D’Aveni (1995) Tableau 3 : Modèles du changement dans les organisations et les industries (d’après Meyer & al., 1990 ; Chanut-Guieu & Meschi, 2003)

Si, comme nous l’avons énoncé plus haut, les travaux reposant sur les causes du changement (endogène ou exogène, contraint ou déterminé), ont constitué un socle pour la recherche sur la transformation des organisations, les questions ne se posent plus en ces termes. Le changement est devenu une constante du management moderne. Les intérêts sont marqués pour les domaines liés à l’innovation. Depuis la dernière décennie, les axes de recherche portent sur les activités des acteurs, notamment à travers un courant dénommé Strategy As Practice. Les travaux sur l’outillage gestionnaire qui contribuent aux processus de changement et d’innovation s’inscrivent largement dans l’analyse des

la réalité des organisations observées, dans lesquelles les chercheurs prennent de plus en plus part à travers leurs recherches-interventions.

Pour traiter de cela, il convient de prendre en compte le fait qu’il s’agit d’une démarche de changement, et ce, dans deux sens complémentaires. D’un côté, l’on utilise un certain nombre de dispositifs, d’outils, pour produire des choses nouvelles. Le contenu de la PSP constitue un output, qui va représenter des changements pour l’entreprise, au sens des produits et des services qu’elle va proposer. D’autre part, la démarche elle même, les outils, les dispositifs, la PSP, sont nouveaux. D’autre part, il y a deux questions complémentaires, au moins : on peut acter le fait qu’il aurait été probablement assez difficile de produire la même chose en n’utilisant pas la PSP, ou plutôt en utilisant les routines habituelles de l’organisation. Or, la direction de BASF a senti que pour atteindre son but, au sens de l’output, c’est à dire la fabrique de la stratégie, il était opportun de la fabriquer autrement. C’est la raison pour laquelle la PSP a été utilisée. Ainsi, la méthode elle-même est nouvelle. D’autant plus qu’elle est capable de produire des stratégies nouvelles et qu’elle remplit une condition jugée importante du fait que cette fabrique soit partagée, partenariale en quelque sorte. C’est, du moins, ce dont la direction de BASF a pris progressivement conscience et ce qui explique que le processus se poursuive et que le Cercle s’étende.

Stratégies, produits, services existants Nouvelles stratégies, nouveaux produits et services Méthodes de gestion et organisation existante X ?

Nouvelles méthodes de gestion et nouvelles organisations

X PSP

Figure 9 : les quatre situations possibles de la relation entre méthodes et outputs

Les quatre situations sont possibles : les méthodes (de gestion, de management) et organisations existantes produisent les stratégies et produits et services existants. On n’a pas besoin de changer de méthodes pour produire la même chose. Après la question est de savoir si les méthodes de gestion et organisations existantes peuvent produire des nouvelles stratégies, produits, services. Pour une

part oui, pour une part non. Ensuite, les nouvelles méthodes peuvent être utilisées et produire aussi l’existant, c’est possible. Au fond, si on sent qu’on a besoin de nouvelles stratégies, produits services, peut être faut il mettre en place de nouvelles méthodes et organisations pour y arriver. C’est pour cela que ce tableau peut se lire dans les deux sens.

A partir du moment où l’on observe qu’une méthode est mise en place et qu’elle est de plus en plus ambitieuse dans un double sens, - au sens où elle va adresser le niveau stratégique, et où elle va impliquer l’ensemble de l’organisation et de ses partenaires - alors entrent en jeu une question de hauteur de vue et une question de surface ou plutôt de périmètre d’application. Autrement dit, il convient de s’interroger sur le degré hiérarchique et sur le degré englobant de la méthode.

Figure 10 : Les surfaces et périmètres de conception

La figure ci-dessus présente, en abscisse, le niveau hiérarchique impliqué, et en ordonné, le périmètre concerné (au sens large, c’est à dire y compris les partenaires clients et fournisseurs). La partie du rectangle en bas à gauche est occupée par les méthodes opérationnelles locales, comme les outils de gestion des stocks dans une usine par exemple. La partie en bas à droite représente la stratégie faite par la Direction Générale, même si elle concerne ensuite tout le monde (l’on parle ici de la conception). La partie en haut à droite est celle de la PSP, telle qu’elle est devenue après son implémentation. Enfin, la partie supérieure gauche est réservée aux méthodes participatives où les gens s’expriment mais où cela ne sort pas du cercle de qualité de l’usine locale, par exemple.

Dès lors, il y a une nouvelle méthode mise en place parce que le manager a senti qu’il fallait le faire pour être capable d’atteindre un certain niveau de rupture dans les stratégies, une prise en compte des évolutions. En même temps, il a senti qu’il fallait le faire à plusieurs. De façon logique, il faut non seulement élaborer la stratégie collectivement, mais également le business qui en découle, où il faudra aussi être à plusieurs. Il s’agit donc de concevoir la stratégie ensemble pour faire des affaires à plusieurs - ces derniers étant les mêmes que ceux qui ont construit la stratégie. C’est en cela qu’il y a une forme d’intégration permise par la méthode.

Participatif/ PSP Cercle qualité

Méthodes opéra- Stratégie

tionnelles locales /DG

Niveau hiérarchique impliqué Périmètre concerné

A travers cela, nous soulignons la permanence de deux débats : le débat des rapports entre une organisation et son environnement, et le débat sur les rapports entre la stratégie et la structure. Les organisations s’adaptent et même plus que cela. Parfois, elles changent leur environnement parce qu’elles ont changé elles-mêmes leur structure, parce qu’elles ont des stratégies définies… Ainsi, l’innovation organisationnelle est une constante dans l’histoire des organisations. Il y a toujours eu de nouvelles façons de s’organiser : cela a été le cas pour les districts en Lombardie, pour les réseaux coréens ou japonais, pour la Silicon Valley, pour les structures multidivisionnelles ou les matricielles, etc. On pourrait retracer ainsi toute l’histoire des innovations en organisation, et des rapports entre ces innovations, la stratégie et l’environnement.

Nos travaux s’inscrivent dans cette logique d’analyse des innovations managériales car elle offre un cadre d’observation du processus de changement dans les organisations. En effet, les outils de gestion sont tangibles, co-construits par et dans l’organisation, et obéissent à un cycle de vie, de leur introduction à leur mort. En somme, ils constituent une clé d’entrée et un angle d’analyse des processus de changements organisationnels et des innovations managériales, étant entendu que l’on peut considérer « l’innovation managériale comme un sous-ensemble des processus de changement » (David, 1996, p. 2).

Si l’appropriation, cette phase de transfert (Pentland & Feldman, 2005) ou de Theorization and

Labeling (Birkinshaw & al., 2008) est clairement identifiée dans la littérature comme l’ultime phase avant

l’appropriation par les acteurs, rien ne garantit la survie de l’innovation. Cette recherche a pour objectif d’apporter un éclairage sur la diffusion des innovations et sur leur processus d’appropriation tant sur les acteurs que sur l’organisation elle-même. Elle apporte une analyse multi-niveaux : individuels et organisationnels. Pouvons-nous modéliser les décisions et actions stratégiques des acteurs qui influent sur les innovations ? Probablement pas, mais l’ambition de cette recherche est de représenter et de décrire les processus stratégiques des organisations à travers les acteurs et leurs pratiques. Nous entendons apporter une valeur ajoutée à l’analyse sur les innovations managériales et surtout leur

outils de gestion. C’est ce que nous appelons le courant français, nés à la fin des années 1970 dans les grandes écoles d’ingénieur de Paris pour faire écho aux travaux anglo-saxons.