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L’entreprise H : les difficultés de la délégation managériale Le choix de la délégation managériale n’est pas sans difficultés Il impose de parler du projet,

Le cas de l’entreprise H : vers un nouvel agenda managérial des EPA

3. L’entreprise H : les difficultés de la délégation managériale Le choix de la délégation managériale n’est pas sans difficultés Il impose de parler du projet,

de s’en saisir et de l’évaluer collectivement, autant d’opérations qui nécessitent un langage commun de l’action et de la valeur. Lors de la création, puis au cours des premières années suivant la création de l’entreprise H., plusieurs tentatives échouent ainsi pour organiser une fonction managériale en accord avec le projet artistique. Ces échecs successifs fragilisent la société, tant d’un point de vue collectif, que financier. C’est également à cette époque que nous débutons notre collaboration avec E.C.

3.a. Le projet artistique menacé : une première tentative avortée

Entre 2001 et 2002, le projet de société se précise et E.C. commence les démarches de création. En plus de P.F., son conjoint et collaborateur dans l’entreprise individuelle, elle souhaite s’associer avec S.D. Ce troisième associé est un ami de longue date, qui a déjà une expérience d’entrepreneur. Il est fondateur et gérant d’une entreprise dans les technologies de l’image (« motion capture ») et tout semble donc encourager la collaboration. Pourtant, progressivement E.C. a le sentiment de « ne pas être sur la même longueur d’onde que S.D. ». Alors que le business plan de la nouvelle société est réalisé et que les formalités de création sont prêtes à être signées, E.C. nous demande d’assister à une réunion importante avec P.F. et S.D. Elle souhaite alors que nous lui donnions notre avis sur le projet de collaboration. Lors de cette réunion, nous constatons des divergences d’objectifs entre les collaborateurs. Alors qu’E.C. et P.F. mettent plutôt en avant des objectifs artistiques, S.D. table sur une croissance commerciale rapide, similaire à celles des « start-up » high-tech de l’époque. Les désaccords ne se réglant pas, E.C. mettra fin à ce projet de collaboration.

3.b. Préserver le projet artistique : ne plus déléguer l’action managériale ?

En fait, si E.C. est consciente que le changement de structure modifiera sa manière de travailler, elle ne veut pas que cette modification se fasse au détriment du projet initial. Sa manière de l’exprimer repose avant tout sur l’engagement et le partage de valeurs fortes. A l’époque, E.C. nous déclare : « Je ne veux pas ‘créer une société pour créer une société’. Il ne

s’agit pas uniquement de faire un ‘business plan’ et de gagner du fric : il y a un projet derrière ! Cela fait six ans que je travaille pour ça. On a fait beaucoup de sacrifices avec P.F., je ne vais pas tout lâcher d’un coup. Il faut trouver de nouvelles solutions… ».

Encore étudiant en École de Commerce, nous sommes séduit par l’idée de montrer que l’on peut « entreprendre autrement » et nous décidons d’aider E.C. à créer son entreprise. Après de multiples recherches sur la « bonne structure », la découverte fortuite du statut SCOP103 apparaît comme « le » modèle idéal de société. A l’époque, les valeurs coopératives rentrent en résonance avec le projet de l’entreprise H. E.C. déclare ainsi : « C’est une formule qui

officialise un fonctionnement qui existe déjà dans l’entreprise individuelle. La SCOP permet de faire vivre un esprit de partage et de mener une aventure collective commune. Elle permet de travailler avec des gens qui se sentent concernés et de leur donner les moyens concrets de s’impliquer. » Au-delà d’un effet fédérateur considérable, la découverte de ce statut vient

clore notre intervention dans le projet104. La SCOP est officiellement créée en février 2003 et E.C. se retrouve seule, face à la gestion de sa nouvelle structure. Elle est assez confiante car tout a été « prévu » lors de la phase de création et se persuade, qu’après tout, son « travail » ne devrait pas changer tant que cela et qu’elle connaît son activité.

En réalité, dès le mois d’avril, E.C. ne parvient plus à organiser le travail quotidien, et encore moins à gérer en parallèle ce qu’elle appelle l’ « administratif ». L’activité s’en ressent, les chantiers prennent du retard, le travail de prospection de nouveaux clients est quasiment nul, notamment pour ne pas augmenter encore davantage la charge de travail. La trésorerie de la SCOP est directement touchée et, pour la première fois depuis qu’elle est à son compte, E.C. sent qu’elle ne pourra pas faire face à certaines échéances. C’est pour elle un signe de « crise grave ».

3.c. Préserver le projet commercial : réintroduire un management classique ?

C’est à cette époque qu’entre en scène un nouvel acteur : S.P. Celle-ci suit le projet de près depuis le début et vient juste de quitter un poste de « Directrice des opérations France » dans un groupe agroalimentaire mondial. Expérimentée, professionnellement disponible et très attirée par le projet d’E.C., elle décide de « venir en aide » à la SCOP.

L’arrivée de S.P. est vécue comme un véritable élément « salvateur ». Outre son expérience significative de direction d’entreprise, elle a fait des études de lettres et se passionne pour le marché de l’art. La nouvelle associée est a donc a priori un profil parfait pour gérer

103 Société Coopérative de Production (SCOP). Pour l’anecdote, nous devons la découverte de ce statut à notre

oncle (ESCP 58), très impliqué dans le mouvement coopératif.

104 Comme notre intervention était initialement entendue comme un « accompagnement à la création », elle ne

devait pas se poursuivre une fois l’entreprise fondée. Dès 2002, nous avions d’ailleurs pris d’autres engagements, si bien qu’à l’issue des neufs mois de genèse du projet, nous nous sommes absenté pour une période de six mois à l’étranger.

l’entreprise H. Dès son arrivée, elle organise une « réunion de crise »105 pour analyser la situation et trouver des solutions à court terme. L’analyse, rapportée dans un document interne, est claire : « La SCOP a beaucoup de potentiel et le ‘concept’ est excellent. Mais la

structure a de nombreux problèmes d’organisation qui nuisent à son développement : les processus de décision ne sont pas clairs, il manque des outils de coordination, tant sur le terrain, que dans la gestion quotidienne de l’entreprise, il faut recruter pour atteindre une taille critique… » Un nouveau diagnostic managérial est donc établi : « Il faut restructurer la société ‘en douceur’. Ce n’est pas le travail d’E.C. de s’occuper de cela. Elle a déjà beaucoup à faire pour développer le projet artistique. Il faut quelqu’un qui décide en dernier recours et qui tienne compte des enjeux économiques ». L’ensemble des membres de la SCOP

s’accorde sur ce diagnostic et il est collectivement décidé que S.P. prendra en charge ce poste de « direction ».

3.d. L’impact de la prescription managériale : l’activité artistique en déroute

Pour autant, les esprits sont bientôt très tendus, notamment au sein du « binôme dirigeant » de l’entreprise. En juillet 2003, E.C. sollicite de nouveau notre intervention : « Cela ne va pas du

tout. Je ne suis plus à ma place. Je n’ai pas créé une société pour travailler comme dans une administration! [S.P.] veut ‘jouer à la marchande’ et piloter l’entreprise depuis son bureau, mais ça n’est pas possible !... Elle ne cesse de parler des ‘prévisionnels’… Personnellement, je n’en peux plus de ces ‘prévisionnels’ et des objectifs qui ne sont pas atteints. Je ne sais même pas comment elle a calculé ces prévisions, car elle n’a aucune idée de ce que nous faisons ! Je lui ai proposé de venir observer le travail sur le terrain, mais elle a refusé et dit que cela n’est pas utile. Elle est complètement déconnectée de l’activité. Il faut revoir l’analyse, cela ne correspond pas du tout au projet initial. C’est urgent, car je ne pourrai pas continuer comme ça ». E.C. ne supporte donc plus ni la place, ni la nature de

l’intervention de S.P., qu’elle vit, à la fois comme une intrusion et un obstacle, au développement de son activité de création.

Cette situation s’envenime et, à la demande d’E.C., une « réunion de crise » est organisée entre E.C., S.P., à laquelle nous sommes également conviés. Il y est question du « diagnostic managérial » de S.P., qui, peu de temps auparavant a déclaré : « La situation est très

inquiétante. Le capital social s’est volatilisé ainsi que l’argent du PCE106. Si la situation ne s’améliore pas d’ici décembre, je crois qu’il sera temps de déposer le bilan. Sinon, ‘nous allons droit dans le mur’». Cette réunion est très éprouvante et nous revenons sur de

105 A la demande d’E.C., qui insiste pour que nous continuions à participer au projet, sous une forme ou une

autre, nous revenons de l’étranger spécialement pour assister à cette réunion.

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nombreux désaccords, touchant à l’administration de l’entreprise : politique de prix, sélection des clients, recrutement, prévisionnels… S.P. n’accepte pas cette remise en question et décide de démissionner de la société.

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