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Jardins contemporains : nouveau référentiel artistique et réminiscences « topiaristes »

Le cas de l’entreprise H : vers un nouvel agenda managérial des EPA

I. A Brève généalogie 77 des référentiels artistiques du jardin

5. Jardins contemporains : nouveau référentiel artistique et réminiscences « topiaristes »

Si l’époque moderne voit la montée d’un nouveau rapport à la conception de jardins, celui-ci ne se substitue pas au référentiel artistique précédent. En fait, on peut même dire que, de nos jours, d’un point de vue « professionnel », le second demeure encore dans l’ombre du premier.

5.a. Le jardinier et le paysagiste, au travers des portraits de R. Page (1906-1985) et G. Jellicoe (1900-1994)

Comme nous l’avons montré, durant l’antiquité, le topiarius romain fait face à un architectus dominant. Par comparaison, on peut constater que, durant l’époque contemporaine, cette opposition s’est en quelque sorte réactivée entre l’ « achitecte-paysagiste » et le « jardinier- paysagiste ». Nous allons voir que les portraits comparés de Geoffrey Jellicoe (1900-1994) et Russel Page (1906-1985) sont, à ce titre, très illustratifs.

Un plan de Dezallier d’Argenville (1680-1765) Tiré de (Dezallier d’Argenville 2003)

Un plan de Gertrude Jekyll (1849-1932) Tiré de (Jekyll 1914)

Comme l’a déjà analysé Baridon (2003), le contraste entre Geoffrey Jellicoe et Russel Page, deux grands « créateurs de jardins » contemporains, est à ce titre illustrant. Alors que, à l’instar de Gertrude Jekyll, Russel Page a d’abord étudié la peinture, puis s’est ensuite passionné pour la botanique, Geoffrey Jellicoe possède, quant à lui, une formation pointue d’architecte. Il en découle alors deux conceptions très contrastées de la création de jardins : « Jellicoe cherche toujours à universaliser, Page à personnaliser. […]Page dit et redit qu’il

est d’abord jardinier […] Quant à Jellicoe, il se fait du paysage une idée si haute qu’il n’hésite pas à prédire que le paysagiste sera le plus grand artiste des sociétés futures.»

(Baridon 2003, p.28-29).

Autrement dit, alors que Jellicoe s’inscrit dans la tradition ancestrale de l’architectus antique, Page reprend, en quelque sorte, le programme de conception oublié du topiarius romain, et le prolonge. N’est-ce d’ailleurs pas significatif que ce dernier ait écrit un livre intitulé The

education of a gardener, où il précise dès la préface: « My understanding is that every object emanates – sends out vibrations beyond physical body which are specific to itself. These vibrations vary with the nature of the object, the materials it is made of, its colour, its textures and its form.» (Page 2007, p.5). Nous verrons, par la suite, en quoi cette citation fait un écho

direct, à la pratique de l’artiste, que nous étudions dans l’entreprise H.

Malgré l’existence de « portraits contrastés », il semble qu’au niveau professionnel – en France du moins – la tradition « topiariste » soit encore largement écrasée, par la tradition architecturale.

5.b. En France : le poids du référentiel de l’architecte

Les travaux de Françoise Dubost99 (1983) vont nous permettre de dresser un panorama général de la situation professionnelle des paysagistes français contemporains. L’auteur montre ainsi comment l’identité professionnelle du « paysagiste » se construit durant la seconde moitié du 20è siècle. À ce titre, elle met en avant ses liens problématiques et étroits avec celle des « architectes » :

 « Planteurs » ou « planificateurs »? Les difficultés identitaires des « paysagistes » : bien que l’Ordre des architectes français refuse toujours de

99 Nous sommes redevables de cette référence bibliographique à Olivier Lenay. Nous avons ensuite eu la chance

de rencontrer personnellement F. Dubost lors du séminaire « Culture, Travail, Emploi », organisé par le Centre d’études de l’emploi (CEE) en partenariat avec le Laboratoire « architecture, usage, altérité » (LAULA) et le Réseau de recherche et d’information des activités et métiers de l’architecture et de l’urbanisme (RAMAU). Nous remercions à ce titre, M-C. Bureau et R. Shapiro pour leur accueil chaleureux dans ce séminaire. Certaines des informations données dans cette section sont issues de notes personnelles prises lors des exposés de ce séminaire. Elles n’engagent pour autant pas la responsabilité des auteurs cités.

reconnaître le titre d’« architecte-paysagiste »100, il s’agit de la dénomination usuelle utilisée dans le monde entier. On parle ainsi de Landscape architect en anglais,

Landschaftsarchitekt en allemand, architecte-paysagiste en Suisse, architecte- paysagiste en belge francophone, architecte paysagiste en canadien francophone. Ce

titre est en outre reconnu par le Bureau International du Travail de Genève et par de nombreux autres organismes professionnels. En France, la profession d’ « architecte paysagiste » fait partie des « professions libérales » retenues dans la loi d’établissement du 28 décembre 1988, modifiée en 2004. Elle y est définie comme la recherche et la prévision de la planification, de la conception, de l’intendance, de la conservation et de la protection de l’environnement en dehors des espaces bâtis. Pour autant, Dubost (1983) rappelle que ce titre n’est pas protégé et qu’il recouvre en fait des pratiques très hétérogènes. Aux « gens de métiers », issus des premières génération et qui se définissent avant tout comme des « spécialistes du végétal », comme des « planteurs », répondent ensuite les « professionnels » du paysage et de l’urbanisme, qui mettent l’accent sur leur rôle de « concepteur », puis des « artistes » qui donnent « la primauté

au mode d’expression le plus abstrait, c’est-à-dire le plan » (Dubost 1983, p.443)101.

 Se différencier du « technicien » - L’emprunt du modèle architectural : Dubost (1983) montre que les « paysagistes », tout en clamant la singularité de leur « métier », ont largement emprunté le modèle de « concepteur » aux architectes pour s’éloigner du monde des techniques : « Un vieux métier, une profession nouvelle : la distinction

apparaît constamment dans le discours des paysagistes […] C’est à travers [la formation] que s’est opérée la différenciation progressive du métier de paysagiste d’avec le métier d’horticulteur. Elle a pour objet d’assurer aux futurs professionnels « la double série de connaissances requises, celles de l’architecture et celles de l’horticulture », selon les termes du décret de création [de la Section Paysage de

l’École d’Horticulture de Versailles créée en 1946].» (Dubost 1983, p.432-433) La figure dominante du paysagiste se construit donc progressivement sur le modèle de l’architecte et conduit à un abandon des techniques traditionnelles de création de « jardin » : « pour se donner un statut socialement plus élevé que celui des

horticulteurs, les paysagistes ont joué la stratégie du diplôme et rompu avec la tradition d’apprentissage sur le tas qui était celle des créateurs de jardins. » (Dubost

1983, p. 434). Toutefois, une autre tradition co-existe.

100

Voir l’édito de la lettre de la FFP (Fédération Française du Paysage) de mars 2008 à ce sujet.

101 L’usage du plan comme manifestation ultime de l’ « œuvre d’art » et comme résultat d’une « activité de

conception » n’est pas anodin. À ce titre, nous avons précédemment montré comment la double étymologie de ce terme - « du plant au plan » - révélait, ainsi le poids du modèle architectural sur la théorie de la conception du jardin.

 Le « jardinier artiste » - Un modèle sans identité professionnelle claire : jusqu’ici marginal, un autre modèle de « paysagiste » tend à devenir en vogue en France depuis peu (Voir par ex.: Goutier 2003). Sans identité professionnelle clairement définie, et plutôt le fait de quelques « noms » de ce monde de l’art émergent, ce type de « jardiniers » redonne à la « matière végétale » un potentiel de création, plutôt délaissé par les approches formelles. Cette approche ne paraît de surcroît pas utiliser les mêmes méthodes de conception que les paysagistes traditionnels, et le recours au « plan » n’est pas systématique.

Autrement dit, malgré des réminiscences « topiaristes » contemporaines (voir par ex : (Goutier 2003)), on peut noter, à l’instar de John Dixon Hunt (2000), l’absence d’une réelle théorie de la conception de jardins. D’ailleurs, comme le montre l’auteur, les travaux historiographiques ont eu tendance à privilégier les réalisations issues de l’architecture paysagère et non du « jardinage artistique ». Or, selon l’auteur, l’objet « jardin », appelle une théorie plus générale de la conception architecturale, en tant que théorie de la « création de lieu » (place-making) - (Hunt 2000). Nous verrons que cette idée, présente chez certains architectes et paysagistes contemporains (voir par ex : (Sauzet, Berque et Ferrier 1999)), est également au cœur du projet d’E.C., l’artiste que nous étudions dans l’entreprise H.

I.B.

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