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Chapitre 3. Méthodologie, design de la recherche et construction des questions de recherche

1. Une analyse qualitative à travers une étude de cas unique

1.1. La construction progressive de la problématique et du cadre conceptuel

Le point de départ de cette recherche est une Convention Industrielle de Formation par la Recherche (CIFRE) signée en septembre 1998 avec BASF France Agriculture basée à Levallois-Perret et le Laboratoire d’Investigations Prospectives et Stratégiques (LIPS) du CNAM. Nos travaux sont arrêtés en 2000, puis repris dix ans plus tard sous la direction du Pr Albert David au sein de M-Lab, une équipe de Dauphine Recherches en Management. La façon dont cette thèse a été vécue a considérablement influencé la construction de notre cadre conceptuel et dénote la façon dont se sont progressivement enrichis et construits nos cadres conceptuel et théorique. Au départ, notre recherche traite de Prospective et Développement Durable, pour arriver, des années plus tard, aux concepts de strategizing et de conception.

D’abord, notre recherche est successivement encadrée par deux directeurs de thèse qui travaillent sur des thématiques de recherche très différentes. Ensuite, elle est menée à l’intérieur de l’entreprise, puis au sein d’un laboratoire. Dès lors, nos objectifs, notre connaissance des organisations et nos perceptions évoluent avec le temps, d’autant plus que la recherche menée hors d’un cadre orienté par une entreprise avec laquelle le chercheur est contractuellement lié, apporte davantage de « liberté » quant à la mobilisation des concepts choisis pour analyser le cas d’étude. En effet, le « cahier des charges »

initial de la recherche reçu de la part de l’entreprise demande explicitement à réfléchir sur les apports de la prospective dans un contexte lié au développement durable et aux enjeux environnementaux18.

Pour répondre à cette demande, nos questionnements lors de la première présentation de nos travaux en octobre 1998 à l’équipe de direction sont les suivants : dans quelle mesure la prospective peut- elle être une réponse d’adaptation de l’organisation aux mutations environnementales ? Quels sont les apports de la prospective participative sur des enjeux non classiques (comme l’environnement) ? Plus particulièrement, jusqu’où la prospective doit-elle être participative ? En fonction de quels critères faut-il élargir les Cercles de réflexions ? Est-ce sous influence de l’environnement, ou de manière normative ?

La prospective stratégique constituait non pas tant notre objet d’étude, mais notre cadre conceptuel. Ainsi, durant les premières années de notre thèse, nous nous attachons à déterminer dans quelle mesure une filière soumise aux mutations de l’environnement doit-elle et peut-elle faire de la prospective participative, et dans quelle mesure cette dernière impose t-elle des changements internes et externes dans l’organisation ? A cette période, notre démarche de recherche est déclenchée par nos observations en interactions avec le terrain, mais c’est à travers nos lectures théoriques que nous trouvons les concepts qui nous permettent d’articuler notre démarche et de dépasser nos intuitions empiriques. En ce sens, nous adoptons à ce moment là une démarche abductive car notre point de départ est le fait observé (Peirce, 1978) : la mise en place de démarches de réflexions prospectives pour faire face aux enjeux environnementaux.

Cependant, la littérature sur la prise en compte des enjeux environnementaux (Hart & Shrivastava, 1996), sur les crises et les ruptures (Lagadec, 2000) et sur la prospective (Lesourne & al., 1996) nous apportent des éclairages empiriques intéressants, mais ne nous permettent pas, à notre sens, de mobiliser de véritables théories et de comprendre les phénomènes observés dans une vision processuelle.

de développement durable, elle peut être envisagée en toile de fond, même si la recherche aurait également pu se tourner vers les concepts de la RSE et des parties prenantes. Cette perspective de recherche constitue sans doute un champ supplémentaire d’exploration de notre travail.

A la reprise de nos travaux de thèse, c’est au travers des approches processuelle et contextuelle et des théories de l’action collective organisée que nous affinons notre problématique et trouvons nos axes de recherche nous permettant une prise de recul nécessaire par rapport à notre terrain.

En effet, les travaux de Pettigrew (1987), par les concepts de contenu (l’axe concerné par le changement), de contexte (les éléments internes et externes influençant l’évolution du contenu), et de processus (comment l’organisation change, à travers les actions des acteurs) fournissent un cadre de travail afin d’organiser les données recueillies. Plus précisément, les travaux de Moisdon (1997) et de Hatchuel & Molet (1986) éclairent sur les liens entre organisation et outils de gestion. Ceux de David (1996) sur la structure et la dynamique des innovations managériales permettent d’en comprendre les conséquences, dans la mesure où ces innovations sont le fruit d’un processus d’action collective qui vise à adapter l’organisation dans son ensemble à un contexte concurrentiel et environnemental particulièrement changeant. Ceux de Hatchuel & Weil (1999) sur la théorie de la conception aident à comprendre les processus de conception des innovations. Les travaux de Birkinshaw & al. (2008) sur la dynamique de diffusion des innovations managériales et sur leur processus d’appropriation tant sur les acteurs que sur l’organisation elle-même apportent une compréhension plus fine des phases d’implémentation et des interfaces avec les acteurs.

Enfin, le courant de la perspective de la pratique (Whittington, 2006 ; Jarzabkowski, 2004) apporte une lecture sur les « micro-pratiques » (Rouleau, 2005) des gestionnaires pour comprendre de quelles façons elles contribuent à la stratégie de l’organisation observée. La littérature sur le « Strategizing » (Jarzablowski & al., 2007) offre une perspective nouvelle sur le rôle du management intermédiaire et sur celui des consultants. Plus particulièrement, les travaux sur l’implantation des lieux de la stratégie comme « épisodes » (Hendry & Seidl, 2003), analysés à la fois en tant qu’espaces et moments, permettent de rentrer plus en profondeur sur la notion du « faire-stratégique ». Ces épisodes (work-shop, ateliers, …), éléments de la procédure de strategizing, semblent constituer une unité

d’analyse suffisamment précise pour comprendre la Prospective Stratégique Participative et pour affiner notre recherche afin de structurer la restitution des résultats de l’observation. Cependant, cette littérature envisage relativement peu le rôle des réseaux et des parties prenantes de manière plus large. C’est par le truchement de la littérature sur l’innovation que nous découvrons celles sur les plateformes et les écosystèmes d’affaires (Moore, 1996). En effet, les travaux sur les EA et les plateformes ont pour point commun de se référer à la question de l’innovation comme mécanisme de création de valeur et vecteur de compétitivité.

En mobilisant la littérature sur les processus de changement, les innovations managériales et le strategizing, notre problématique évolue progressivement. Dans un premier temps, nous nous demandons si la prospective stratégique participative permet aux organisations de s’inscrire dans un processus d’anticipation du changement et de conception d’innovations managériales. Nous cherchons à déterminer dans quelles mesures et à quelles conditions la prospective stratégique d’entreprise constitue-t-elle un outil de pilotage du changement dans un but de performance économique et sociale dans une perspective systémique ?

Ce questionnement se décline autour de deux axes de recherche :

- axe 1 : la PSP est une innovation managériale. La PSP est un outil de pilotage du changement. Il convient dès lors de déterminer sa nature, c’est-à-dire si elle si elle est orientée relations et/ou connaissances entre les acteurs dans l’organisation, son degré de formalisation puis ses degrés de contextualisation interne et externe. Autrement dit, comment la PSP favorise-t-elle le processus de changement de l’organisation ? Il convient ici de catégoriser la prospective à partir du champ sur les fonctions des outils de gestion et les modèles de pilotage de l’innovation afin de déterminer quel est le processus de conception de l’innovation produite par la PSP, c’est-à-dire répondre à notre 2e question.

- Axe 2 : la PSP est un espace de conception de la stratégie, mais aussi un dispositif initial qui peut à son tour générer des pratiques de management nouvelles, en complément ou en substitution.

Nos observations empiriques nous ayant progressivement guidé à la fois vers l’étude des dynamiques d’implémentation et de diffusion des innovations managériales et vers les structures de coopération interentreprises de plus en plus nombreuses dans les contextes changeants, notre problématique ne consiste plus tant à déterminer si la prospective est un outil de gestion, bien que cela reste à démontrer, mais à caractériser et à comprendre les configurations organisationnelles qu’elle semble avoir produit et leurs rôles dans l’alignement stratégique avec l’environnement.

Plus précisément, la reformulation de notre problématique émane de trois constats empiriques : 1. La mise en œuvre de la prospective stratégique chez BASF sur cette période de plus de dix ans représente un changement majeur dans les pratiques de management, en même temps que ces pratiques sont elles-mêmes destinées à produire du changement, c’est à dire des nouvelles stratégies.

2. Au cours de cette dizaine d’années, la démarche est devenue de plus en plus participative. Elle concernait déjà la Direction Générale, mais son périmètre d’application s’est étendu à des acteurs que l’on considère habituellement comme faisant partie de l’environnement, dans les approches classiques, à savoir clients, fournisseurs et autres partenaires d’une filière.

3. La démarche concerne, comme indiqué au point précédent, l’élaboration de la stratégie de façon participative, intégrant progressivement un plus grand nombre de partenaires. Il n’est en effet pas si fréquent qu’un périmètre aussi large d’acteurs contribue explicitement à la fabrique de la stratégie. L’on cherche ainsi à noter l’originalité dans le fait que le participatif concerne la stratégie à travers les méthodes de la prospective.

Dès lors, ces constats nous amènent à redéfinir notre problématique autour de questions plus générales afin de comprendre avec qui, quand, comment et pourquoi fabrique-t-on collectivement la stratégie ?

Finalement, le but de notre recherche est de considérer une situation de management, qui semble novatrice et originale, et de nous demander comment nous pourrions l’analyser. Nous n’avons donc pas testé une théorie pré-existante sur une situation empirique. Au contraire, notre démarche de

recherche consiste à proposer une théorie à partir d’un modèle de fabrique de la stratégie « capté sous sa forme actionnable et contextuelle » (David & Hatchuel, 2007). Cette modélisation théorique donne à ce modèle sa valeur générale.

Au terme de cette recherche, nous aboutissons à l’hypothèse que ce dispositif (la PSP)

fonctionne comme une plateforme de conception de la stratégie mais aussi comme un lieu, qui contribue au fonctionnement d’un EA plus général. Ce dernier serait non seulement contributeur, mais également central dans le dispositif.

Le cadre conceptuel que nous mobilisons est, en réalité, un résultat car le modèle conceptuel qui aboutit à identifier une plateforme de fabrique ouverte de la stratégie, que nous appelons « open strategizing platform », arrive à la fin de notre thèse. Autrement dit, nous nous situons dans une démarche relativement inductive où les hypothèses sur le modèle idéal-typique identifié constituent un résultat de la recherche et non un point de départ.

Cependant, nos matériaux ne revêtent pas toujours le niveau de détail que nous aurions obtenu si nous avions eu la même perspective de recherche à l’époque de leur collecte et nous avons procédé à de « l’hybridation de lignée », pour reprendre un terme emprunté à la théorie de la conception (Hatchuel, 1999).