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La caractérisation de l’activité artistique en tant qu’activité de conception

4  Utilisation de méthodes artistiques

« FRONT STAGE »

1. La caractérisation de l’activité artistique en tant qu’activité de conception

activité de conception. Aussi, nous commençons par resituer la place de l’artiste dans les grandes traditions de la conception. Ce détour historique permet de cerner les grandes interrogations que pose l’activité de conception en art. Nous présentons alors notre

positionnement analytique sur les crises identifiées précédemment et visant à étendre la

« grammaire d’action » (Hatchuel 2005a) classique des managers, pour les dépasser. Enfin, nous concluons cette revue de la littérature, en fournissant nos nouveaux objectifs de

recherche, le type de résultats attendus, ainsi que la démarche retenue pour les atteindre.

1.

La caractérisation de l’activité artistique en tant qu’activité de

conception

À ce stade de la thèse, il est encore difficile de statuer sur la « définition » des activités artistiques. Toutefois, il nous semble qu’il est d’ores-et-déjà possible d’avancer plusieurs éléments de caractérisation, notamment en ayant recours à l’histoire des grandes traditions de la conception. Une telle approche ne signifie pas que l’art s’assimile uniquement à une activité de conception, mais repose sur l’hypothèse que toute forme d’art implique nécessairement une activité de conception. Nous reviendrons sur cet élément dans la suite de ce travail (voir Parties 2 et 3). Pour le moment, nous nous proposons d’évaluer l’apport de travaux récents sur ces questions.

1.a. L’artiste et la tradition de l’architecte

Historiquement, les traditions de l’artiste et de l’architecte ont longtemps été confondues. Pour autant, du point de vue, des théories et des méthodes de conception, l’architecture a ensuite évolué vers un corpus plus systématique et rationalisé que celui de l’artiste. Comme le rappelle, Hatchuel et Weil (2002a), les Dix Livres d’Architecture de Vitruve, constituent à ce titre, les traces historiques les plus anciennes, connues à ce jour. En outre, selon les auteurs, l’effort théorique de Vitruve va progressivement permettre, à l’architecte, d’identifier une classe de propriétés « universelles » des objets à concevoir. Aujourd’hui, les auteurs font remarquer que l’on pourrait qualifier cette classe, comme étant la classe des « fonctions » des objets à concevoir. Dans la Partie 2, nous évoquerons l’intérêt, pour l’architecte, d’une telle

distanciation par rapport aux techniques et à la diversité des classes d’objets « concrets »,

ainsi que son rôle dans l’imposition de l’architectus romain, comme modèle de concepteur universel. Nous en évaluerons alors l’impact sur la tradition « artistique » de la création de jardin. Car, en effet, si l’architecte stabilise, somme toute assez tôt, des « langages de conception », indépendants des objets à concevoir, qu’en est-il de l’artiste ?

À ce propos, Hatchuel et Weil (2002) précisent : « Comme l’architecte, l’artiste revendique la

paternité de sa création. Mais contrairement à l’Architecte, il ne subordonne pas son travail à la réalisation de fonctions prédéfinies. » (Hatchuel et Weil 2002, p.5) Autrement dit, la

dynamique de l’activité artistique ne réside pas dans l’exploration d’espaces fonctionnels définis à l’avance, fussent-ils nouveaux72. Les artistes semblent alors plutôt se caractériser par une logique d’exploration et d’« expansion » : « [L’Artiste] fait de la logique d’expansion

une condition sine qua non de son travail » (Hatchuel et Weil 2002a, p.5). Dans la suite, nous

reviendrons sur cette question, et tenterons alors d’évaluer l’apport d’une théorie générale de

la conception à la compréhension de cette dynamique (Voir Partie 3).

Par ailleurs, Hatchuel et Weil (2002) font également remarquer que la réception de l’ « œuvre artistique » semble spécifique, par rapport à celle de l’œuvre de l’architecte. Ainsi, alors que l’architecte doit livrer une œuvre achevée, les processus de conception en art semblent toujours renvoyer à une logique d’« inachèvement » : « On peut dire que le spectateur se voit

proposer de poursuivre la logique d’expansion de l’artiste avec ses propres moyens »

(Hatchuel et Weil 2002a, p.5). D’un point de vue gestionnaire, une telle proposition paraît complexifier l’échange marchand et elle pose la question de la validation et de la remise du travail de création, à un éventuel « client » ou « public ».

72

En conclusion, ces éléments nous permettent d’affiner nos questions de recherche à deux niveaux :

 Sur les processus de conception en art : Comment caractériser la logique

d’expansion en art ? À quels processus renvoie-t-elle ? Quels en sont les opérateurs ?

sont-ils communs à toutes les formes d’art ? Quel type de management permettrait de les gérer ?...

 La logique d’inachèvement de l’artiste : comment en rendre compte ? Quel est son impact sur l’organisation de l’activité marchande ? Peut-on la gérer et comment ?

Nous allons maintenant voir, que la tradition de l’ingénieur éclaire d’autres points pour notre étude et permet d’avancer dans notre questionnement.

1.b. L’artiste et la tradition de l’ingénieur

Hatchuel et Weil (2002) soulignent que la tradition ingénierique est paradoxale. D’un côté, entretenant un rapport inédit à la connaissance, elle fonde son développement sur une expansion continue et cumulative de connaissances techniques et scientifiques. D’un autre, elle est inséparable des notions d’invention et d’innovation, également présentes chez les artistes et les architectes, et qui tendent à rompre ce processus continu cumulatif. Selon les auteurs, cette situation paradoxale a conduit les ingénieurs à développer conjointement des

langages de validation (essais, prototypes,…), suffisamment abstraits et universels pour être

indépendants des objets de conception, ainsi que des langages de conception (ex : fonctionnels, conceptuels, physico-morphologiques73), suffisamment systématiques et cohérents entre eux, pour garantir une « originalité acceptable ». En outre, selon Hatchuel et Weil (2002), la tradition ingénierique permet de distinguer formellement un raisonnement des

connaissances de conception74. Qu’en est-il alors des artistes ?

Selon Hatchuel et Weil (2002), l’artiste moderne se distingue de la démarche cumulative de l’ingénieur et, sans s’affranchir du passé, il ne cherche pas à préserver la consistance de la mémoire antérieure. Au contraire, il peut chercher à la mettre en défaut, à la ridiculiser, voire à la nier. Autrement dit, les artistes n’ont historiquement pas eu besoin de systématiser des langages de validation. Cette remarque prolonge notre analyse précédente sur l’ « inachèvement » des œuvres d’art. Notons toutefois, qu’elle n’implique pas que les artistes ne mobilisent aucun langage de validation. Les croquis et esquisses, par exemple, peuvent

73 Ces trois classes de langages de conception ont été théorisées par Pahl et Beitz (1977) et forment encore les

fondements de l’enseignement de l’ingénierie de la conception.

74 Comme le rappellent les auteurs, cette distinction n’implique en aucun cas une indépendance de ces deux

jouer ce rôle de « guide » dans l’exploration. Ce sont d’ailleurs des objets intermédiaires de validation communs aux architectes. Mais l’arsenal ingénierique demeure incomparable. En outre, les croquis et esquisses peuvent aussi fonctionner en tant qu’« œuvre d’art » sans perdre de valeur, et ne sont pas réduits à leur éventuel rôle de validation d’une idée. Un

prototype, en revanche, ne peut fonctionner en tant que produit fini. Dans la Partie 3, nous

verrons qu’une analytique des langages de l’art (Goodman 1990, 1992) permettra alors d’avancer dans la compréhension de ces « objets symboliques ». Pour le moment, nous pouvons préciser de nouveaux axes de questionnements :

 Les « raisonnements de conception » en art : quelle est la logique de conception d’un artiste ? Quels en sont les « raisonnements » ? Sur quel type de « connaissances », au sens large (analytiques, expériences, émotives,…), s’appuie-t-il pour concevoir ? Quel rapport aux objets entretient-il ? Quel est son impact sur le management ?...

 Les langages de conception artistique : comment analyser les langages de conception en art ? En quoi se distinguent-ils d’autres langages ? Sont-ils toujours visibles et/ou

donnés à l’avance ? Sont-ils suffisants pour organiser l’activité collective ? Sont-ils

nécessairement adaptés à tout type de commande ?...

Autrement dit, la restitution des grandes traditions de la conception, sans déterminer entièrement la logique de l’activité artistique, nous a déjà permis d’étendre le spectre de nos questions de recherches initiales. Ces nouvelles perspectives nous paraissent alors confirmer l’apport du « point de vue la conception » pour notre étude des EPA.

2.

Les crises managériales des EPA : vers de nouveaux leviers

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