• Aucun résultat trouvé

La performance : les limites des critères d’efficacité classique Au cours du développement de l’entreprise H., les réunions se multiplient à propos des

Conclusion-synthèse : du projet entrepreneurial au projet de recherche

2. La performance : les limites des critères d’efficacité classique Au cours du développement de l’entreprise H., les réunions se multiplient à propos des

questions de « qualité », de « productivité » et de « rentabilité ». La notion de « performance » est au cœur des débats. L’exemple du conflit qui émerge suite à l’introduction d’un « management des opérations » par S.P. permet de saisir ces difficultés.

2.a. L’efficacité des prestations : « opérations » versus « mise-en- scène »

Dès son arrivée dans l’entreprise H., S.P. décide de restructurer l’activité productive, qui n’est pas assez « efficace » selon elle. Elle propose alors d’introduire un « management des opérations ».

La « feuille de route » est un exemple illustratif de ce mouvement de rationalisation (voir Figure ). Ce document, emmené sur les chantiers, doit être rempli quotidiennement par les jardiniers et il est censé aider à l’organisation de la journée de travail. Dans un premier temps, la « feuille de route » est saluée par tous, car elle permet de diminuer les coûts de coordination et de suivre les avancées des chantiers de réalisation. Mais, également utilisée par S.P. pour la facturation et l’analyse des coûts de production, cet outil révèle que l’entreprise travaille souvent « à perte » sur des chantiers. Cette analyse conduit alors S.P. à générer de nouvelles prescriptions sur le temps de travail, sur les activités « rentables » à favoriser et sur les autres à éviter ou à améliorer. Cette perspective se heurte alors frontalement au discours d’E.C., pour qui les « réalisations » ne sont pas simplement des « opérations », mais également des « mise-en-scènes » de végétaux. Elle souligne de ce fait l’importance des « détails » et des « finitions » qui portent sur de multiples dimensions et prennent nécessairement du temps. Selon elle, l’activité de plantation est en grande partie

imprévisible et la « qualité » de cette prestation repose précisément sur une perception active,

Le discours d’efficacité et de rentabilité de S.P. s’oppose donc à celui d’E.C., qui se refuse à réduire la réalisation d’un jardin à des « opérations » standard. Cette situation pose un grave problème de gestion car, l’entreprise semble bien, à cette époque, absorber davantage de ressources qu’elle n’en crée. Comment rétablir le dialogue sur ces questions ? Faut-il passer outre l’avis de l’artiste ? Ne risque-t-on pas alors de réduire des prestations « artistiques » à des prestations « techniques » standard ?

2.b. La qualité des prestations : « artiste » versus « technicien »

Pour les réalisations de jardin, E.C. a jusqu’ici fait intervenir des proches. Ces salariés, en CDD, sont quasiment tous issus du monde du spectacle vivant. Techniciens ou artistes, ils n’ont pas de formation spécifique en jardinage, mais E.C. les sollicite pour leurs doubles compétences techniques et artistiques. Elle préfère donc les former elle-même au jardinage, puis les superviser directement sur le terrain, qu’avoir recours à des « ouvriers du paysage » qui ne reconnaissent souvent pas ses méthodes.

Cependant, ce type de formation prend du temps, la coordination par « supervision directe » ne permet pas de déléguer et l’intermittence des emplois pose des problèmes pour assurer la continuité des chantiers. S.P. estime donc que cette situation n’est pas tenable : « Il nous faut

‘des bras’. L’équipe n’est pas assez stable et robuste. Il faut prendre des salariés du métier. On ne peut plus continuer à recruter des jardiniers qui ne sont pas qualifiés et qu’il faut sans cesse former. On perd beaucoup de temps sur le terrain et les équipes ne sont pas assez efficaces. » Cherchant à atteindre une « taille critique » pour amortir les charges fixes de

l’entreprise, elle décide de réaliser des « fiches de postes » pour standardiser les qualifications nécessaires, recruter de nouveaux jardiniers et former des équipes performantes sur le terrain.

Mais le premier recrutement est un échec cinglant. Habitué aux méthodes de travail des « espaces verts » classiques, ce nouvel employé critique ouvertement les choix d’E.C. Selon lui, il faut acheter de nouveaux outils et des machines plus performantes pour gagner du temps sur le terrain. Son discours est alors repris en interne par les membres de la SCOP, dont S.P. E.C. se sent prise au piège et cède un temps à la pression, mais lors d’une réunion de travail P.F. s’oppose à cette situation : « Cette situation est inacceptable. Moi qui suis

musicien je n’ai jamais vu ça ! Lorsqu’un compositeur propose une œuvre à des interprètes, soit l’œuvre leur plaît et ils se mettent à son service, soit elle ne leur plaît pas et ils n’y participent pas ! C’est pourtant simple… Pour nous c’est la même chose : E.C. est la compositeur, elle a un projet, ce n’est pas aux jardiniers de donner leur avis sur ce projet. C’est le monde à l’envers !... » Cette opposition se durcit et affecte sérieusement le collectif.

Si le départ du nouveau salarié apaise un temps les conflits, l’accalmie n’est que passagère et les tensions s’amplifient. L’activité de production paraît alors en crise.

2.c. Une crise de l’activité de production : le « malaise du détail »

Dans un contexte de difficultés financières, l’opposition sur les questions de l’efficacité et de la qualité des prestations atteint un tel niveau que l’activité de production se paralyse. Alors que les jardiniers se plaignent du manque de précision des tâches pour accomplir leur travail, E.C. ne veut plus déléguer les plantations à des salariés qui ne respectent plus ses critères de « qualité » et qui ne sont pas attentifs aux « détails qui font la différence ».

Ainsi, de son côté, E.C. exprime son mécontentement face à des jardiniers qui, selon elle, ne sont pas « attentifs » lors des réalisations : « Ils [les jardiniers] ne sont pas autonomes. Je ne

peux rien leur déléguer, car ils n’ « ouvrent pas les yeux » quand ils sont sur le terrain. Dans un jardin, il faut être ‘attentif’ au moindre détail: tout compte ! » En fait, il est évident

qu’E.C. ne peut prescrire en « détail » toutes les tâches à accomplir. D’ailleurs, tout le monde s’accorde sur le fait que la formation, initiale ou interne, doit normalement permettre de coordonner le travail sur les réalisations. Pour autant, certaines modifications, qu’E.C. appelle souvent les « finitions » 118, semblent appartenir à une classe de « détails » singulière et constitutive, selon elle, de la qualité des prestations de l’EPA. Or ces « variations significatives », et qui paraissent justement pas être que des « détails » aux yeux d’E.C., impliquent souvent des modifications plus importantes que prévues et sont généralement mal acceptées par les jardiniers. Elles ne correspondent en effet pas nécessairement à des impératifs techniques et de ce fait, ne comprenant pas la signification de ces variations, les jardiniers reprochent de leur côté à E.C. d’être à la fois « imprécise » et « perfectionniste » : « Dans une entreprise normale, on planifie clairement les tâches à accomplir. Chacun sait ce

qu’il doit faire et il peut ainsi bien le faire. Nous, on est toujours obligés de défaire ce que l’on a fait. C’est très décourageant ». Ces désaccords nécessitent de multiplier les réunions

collectives pour recadrer les opérationnels et mettent à mal l’organisation de l’activité productive, nuisant de ce fait à la qualité des prestations. Ce « malaise du détail » devient coûteux pour l’entreprise.

Cette situation illustre le fait que la notion de « performance » ne va pas de soi dans le cas d’une EPA et qu’un management classique des opérations ne permet pas de restaurer des critères d’efficacité soutenables et/ou partagés. En outre, ces éléments suggèrent la nécessité d’une interrogation collective sur les conditions d’évaluation des prestations « artistiques » : à quel type de « compétences » renvoie l’ « attention » que demande E.C. à ses jardiniers ? Peut-on dépasser l’opposition classique entre « art » et « technique » ? Une telle exploration, nécessairement collective, paraît aller au-delà de la « négociation » et des « compromis » suggérés par le modèle de la « co-direction ».

118 Le terme de « finitions » est d’ailleurs trompeur, car ces modifications ne surviennent pas nécessairement à la

« fin » du chantier, comme le laisserait supposer leur appellation, mais concernent des ajustements singuliers pouvant avoir lieu tout au long du processus de plantation

3.

La co-direction : comment restaurer des objets de gestion

Outline

Documents relatifs