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Phobie ou angoisse de castration ? Angoisse de castration de vie ou de mort ? 

1.2.  La clinique du cancer de la prostate, vectrice de réalités fantasmatiques polymorphes : castration, narcissisme et 

1.2.4.  Phobie ou angoisse de castration ? Angoisse de castration de vie ou de mort ? 

Est-ce que tout homme n’aurait pas a minima une phobie de la castration ou un îlot, un noyau comportant une phobie de la castration dans le sens où une partie de l’angoisse de castration ne serait pas élaborée car une partie de la représentation du Phallus serait dépendante de la vision et de la sensation, et donc, n’aurait pas encore acquis le stade de

représentation ? À l’instar de la psychopathologie qui grossit les phénomènes psychiques discrets et permet de les saisir, c’est ce que la clinique du cancer de la prostate nous amène à penser. En d’autres termes, cet îlot renfermerait une phobie de la castration et fonctionnerait comme un roc au sens freudien du terme, à savoir un point de butée en partie inélaborable, peut-être un équivalent du dark continent chez l’homme. Nous pourrions faire un parallèle entre le refus du féminin et la phobie de la castration – et ceci en dehors de toute considération anatomique étant donné que le refus du féminin se retrouve également chez la femme. C’est pourquoi nous pouvons faire un lien avec la domination masculine (Bourdieu, 1998) et avec le fondement de la virilité : « dans la virilité ce qui compte, c’est tout autant la hantise de l’impuissance que l’exercice de la puissance. Le fantôme de l’impuissance hante les figures, les pratiques, les affirmations viriles » (Courtine, 2013, p. 473, souligné par nous). Aussi, derrière chaque affirmation, voire derrière chaque revendication virile et/ou phallique, se cacherait, peut-être non pas tant une angoisse de castration, qu’une phobie de la castration.

Le modèle de la phobie nous permet également d’aborder le rapport de chaque sujet à sa phobie. P. Denis parle de « dépendance à sa propre phobie » ; citant Freud, il soutient que la phobie apparaîtrait comme « le substitut à une satisfaction pulsionnelle qui n’a pas eu lieu » et donc ferait partie de « la vie sexuelle du sujet, érotisée, associée alors souvent à une disposition sexuelle perverse » (2006, p. 52-53). La fixation perverse à la vision de l’érection comme substitut de la représentation du phallus n’aurait-elle pas valeur de fétiche pour se défendre contre une phobie de la castration ? Pour P. Denis (op.cit. p. 59), la solution phobique est « précaire, provisoire, toujours à reprendre et les objets qu’elle investit sont peu favorables au développement de la pensée » et citant R. Diatkine qui « disait être tout à fait d’accord avec ceux qui pensent qu’une phobie réussie est névrotique ‘‘sauf un point, c’est qu’il n’y a jamais de phobie réussie’’ ». Il nous semble que ces éléments vont dans le sens de notre hypothèse théorique selon laquelle il y aurait peut-être de manière constitutionnelle au développement psychosexuel du petit garçon, une phobie de la castration exorcisée par une fixation perverse à la vision de l’érection qui permet de pallier l’absence de représentation du phallus. Ceci serait renforcé par le poids environnemental de l’injonction virile. Pour Denis (ibid. p 81/82), « au point de départ de la phobie, c’est une forme d’excitation sexuelle que l’on trouve et cette excitation serait prometteuse de plaisir si le sujet avait les moyens de la canaliser vers une expérience de satisfaction. A l’arrière-plan de toute phobie existe un désir qui ne s’accomplira pas, une ‘‘philie’’ potentielle. Quelque chose ainsi persiste dans la phobie qui la relie au plaisir ». C’est peut-être ici aussi que réside la place si particulière de l’exercice

de la sexualité chez l’être humain. En effet, à l’instar de la proposition de Jean Cournut (2001, p. 89, souligné par lui) la question pertinente serait peut-être celle-ci : « et si derrière cette peur que les hommes ont des femmes et qui les induit à les dominer, si, en arrière plan de cette angoisse de l’irreprésentable féminin érotico-maternel, flambait une envie secrète ? Autrement dit, et si un Schreber sommeillait en tout homme ? ». Si on ajoute à cela que le versant excitant de la phobie peut être recherché et que c’est en cela que les sujets phobiques se mettent en situation d’avoir peur et aiment leur phobie pour « faire retrouver le chemin du plaisir à une excitation jusque-là non maîtrisable et, de ce fait, angoissante » (Denis, p. 82), il semble alors recevable d’avancer que la sexualité est excitante pour au moins deux raisons. Car elle permettrait à la fois d’exorciser la phobie de la castration en mettant le sujet en situation de possible castration, mais aussi car elle permettrait, par le jeu des identifications, d’accéder au plaisir secret, inavouable et inavoué, de Schreber ou en tout cas d’approcher voire de percer (?) le mystère du féminin érotico-maternel. Chaque rapport sexuel deviendrait une mise à l’épreuve de cette phobie de la castration et en en ressortant vainqueur, le sujet obtiendrait une prime de plaisir : au delà de la jouissance physique le sujet trouverait le plaisir du Moi, celui du triomphe face à un objet phobogène. Bien sûr, il est également des formes de sexualité où l’homme peut vivre quelque chose de la femme en mobilisant le jeu des identifications différemment, notamment à travers la sodomie homosexuelle, voire hétérosexuelle, avec une femme « outillée ».

Ainsi, nous pourrions avancer que les hommes souffriraient non seulement de l’angoisse de castration structurante, mais aussi d’une phobie de la castration qui leur poserait des difficultés identificatoires, si ce n’est identitaires, et mobiliserait des contre- investissements massifs plus ou moins invalidants. Le modèle de la phobie serait alors constitutionnel de la virilité et du sentiment continu d’être un homme, voire peut-être un des moteurs – parmi tant d’autres – du désir et de la sexualité. De même, si l’angoisse de castration est structurante de la névrose, il nous semble que chez tout homme (hormis, peut- être les fonctionnements psychotiques plutôt structurés autour d’une angoisse de morcellement ?) existerait un noyau phobique de la castration, moteur du désir et de la virilité. Cet élément pourrait nous permettre de distinguer les névroses des fonctionnements narcissiques en termes de place que prend la phobie de la castration. Ainsi, plus l’angoisse de castration l’emporterait sur la phobie de castration, plus on se rapprocherait d’un fonctionnement névrotique et vice versa, plus la phobie de la castration est prépondérante sur l’angoisse de castration, plus le sujet s’orienterait vers un fonctionnement limite ou

narcissique. Cette distinction, que nous comprenons d’abord au plan du dégagement diagnostique, pourrait également être envisagée au plan génétique. En effet, une place trop importante de la phobie de la castration au détriment de l’angoisse de castration pourrait entraver sa fonction structurante et nodale de celle-ci dans les organisations névrotiques.

La phobie de la castration, quand elle ne serait pas contenue ou quand elle dépasserait les capacités économiques du sujet, pourrait prendre plusieurs formes dans la réalité externe. Nous pensons particulièrement, ici, aux conduites contra-phobiques, notamment développées par Gammil (cité par Denis, 2006). En l’espèce, elles s’exprimeraient sous la forme du démon de midi mais également sous la forme du refus des traitements – ces derniers seraient peut- être à rapprocher des conduites ordaliques de l’adolescence ? La phallus girl (terme emprunté à Jacques André, 2013) du démon de midi, pourrait ainsi incarner une figure composite permettant à la fois de conjurer la phobie de la castration narcissique du vieillissement, chemin faisant, l’ombre de la mort, mais également la phobie de la castration tout court. Ou comment faire d’une pierre deux coups !

Précisons ce que nous entendons par « phobie de castration » et pourquoi le choix de cette expression. Comme le rappelle J. Cournut (2001), S. Freud, avant Inhibition symptôme

et angoisse (1926), avait conçu l’angoisse de castration comme une « terreur », terme qui,

nous semble-t-il, est plus juste, plus près de la réalité psychique vécue par le sujet masculin que celui d’angoisse. En effet, d’après le Larousse, « terreur » signifie « peur violente qui paralyse, effroi, frayeur ». Ce qui, pour nous, confine à la sidération psychique, voire à l’irreprésentable, c’est-à-dire, à l’impossibilité de lier l’excitation, de mettre celle-ci en représentations affectées, symbolisables et refoulables. Cet « irreprésentable » peut aussi renvoyer à la notion de féminin, à un « roc » au sens freudien du terme. Pour J. Cournut (op.

cit. p. 210, souligné par nous), « résolution dramatisée du complexe d’Œdipe, le complexe de

castration installe chez l’homme une peur constante, une sorte de phobie universelle, centrale et permanente, à l’origine des instances intériorisées, dites surmoi (qui interdit) et idéal du moi (qui prescrit) ». Or, la phobie pèche souvent pour son caractère précaire, peu élaboré. P. Denis parle d’une « relative carence de l’élaboration psychique des conflits » (p. 47) qui pourrait la relier à la pathologie psychosomatique en raison notamment de « l’instabilité psychique des sujets phobiques (qui) les rend plus vulnérables à des désorganisations psychosomatiques et à l’apparition de somatoses ». Cependant, certaines phobies, bien isolées, peuvent aider les gens à vivre.

Nous pourrions proposer trois destins à la phobie de la castration – et notamment à la phobie du féminin :

- un déplacement dans une phobie de la sexualité de manière générale, un évitement qui pourrait trouver son refuge et incarnation défensive dans le narcissisme moral (Green, 1983/2007, cf infra),

- une tentative pour « apprivoiser » cette phobie, de négocier avec l’excitation, notamment à travers le paradigme de la névrose,

- une tentative pour « dompter » cette phobie, l’exorciser à l’aide d’une défense maniaque, la contre-phobie, qui pourrait se retrouver dans le démon de midi mais également dans les refus de traitement.  

 

Il nous semble heuristique de maintenir en tension, non pas, d’un côté, l’angoisse de castration qui affecterait seulement les névrosés, et de l’autre, une phobie de la castration qui serait plus l’apanage des fonctionnements limites et narcissiques, mais plutôt l’existence concomitante d’un noyau ou bien d’un pôle dans le Moi porteur de l’angoisse de castration et d’un autre noyau porteur de la phobie de la castration, l’un étant plus structurant que l’autre. Et à notre sens, au gré des évènements de la vie pouvant mobiliser une castration symbolique et engager un travail de renoncement, mais également des éventuels après-coups psychiques qu’ils réactualisent, la phobie de la castration pourrait l’emporter sur un plan économique (voire dynamique et topique) sur l’angoisse de castration. Dans ce contexte, en l’absence de réaménagement du rapport au plaisir, le vieillissement serait particulièrement enclin à renforcer un tel phénomène psychique (prédominance de la phobie de la castration sur l’angoisse de la castration). Cela rejoindrait l’idée de B. Verdon (2013) selon laquelle ce n’est pas le psychisme qui vieillit mais plutôt les différentes pertes qu’affronte le psychisme au cours de la vie qui peuvent fatiguer et entamer la souplesse de celui-ci. De la même manière, il nous semble que le cancer de la prostate et ses traitements, mobilisant à la fois angoisses de mort et de castration mais également une castration dans sa réalité la plus brute, pourrait renverser, temporairement ou non, l’équilibre angoisse de castration (structurante)/phobie de la castration (désorganisante).

SYNTHÈSE DES RÉFLEXIONS ET PROPOSITIONS THÉORIQUES DE LA 

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