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CHAPITRE I : LA CONSTITUTION DES SYSTEMES DE CULTURE MARAICHERS DANS

2. Résultats sur la localisation des parcelles et le positionnement de la tomate dans les successions de culture

2.1. La constitution du territoire maraîcher de l’exploitation

Comme nous l’avons montré dans le chapitre précédent, le maraîchage est pratiqué par divers types d’agriculteurs dont des étrangers Anjouanais et Comoriens en situation de clandestinité. Le statut administratif de l’exploitant maraîcher détermine le niveau de stabilité de son territoire d’exploitation. Les mahorais qui exploitent des terres en tant que propriétaires au sens du droit commun ou du droit traditionnel ont une bonne assise parcellaire et un territoire d’exploitation stable. Cependant, la plupart des producteurs étant en situation irrégulière (type b2), ils doivent négocier chaque fin de campagne avec un propriétaire foncier la zone qu’ils pourront cultiver l’année suivante. Par conséquent, la maîtrise par ce type de producteur des précédents culturaux, des délais de retour de la tomate ou encore la localisation des parcelles5 est incertaine et varie selon le type d’arrangement qu’il aura négocié avec le propriétaire pour obtenir un terrain.

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Nous rappelons que le terme de parcelle désigne ici une surface d’un seul tenant présentant une homogénéité de milieu et de conduite technique dont essentiellement le calage du cycle et la variété.

Tableau II-1 : Caractéristiques des différents groupes d’agriculteurs en termes d’accès au foncier.

Groupe foncier Stabilité foncière

Maîtrise de la localisation des parcelles de tomate Maîtrise des précédents culturaux Nombre agriculteurs (%) Type (Soquet, 2003) Gf1

Cas des producteurs mahorais

Forte. L’exploitant bénéficie d’un titre de propriété ou d’un droit d’usage coutumier Oui Oui 17 (49%) b1, b3 et C Gf2 Prêt d’un terrain en échange de défriche Faible. Le preneur change de terrain tous les ans ou 2 ans.

Rarement Non 4 (11%) b2 Gf3 Prêt d’un terrain en échange d’entretien (incluant défriche) Moyenne. Le preneur occupe souvent le terrain plusieurs années.

Oui Oui 9

(26%) b2

Gf4 Location payante ou

échange de service

Faible. Le terrain est offert au « plus offrant », et le preneur doit négocier chaque année l’occupation

Oui Non 5

Nous avons élaboré une grille d’analyse du degré de stabilité de l’accès aux parcelles, et distingué quatre groupes (Tableau II-1).

Le groupe 1 (Gf1) est constitué de Mahorais ayant une stabilité légale et sociale (types b1, b3 et

C de la typologie initiale). Ils possèdent une assise foncière qui leur permet de gérer leur territoire d’exploitation sans contrainte extérieure. Ils peuvent choisir la localisation des parcelles de tomate et décider librement des délais de retour de la tomate sur les parcelles. Néanmoins un seul agriculteur de ce groupe dit affecter ses parcelles à la tomate en fonction du type de sol (« sols riches sont pour la tomate

car culture exigeante en nourriture »). L’histoire culturale de la parcelle est généralement connue.

Les groupes 2 et 3 (Gf2 et Gf3) sont composés de clandestins. Comme tous les clandestins, ils

n’ont aucune garantie d’occupation du foncier sur le long terme et doivent libérer le terrain si le propriétaire l’exige. Néanmoins, quel que soit le groupe d’appartenance, c’est toujours le producteur qui décide des cultures et de leur conduite. Les cultures pérennes ne sont cependant pas autorisées par le propriétaire (fruitiers, cocotiers…).

Ü Le groupe 2 montre un caractère très nomade des parcelles. Le producteur est obligé de changer de parcelle tous les ans ou tous les deux ans. Différentes raisons sont évoquées pour lesquelles le producteur est contraint de quitter le terrain et de trouver un autre propriétaire : désaccord des deux parties sur le partage des récoltes, projet d’extension de la zone cultivée par le propriétaire, jalousie du propriétaire, indemnisation insuffisante du propriétaire… Certains propriétaires accordent une parcelle en échange de la défriche de celle-ci, parcelle qu’ils reprendront après une ou deux campagnes pour étendre leur champ vivier (manioc, banane…). Dans ce contexte, le producteur n’a aucune prise sur les précédents culturaux.

Ü Les producteurs du groupe 3 sont présents à Mayotte depuis assez longtemps, et ils possèdent un réseau de relations sociales et une expérience avérée dans la production agricole. Ils revendiquent une certaine reconnaissance sociale par rapport à leurs compétences techniques. L’un des producteurs clandestins, installé à Mayotte depuis 1999, a accueilli par exemple pendant plusieurs années des élèves du Lycée agricole en formation. Ce statut social leur est favorable pour négocier des arrangements avec un propriétaire foncier et pour pouvoir exploiter finalement le même terrain pendant plusieurs années de suite. Leur stabilité foncière est beaucoup moins précaire que celle du groupe 2, et on peut identifier chez ces agriculteurs des règles de succession de culture et de localisation de parcelles.

Le passage entre ces deux groupes (2 et 3) est possible : par exemple du groupe 3 au 2 pour un agriculteur qui ne s’entendrait plus avec son propriétaire et qui change de village avec l’opportunité de bénéficier d’un terrain plus grand (cas de Pet) ; du groupe 2 au 3 pour un agriculteur qui réussit ses cultures plusieurs années de suite et qui indemniserait correctement le propriétaire. Le loyer de la parcelle peut être très élevé par saison : 75 à 150 euros pour une parcelle de 300 à 400 m² (Burnod, 2002).

Le groupe 4, comme les deux précédents, est composé de clandestins. Ici le terrain agricole est

cédé par le propriétaire au plus offrant en termes de services ou de loyer payant. Si l’exploitant a une certaine maîtrise du choix de l’emplacement des parcelles de tomate pendant la saison de culture, il n’a pas le contrôle des précédents culturaux car l’occupation du terrain est renégociée chaque fin de saison et c’est un autre agriculteur qui peut recevoir le terrain en exploitation. Dans ce contexte particulier, les agriculteurs ne font pas du précédent cultural un critère de choix du terrain, même s’ils en ont connaissance. Ce sont souvent des terrains à défricher qui n’ont pas porté de cultures maraîchères depuis au moins un an.

Il n’y a généralement pas de dispersion des parcelles maraîchères au sein du territoire d’exploitation. L’agriculteur dédie un seul terrain aux cultures maraîchères dans l’exploitation avec des découpages internes correspondant aux différentes parcelles. Ces parcelles maraîchères sont toutes situées à proximité d’un point d’eau, condition indispensable à la pratique de l’activité maraîchère.

Tableau II-2 : Catégories de cultures maraîchères selon leur durée de cycle et les niveaux de consommation en intrants et en main-d’œuvre.

Catégorie cultures Durée cycle (plantation à début récolte) Durée début à fin récolte de la parcelle Niveau global intensification Revenus possibles (€/m²)

Salade 1,5 mois 15 jours Faible 1,2 à 4,4

Pet-saï, chou de chine

1,5 mois 15 jours Faible 1,4 à 4 Brède mafane 1,5 mois 1 à 2 mois Faible 1,6 à 4,5 Brède morelle 1,5 mois 1 à 2 mois Faible 1,3 à 4,3 Haricot vert 2 à 2,5 mois 15 jours Moyen Nc Chou pommé 2 à 2,5 mois 15 jours Moyen Nc Courgette 1,5 à 2 mois 1 à 1,5 mois Elevé Nc Cycle

court

Concombre 2 à 2,5 mois 1 à 2 mois Elevé Nc Tomate 2,5 à 3 mois 1 à 2 mois Elevé 1,1 à 6,3 Aubergine 2,5 à 3 mois 1,5 à 3 mois Moyen Nc Piment 2,5 à 3 mois 2 à 3 mois Faible Nc Cycle long

Oignon 4 à 5 mois 15 jours Moyen Nc

Légende : Le niveau global d’intensification traduit les consommations relatives d’intrants (semences, engrais,

fumier, pesticides) et le temps passé à l’entretien de la culture et à la récolte. - Nc : non connu

Le type de sol, la pierrosité ou encore le statut des terres sont souvent homogènes au sein de l’espace maraîcher. Un autre critère de choix du terrain maraîcher est sa proximité d’une route pour faciliter le transport des productions, nombre d’agriculteurs ne possédant pas de véhicules pour acheminer les produits récoltés jusqu’aux marchés. Pour les individus des types b2, le terrain doit être cependant assez isolé de la route pour qu’ils soient moins exposés aux contrôles de police et de gendarmerie.

On peut donc dégager des règles de localisation des parcelles maraîchères communes à tous les agriculteurs et une spécifique à ceux des groupes fonciers Gf2, Gf3 et Gf4 :

(i) Accès obligatoire à l’eau, avec des distances géographiques variables selon le système d’irrigation :

- très proche si l’arrosage est manuel à partir d’un puits ou si l’eau est pompée dans une rivière ;

- plus éloignée si l’arrosage se fait au tuyau (branchement sur un réseau hydraulique collectif par exemple) ;

(ii) Si l’histoire culturale de la parcelle est connue et que certains endroits ont été très infestés par des parasites telluriques, tels que le flétrissement bactérien des Solanacées (Ralstonia

solanacearum) ou des nématodes à galles (Meloidogyne sp.), ces endroits ne porteront pas

de plantes sensibles en tête de rotation (exemple : pas de tomate après une culture de tomate ou d’aubergine ou de piment).

(iii) Dans le cas des clandestins appartenant aux groupes Gf2, Gf3 et Gf4, la parcelle ne doit pas être visible de la route de préférence mais doit être néanmoins accessible à un véhicule pour évacuer la production.

En dehors de ces critères, il ne semble pas y avoir de localisation préférentielle des cultures dans le territoire d’exploitation, cela étant probablement relié à la relative homogénéité du sol au sein de la parcelle. En effet, la surface d’une parcelle étant très réduite, quelques dizaines de m² à quelques ares au maximum, il y a peu ou pas d’hétérogénéité apparente du sol.

La zone cultivable maraîchère comprend ainsi toute parcelle a priori, avec un accès à l’eau, et dans le cas des producteurs des groupes Gf2, Gf3 et Gf4 (représentant les clandestins), suffisamment isolée de la route.