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CHAPITRE II : CONSEQUENCES POUR LA RECHERCHE ET POUR LE DEVELOPPEMENT

2. Perspectives pour le développement agricole

Ce travail a mis en exergue des possibilités techniques pour augmenter la production et pour réduire les coûts, notamment le temps de travail consacré à certaines opérations culturales. La maîtrise des coûts de production et notamment du poste main-d’œuvre nous apparaît être un enjeu majeur pour les producteurs dans le cadre de l’évolution institutionnelle de Mayotte qui s’accompagne d’un processus de rattrapage du Smig9 (avec des augmentations significatives chaque année) et d’une lutte intensive contre l’immigration clandestine. De nombreux agriculteurs emploient actuellement des clandestins comme

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ouvriers agricoles, peu payés (2 à 3 fois moins que le Smig local). Néanmoins, la lutte contre l’emploi de clandestins ne manquera pas d’induire, à très court terme, des effets sur l’organisation du travail au sein des exploitations agricoles avec une répercussion sur la gestion des systèmes de culture. La part de la production induite par les producteurs clandestins, relativement importante à ce jour, devrait fondre à terme. Dans ce nouveau contexte, l’augmentation de la productivité du travail apparaît nécessaire dès lors que le foncier et le travail constituent une contrainte.

Le diagnostic cultural en parcelles paysannes et les essais réalisés en station ont ainsi montré qu’il est possible de produire de la tomate sans taille, ni tuteurage, ni égourmandage, ou encore de réduire les doses d’eau et les fréquences d’irrigation en début de cycle sans pénaliser la production (Anfray, 2005). Or, nous avons vu que les opérations culturales les plus exigeantes en temps de travail sont l’arrosage et la conduite de la végétation (taille-tuteurage-effeuillage-égourmandage).

La conduite de la tomate sans taille offre aussi l’intérêt d’augmenter le nombre de tiges par pied, et par conséquent le rendement, comme nous l’avons expérimenté en 2004. Des expérimentations à valeur démonstrative seront néanmoins nécessaires pour accompagner les agriculteurs vers un changement de technique.

Nous avons vu aussi que les agriculteurs utilisaient souvent de la matière organique en fumure de fond et tendaient à diminuer les doses d’engrais minéral au profit du fumier ou du terreau quand ils en disposaient. La question de l’intérêt économique et technique de la susbtitution de l’engrais minéral par de la matière organique peut être posée. Mayotte dispose actuellement d’une seule station d’épuration située dans la capitale dont les capacités de traitement doubleront à compter de 2008. D’autres stations verront le jour à moyen terme dans d’autres villes. Se pose déjà le problème d’élimination de ces boues qui sont actuellement jetées en décharge. Des projets de valorisation de ces boues sous forme de compost pour l’agriculture sont à l’étude. L’intérêt agronomique de ce type de produit mais aussi des déchets urbains solides par rapport à l’engrais minéral et d’autres intrants organiques mérite d’être pris en considération.

Les actions techniques proposées en faveur d’une augmentation de la production de tomate et d’un allégement des charges de travail sur l’exploitation constituent un levier pour l’évolution des systèmes de culture vers une gestion moins incertaine des ressources productives.

La tomate est une culture maraîchère importante dans les zones tropicales, y compris à Mayotte où la production ne couvre pas la demande locale. Notre travail de recherche a consisté à comprendre comment les producteurs maraîchers conçoivent leurs systèmes de culture et pilotent la conduite de la tomate dans un environnement marqué par des incertitudes d’accès au ressources productives (foncier, intrants, machines agricoles), et comment la diversité des modes de conduite de la tomate qui découle de cette situation se répercute sur les performances de la culture.

Nous avons suivi pour cela quinze exploitants en 2003 et vingt en 2005 (dont six communs aux deux années), totalisant cinquante parcelles, choisis sur la base d’une typologie régionale du fonctionnement des exploitations présentant a priori une gamme de variabilité de la place de la tomate dans l’exploitation, d’objectifs et de contraintes quant à sa conduite, ainsi qu’une variabilité des conditions du milieu. Nos investigations se sont limitées à la saison sèche.

Le concept de modèle d’action a été utilisé pour rendre compte des décisions techniques de l’agriculteur et les formaliser sous forme d’un corps de règles de décision, tel que cela a déjà été réalisé sur des grandes cultures (Aubry, 1995 ; Aubry et al., 1998 ; Dounias et al., 2002 ; Aubry et Dounias, 2005) et sur la tomate (N’Dienor, 2006).

Nous avons mis en évidence une diversité de systèmes de culture maraîchers à l’échelle annuelle et à l’échelle de la saison culturale. L’accès à l’eau détermine en priorité la zone cultivable maraîchère, aucune culture n’étant envisageable sans irrigation. Les cultures maraîchères se caractérisant par des durées de cycle courtes, deux variables ont permis de rendre compte de la place de la tomate dans la sole maraîchère à l’échelle infra annuelle : le nombre de cultures successives de tomate sur la même parcelle (N’Dienor, 2006), et le nombre de cultures de tomate sur des parcelles différentes (Aubry, 1995). Ces spécificités nous ont conduits, dans notre contexte d’agriculture fortement manuelle et familiale, à redéfinir le terme de parcelle comme étant l’unité de surface délimitée dans l’espace recevant une culture donnée pendant une saison climatique et correspondant à une date de semis (une date donnée pouvant conduire à plusieurs parcelles).

Les agriculteurs sont confrontés chaque année à des problèmes d’approvisionnement en intrants, en équipements agricoles, et à l’accès au foncier pour une catégorie d’entre eux (clandestins). L’insécurité sur le foncier se décline particulièrement sur le choix des cultures, la succession et le nombre de cultures sur la saison, et par l’impossibilité pour une certaine catégorie de producteurs de cultiver plusieurs années de suite la même parcelle et par conséquent de gérer les précédents culturaux, ce qui peut influer sur le risque parasitaire à la parcelle. Des règles de précédent-suivant sont évoquées mais elles ne sont pas toujours respectées pour des raisons de manque de terres. La double culture tomate- tomate par exemple traduit l’incertitude sur le foncier, l’agriculteur décidant de cette succession par manque de terres face à une opportunité économique (prix élévés de la tomate à certaines périodes de l’année). La pratique de densités de plantation élevées et l’importance donnée à la tomate dans la sole maraîchère sont d’autres traductions de cette incertitude et se retrouvent majoritairement chez les agriculteurs qui ont peu de ressources en terres, c'est-à-dire les types gf2/b2, gf3/b2 et gf4/b2.

Face aux diverses contraintes récurrentes d’accès aux ressources de production, nous avons vu que l’agriculteur s’adapte en prévoyant des solutions de rechange qui tendent à diminuer sa dépendance vis-à-vis des fournisseurs ou prestataires de services avec par exemples le passage au travail manuel du sol pour respecter la priorité qu’il donne à la date de plantation, la production de semences de tomate, le remplacement de l’engrais par le fumier ou du compost. L’incertitude sur l’accès aux équipements agricoles se traduit principalement par le passage à la modalité « travail manuel du sol » avant une date limite de plantation (correspondant à un âge limite des plants en pépinière), et peut être ainsi source de variabilité des états physiques du milieu à l’échelle de la zone cultivable avec une partie travaillée manuellement et une autre labouré à la charrue.

Ces incertitudes d’accès aux ressources productives sont donc source de variabilité de pratiques (positionnement temporel des semis et des plantations, modalité de travail du sol, choix variétal, successions culturales, modalités de taille-égourmandage-effeuillage …), d’états du milieu (selon type de