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Chapitre 3. Méthodologie, design de la recherche et construction des questions de recherche

1. La prospective participative d’entreprise et le management stratégique

1.2. Une justification historique : l’homme à la conquête du futur

« Ce qui est indubitable, c’est qu’il n’y a aucune nation dans le monde, ni si polie et si savante, ni si barbare et si peu cultivée qui ne croie qu’il y a des signes de l’avenir, et des gens qui le connaissent et qui le prédisent » (Ciceron dans « De Divinatione »).

L’homme a, depuis toujours, cherché à connaître et à prédire l’avenir. Ainsi écrit Cazes dans son

Histoire des futurs : « le désir de percer le mystère de l’avenir est aussi ancien que l’humanité elle-même et (…) seules ont changé les méthodes pour donner satisfaction à ce désir » (Cazes, 1986, p. 25).

« Le futur est un concept aux contours flous qui a donné naissance à des notions aussi variées que la divination, la prophétie, la futurologie, la prospective, la science fiction ou l’utopie ». (Découflé, 1976, p. 6).

La fascination de l’homme pour le contrôle de son devenir a, en Occident, deux premières racines mythologiques qui sont, d’une part, la pénétration de l’esprit sur le réel et, d’autre part, la sûreté du coup d’œil. La première fait l’apologie de la pensée à l’image d’une Vérité platonicienne « qui n’a jamais

réellement censé de hanter la pensée métaphysique de l’Occident » (Détienne & Vernant, 1974, p. 306).

La seconde donne une dimension supranaturelle à la finesse de l’observation que l’on retrouve dans toutes les mythologies modernes des grands détectives (Dupin ou Sherlock Holmes) ou des grands hommes d’Etat. La difficulté que nous rencontrons pour explorer le futur est la faiblesse de notre faculté représentative, autrement dit, notre manque d’imagination.

Gaston De Berger utilise cette métaphore : « comme des myopes devant un

la masse confuse des montagnes, mais sans perspectives, sans profondeur, sans appréciation des distances, sans identification des objets. Aussi, comme le myope, ne regardons nous guère ce paysage que nous distinguons si mal. Jusqu’au jour où nous nous procurons des lunettes d’approche qui, à la fois, corrigent le défaut de notre vision, et mettent le paysage à notre portée » (Berger, 1964, p. 213).

Les entreprises ne dérogent pas à cette volonté de prévoir et d’anticiper l’avenir et n’ont cessé d’élaborer ou d’utiliser des modèles, des plans, des prévisions, des projections. Hamel et Prahalad comparent cette lutte de l’entreprise pour maîtriser l’avenir aux trois étapes d’une grossesse (conception, gestation et accouchement) qui correspondent « au développement de la clairvoyance et de la

prééminence intellectuelle, à la réduction des phases transitoires et à la conquête des parts de marché »

(Hamel & Prahalad, 1995, p. 54).

Les prospectivistes défendent une vision dynamique et volontaire des attitudes à adopter face à l’avenir, et recommandent une attitude pro-active pour anticiper les changements futurs (Berger, 1964) dénommés les futuribles.

Ce n’est pas un seul et unique futur qui nous attend au coin de la rue mais une multitude de futurs possibles. En fait la notion de pluralité des futurs est aujourd’hui au cœur de quasiment toute réflexion « futuriste » (Toffler, 1983, p. 222).

Plusieurs typologies sont proposées dans la littérature, notamment la prospective stratégique, la prospective exploratoire et la prospective mobilisatrice (Hatem, 1997). A chacune de ces trois approches correspondent des structures institutionnelles, des pratiques et éventuellement des méthodes distinctes.

Pour souligner ses sphères d’action, l’on identifie les prospectives supranationale, internationale, nationale, sectorielle, et dans l’organisation (Baumard, 1996). La prospective supranationale établit une

supranationales comme la Commission des Communautés Européennes, l’ONU, l’OCDE, l’ALENA, l’ASEAN, ou encore le G20. La prospective internationale est légèrement différente. Ses efforts concernent également l’évolution du monde, mais dans une perspective de mesure et de comparaison des enjeux et des stratégies nationales. Elle est réalisée par les industriels. Les phénomènes de « coopération-concurrence » et la dispersion des capitaux des grands groupes mondiaux dans des actionnariats transnationaux amènent les entreprises à s’interroger sur l’évolution de leurs champs d’opérations. Les entités chargées de telles interrogations peuvent être des associations professionnelles, des groupements d’entreprises dans le cadre d’études multi-clients confiés à des cabinets de conseil, ou les entreprises elles mêmes qui développement parfois des départements de prospective à cet effet. Par exemple, le NCMS28, est un consortium de 200 sociétés nord américaines, canadiennes et mexicaines qui fournit une ombrelle légale et logistique au sein de laquelle les membres peuvent s’adonner à une recherche et développement pré-concurrentielle. Formé sous l’égide du National Cooperation Research Act en 1984, qui protège les participants des lois antitrust, le NCMS remplit un rôle de prospective sectorielle et stratégique pour l’ensemble de ses membres29. Le critère d’adhésion est la communauté d’intérêts.

La prospective nationale est pratiquée par les entreprises et les gouvernements. La prospective gouvernementale s’inscrit dans la défense des intérêts nationaux. Elle est entourée du plus grand secret et menée par des agences d’Etat, selon la méthode des scénarios. Ses champs d’application peuvent être militaires, commerciaux, économiques, culturels ou sociaux. Elle concerne tout autant la prévision à long terme, les projets ou la prévention des menaces touchant l’économie nationale.

La prospective sectorielle concerne l’évaluation des évolutions possibles des secteurs industriels. Elle est conduite par les laboratoires, instituts et cabinets de prospective (Lipsor, Ismea, Futuribles, Gerpa, Futuris, par exemple), les administrations (Insee, ancien Commissariat général au plan) et les entreprises dans le cadre de leurs analyses des environnements concurrentiels (Baumard, 1991). En France, ce sont surtout les entreprises issues du secteur public comme la SNCF, France Télécom, EDF ou La Poste qui y ont recours, mais aussi les grandes entreprises industrielles comme BASF France, L’Oréal, Danone, ou les collectivités locales et territoriales comme le Conseil Régional de la Région Midi-

Pyrénées par exemple. La prospective sectorielle à caractère technologique est de loin la plus répandue. Elle produit des revues spécialisées comme The journal of High Technology Management Research. Dans l’organisation, la diversité et la quantité des méthodes de prospective ne connaissent pratiquement aucune limite (Buygues, 1985).

D’une manière générale, nous retiendrons qu’il est d’usage de distinguer une prospective décisionnelle, ou « ancillaire » (Jouvenel, 1972) et une prospective « cognitive » (Découflé, 1976). Le schéma ci-dessous propose une segmentation des typologies évoquées.

Figure 21 : Segmentation des prospectives mises en œuvre et positionnement de la PSP

Malgré cette diversité typologique, ces pratiques de prospective font appel à une structure de pensée et à des références culturelles communes que l’on peut regrouper au sein de cinq caractéristiques

Prospective cognitive Prospective décisionnelle Prospective supranationale Prospective exploratoire Prospective stratégique Prospective sectorielle Prospective internationale Prospective dans l’organisation Prospective mobilisatrice PSP Prospective Stratégique Participative

supporte pas la tyrannie du court terme » (idem, 1997), qui permet, au mieux, de réagir et en aucun cas

d’agir ou d’anticiper. Ce sont également des approches rationnelles car « la complexité risque de masquer

la simplicité de certains enjeux » (ibid, 1997). Elles offrent aussi des visions pour l’action par le souci

d’anticipation et la volonté d’action. Enfin, ce sont toutes des pratiques d’appropriation car « seule une

approche participative, impliquant en profondeur les décideurs et leurs conseillers dans le travail prospectif, permet de lui donner la valeur opérationnelle recherchée » (ibid, 1997).

La prospective dans l’organisation, c’est-à-dire la prospective d’entreprise ou territoriale, est la fois décisionnelle et cognitive. Décidée et mise en place par les directions générales à des fins d’anticipation pour mieux agir (« pro-agir »), on admet qu’elle est forcément stratégique. Permettant d’intégrer un grand nombre d’acteurs dans les démarches de réflexions prospectives, elle est participative ou mobilisatrice. Par ces deux axes, elle s’oriente à la fois sur les connaissances et les relations des acteurs concernés. Elle révèle ainsi les actions stratégiques que doit insuffler la direction et développe les savoirs individuels et collectifs. En ce sens, la prospective est à la fois stratégique et mobilisatrice.

L’objet de notre recherche réside dans l’observation et l’analyse de la mise en place d’une prospective stratégique participative (PSP). Elle mêle les enjeux, méthodes et outils des prospectives d’organisation, stratégique et mobilisatrice. Nous définissons plus loin ses caractéristiques en tant qu’outil de gestion et mobilisons le champ d’exploration des innovations managériales, fil conducteur de nos travaux.