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CHAPITRE I : LA CONSTITUTION DES SYSTEMES DE CULTURE MARAICHERS DANS

1. Méthode

Nous avons choisi de conduire des enquêtes d’exploitation et de culture en 2003 et 2005 avec les objectifs suivants :

Ü décrire le fonctionnement global de l’exploitation agricole, notamment apprécier les ressources en main d’œuvre et les stratégies de l’agriculteur. Etant donné que l’agriculture est surtout familiale, la main d’œuvre devient très vite un facteur limitant à l’intensification. Les sujets abordés sont :

- le parcellaire de l’exploitation et le statut du foncier, la superficie des parcelles suivies, les différentes activités de l’exploitant et ses objectifs, l’ancienneté dans la culture de tomate, l’accès à l’eau ;

- les productions végétales et animales ;

- la main d’œuvre de l’exploitation (familiale, salariée, entre-aide) ;

- les temps de travaux et les coûts de production pour évaluer l’importance relative des différentes opérations culturales.

Ü identifier les déterminants des systèmes de culture quant à la localisation des parcelles en début de campagne, le choix des successions et des couples précédents-suivants, le nombre de cycles culturaux ;

Ü décrire les pratiques de conduite de la tomate (du semis à la récolte) et identifier les règles de décision de mise en œuvre des différentes opérations de conduite de la tomate dans chaque scénario. Nous avons enregistré pour cela la conduite prévisionnelle de la culture de la tomate exprimée par l’agriculteur et ses réalisations effectives. A chaque fois que c’était possible, nous avons suivi la première parcelle de tomate plantée dans la saison.

Pour analyser les raisonnements des actes techniques, nous nous sommes limités, par manque de temps, à suivre une seule parcelle de tomate et non la sole, ce qui peut restreindre notre compréhension du processus décisionnel. En effet, l’agriculteur gère un ensemble de parcelles et de cultures pendant toute la durée de la campagne en y affectant différentes ressources productives dont le travail. Néanmoins, notre enquête préalable de fonctionnement global nous permet de connaître la composition de cette sole.

Pour que les actes techniques soient pleinement révélateurs des décisions de l’agriculteur, il faut qu’ils soient replacés dans le fonctionnement de l’exploitation agricole et dans son histoire (objectifs poursuivis par l’exploitant, main-d'œuvre dévolue à l’activité maraîchère…). Comme le producteur est le mieux placé pour en parler, nous avons donc privilégié les entretiens directs avec lui.

CHAPITRE I : LA CONSTITUTION DES SYSTEMES DE CULTURE

MARAICHERS DANS L’EXPLOITATION

Figure II-1 : Déroulement et contenu des enquêtes aux cours des deux campagnes de tomate.

Figure II-2 : Variables décisionnelles et règles de décision pour la gestion technique d’une sole dans l’exploitation selon Aubry et al., 1998 ; Aubry et Dounias, 2005.

Entretien (20 exploitations)

- Structure et fonctionnement de l’exploitation - Conduite de la culture de tomate (enregistrement

des pratiques)

- Programme prévisionnel de conduite 2005

Entretien (15 exploitations)

- Structure et fonctionnement de l’exploitation - Descriptif de la sole à tomate

- Conduite de la culture de tomate (enregistrement des pratiques)

- Programme prévisionnel de conduite 2003 et discussions sur les écarts prévisions/réalisations

Entretien (20 exploitations)

- Discussion sur les écarts entre prévisions et réalisations

- Enrichissement du modèle d’action Campagne 2003

Campagne 2005 (en cours de cycle)

Campagne 2005 (en fin de cycle)

6 exploitations communes à 2003 et 2005

Lorsqu’il était absent lors de notre passage sur l’exploitation, nous avons néanmoins questionné la personne qui était en train de travailler dans la parcelle de tomate, puis nous avons vérifié ultérieurement les informations acquises auprès du chef d’exploitation lors du passage suivant.

1.1. Déroulement des enquêtes

Les enquêtes d’exploitations ont été effectuées auprès de 15 agriculteurs en 2003 et 20 agriculteurs en 2005, dont 6 communs aux 2 campagnes agricoles (Adb, Lep, Mhs, Ybo, Nba, Msa). Le suivi des pratiques culturales ont porté sur un total de 50 parcelles en 2 ans.

L’analyse sur les conduites a été réalisée en deux étapes (Figure II-1) :

- 1ère étape : faire exprimer à l’agriculteur son plan prévisionnel d’actions et la façon dont il compte mettre en œuvre les opérations culturales. Sont alors notées aussi bien les modalités de ses pratiques et leurs déterminants que la façon dont il raisonne le positionnement des opérations dans le temps. - 2ème étape : enregistrer lors de nos différents passages ce qui a été effectivement réalisé sur

l'ensemble des parcelles suivies, et discuter avec les producteurs sur ces réalisations et les éventuels écarts par rapport à leur plan d’action initial. En fin de campagne, il a été souvent difficile de mobiliser les agriculteurs pour discuter sur la comparaison de l’itinéraire technique total réalisé par rapport à l’itinéraire technique prévisionnel. L’analyse des écarts entre les deux a été néanmoins possible par étapes (analyses des écarts prévisions-réalisations aux différents passages).

La lourdeur des enquêtes ne nous a pas permis d’enquêter tous les agriculteurs avec le même niveau de précision et de passer chaque semaine dans toutes les parcelles. Les enquêtes ont eu lieu avec une périodicité de 10 à 15 jours. La quasi-totalité des agriculteurs ne notant aucune de leurs interventions, et comme nous ne pouvions pas être présent dans toutes les parcelles en même temps pour observer les pratiques, la qualité des informations recueillies a posteriori sur les pratiques repose entièrement sur la relation de confiance que nous avons construite avec les producteurs et sur le rythme rapproché des visites.

Les enquêtes ont été souvent réalisées avec un traducteur car une grande partie des agriculteurs suivis ne parlaient pas correctement français.

1.2. Concepts mobilisés

Comme nous l’avons vu précédemment, plusieurs concepts permettent de rendre compte des décisions techniques portant sur la gestion des ressources productives dans l’exploitation et sur la conduite technique des cultures. Ils constituent des outils pour représenter ces décisions d’une façon partageable entre l’agriculteur et l’agronome et constituent en cela des modèles conceptuels (Juristo et Moreno, 2000). Dans une exploitation agricole, contrairement à une entreprise industrielle, l’agriculteur est le décideur unique de diverses fonctions telles que le choix et la conduite technique des productions végétale et/ou animale, la gestion des équipements et des stocks… (Aubry, 1995, 2000).

De manière schématique, les décisions qu’il est amené à prendre sont classées en deux grandes catégories (Papy, 1995) :

- les décisions concernant la gestion stratégique de l’exploitation et qui portent généralement sur le long terme : choix des cultures, plan d’investissement, main d’œuvre… ;

- les décisions techniques qui portent sur l’allocation des ressources productives aux différentes productions de l’exploitation et sur la conduite technique de ces productions (tant prévue que réalisée). On s’intéressera à cette dernière catégorie et en particulier aux décisions de conduite de la culture de la tomate.

Nous utiliserons le modèle d’action (Cerf et Sebillotte, 1988, Duru et al., 1988 ; Sebillotte et Soler, 1988, 1990) pour formaliser les raisonnements techniques des agriculteurs, et en particulier le

modèle de conduite technique d’une sole, et le modèle de décision sur les choix des rotations et de successions culturales (Aubry, 1995 ; Aubry et al., 1998a). Ces modèles comprennent des variables décisionnelles, des règles de décision et des unités de gestion, de nature différente selon l’objet de l’analyse. Dans le cas des décisions techniques d’allocation des ressources en terre et de conduite technique, nous définirons ces éléments du modèle que nous adapterons le cas échéant à notre situation.

1.2.1. Le modèle de décision portant sur la localisation des cultures et les successions de culture

Dans l’exploitation, l’agriculteur doit décider de la surface et de la localisation des différentes cultures et de leur succession au cours du temps. Il doit donc organiser la ressource terre dans l’espace et dans le temps. Pour comprendre la localisation des parcelles et les successions de culture, un certain nombre de variables décisionnelles interdépendantes ont été définies pour chaque culture (Maxime et al., 1995 ; Aubry, 1995 ; Aubry et al., 1998a) : la zone cultivable (ZC), le délai de retour (DR), les couples précédents-suivants possibles, la taille de la sole. Ces variables ont été définies dans le cas de grandes cultures, c'est-à-dire dans le cas où le territoire d’exploitation est entièrement ou majoritairement constitué de terres labourables utilisées pour des cultures annuelles.

La zone cultivable (ZC) pour une culture donnée comprend les parcelles de l’exploitation

jugées par l’agriculteur favorables à la culture, voire tolérables toujours selon lui. Cette zone cultivable peut être imposée ou limitée par des contraintes exogènes : par exemple une localisation de terrain imposée par le propriétaire foncier dans le cas du prêt du terrain à un agriculteur (cas des producteurs clandestins).

Le délai de retour (DR) est le délai séparant le retour d’une culture sur elle-même dans une

même parcelle culturale. Il est le plus souvent fondé sur la notion de risques, notamment phytosanitaires, liée au retour trop fréquent d’une même culture sur une même parcelle. Cette variable décisionnelle a été définie dans le cadre d’études sur des cultures annuelles (Aubry et al., 1998). En maraîchage où la plupart des cultures ont un cycle très court, une culture peut se succéder à elle-même pendant plusieurs cycles. Les travaux de N’Diénor (2006) ont permis d’introduire une nouvelle variable : le nombre de

cycles successifs d’une culture sur l’année (NCS) fortement lié à la longueur du cycle de la culture.

Les couples précédents-suivants possibles résultent du choix des effets précédents et suivants

que l’agriculteur cherche à favoriser ou à éviter en fonction de ses objectifs de production. Il définit ainsi pour chaque culture un ensemble de précédents culturaux possibles. Ces précédents peuvent aussi être imposés ou limités de façon exogène, afin d’éviter certains risques sur le produit.

La taille de la sole est définie comme l’ensemble des parcelles portant une même culture au

cours d’une même année culturale sur une exploitation. Elle est contrainte par ZC et DR, le rapport ZC/DR constituant la taille maximale de la sole pour la culture. La taille réelle de la sole peut varier car elle dépend aussi des ressources disponibles dans l’exploitation (terre, travail…) et de contraintes exogènes (quota de production, surfaces imposées par contrat…).

A l’échelle de l’exploitation, l’agriculteur fait une hiérarchie entre les cultures pour l’affectation de la ressource terre. La mise en relation de ces différentes variables pour toutes les cultures permet de constituer des blocs de culture, définis comme « un ensemble de parcelles de l’exploitation sur

lesquelles est pratiquée une même rotation-cadre, c'est-à-dire un ensemble de successions de cultures très proches les unes des autres, car construites autour des mêmes cultures pivots » (Maxime et al.,

1995). Ces rotations cadres sont fondées sur les cultures prioritaires pour l’agriculteur, d’autres étant interchangeables dans la succession.

1.2.2. Le modèle de conduite technique d’une sole

L’autre cadre formel pour l’analyse de la constitution des systèmes de culture est le modèle de conduite technique d’une sole. Si la parcelle cultivée est bien un lieu d’application des techniques culturales, elle n’est pas l’échelle unique de conception des conduites techniques de la culture pour l’agriculteur : en effet, pour une espèce cultivée donnée, celui-ci est généralement confronté à la conduite conjointe de plusieurs parcelles portant cette culture et dont l’ensemble constitue la sole. La sole est donc un objet de gestion technique ayant sa cohérence propre, dont dépend la conduite technique de chaque unité parcellaire. Les programmes prévisionnels de conduite peuvent s’exprimer sous forme de variables décisionnelles, de règles de décision et d’unités de gestion pour lesquelles un formalisme a été proposé (Aubry et al., 1998 ; Aubry et Dounias, 2005) (Figure II-2). Pour chaque opération culturale, on représente notamment des variables et des règles portant sur :

- les modalités possibles de l’opération (nature et doses d’engrais par exemple) ;

- les modalités des chantiers (combinaison de main-d’œuvre et d’équipements pour réaliser une opération) ;

- la structuration du temps (règles de déclenchement et de fin d’opération, règles d’enchaînement entre opérations et entre lots de parcelles…) ;

- la structuration de l’espace qu’est la sole en lots de parcelles (ensemble de parcelles d’une sole recevant une même opération culturale à la même date et/ou selon les mêmes modalités) et en lots de cultures (ensemble de parcelles d’une sole qui, tout au long du cycle cultural, reçoit le même itinéraire technique, donc les mêmes opérations culturales aux mêmes dates et selon les mêmes modalités, c'est-à-dire qui appartiennent aux même lots de parcelles au cours du cycle) ;

- et enfin l’arbitrage des priorités entre parcelles, voire entre cultures, pour des opérations concurrentes. L’arbitrage est une façon de structurer le temps, mais il peut aussi porter sur des quantités d’intrants.

Les deux modèles présentés ci-dessus proposent une représentation des décisions techniques des agriculteurs. Nous nous servirons de ces acquis conceptuels pour analyser comment les agriculteurs- maraîchers conçoivent leurs systèmes de culture et pilotent particulièrement la conduite de la tomate dans un environnement marqué par des incertitudes pour l’accès aux facteurs de production.

2. Résultats sur la localisation des parcelles et le positionnement de la tomate dans les