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Le cas de l’entreprise H : vers un nouvel agenda managérial des EPA

1. De l’activité artistique à la prestation marchande

Dans la section précédente, nous avons montré l’évolution des référentiels artistiques du jardin. En ce qui concerne, l’artiste que nous étudions, E.C., son projet s’inscrit plutôt dans les réminiscences contemporaines de la tradition « topiariste ».

1.a. Jardins et activité artistique : le projet d’E.C.

Ancienne élève de la Princesse Greta Stürdza (Stürdza 2002; Stürdza 2005) au Vastérival, un grand jardin botanique de renommée internationale, situé en Normandie, E.C. place le « végétal » au cœur de ses créations. Ce medium, dont la spécificité est d’être « vivant » et donc de posséder une dynamique propre, invite selon elle à repenser la conception des

lieux sur le mode de la co-présence.

Les créations d’E.C. reposent donc sur une très forte interaction entre jardin, habitant et créateur. Dans cette perspective, le regard de l’ « habitant » est mobilisé au maximum, pour que l’œuvre fonctionne en tant que telle. Au cours de ses projets de création, E.C. multiplie ainsi les « visites » avec ses clients et tente de leur enseigner à regarder et vivre ses jardins. Car le « regard » que cherche à construire E.C., pour celui qui reçoit le jardin, n’est pas qu’un regard « optique », au sens géométrique.

Ainsi, d’une part, l’intention artistique d’E.C. porte sur une multiplicité de dimensions sensitives qui ne se limitent pas à la vue. Inspirée à certains égards par les jardiniers Japonais, elle intègre toujours dans ses associations de plantes, de nombreux jeux esthétiques sur les

L’optique géométrique, bien qu’utilisée lors d’effets graphiques qui interrogent les rapports d’horizontalité et de verticalité, n’est donc pas la seule dimension explorée.

D’autre part, dans une tradition « topiariste », E.C. s’écarte du modèle architectural classique, et ne cherche pas à créer un lieu, dont la beauté puiserait son « universalité » dans celle des nombres et de la mesure. Mais, comme d’autres architectes et jardiniers contemporains qui soulignent désormais la « topicité »102 des lieux (Sauzet, Berque et Ferrier 1999), E.C. puise les ressources de l’émerveillement et de l’enchantement dans le continu phénoménal, local, de la matière végétale. Il en découle une pratique plastique de la création de « scènes » et « massifs », qui ne peut être pleinement saisie que dans un rapport de co-présence avec le jardin. Les scénographies d’E.C. invitent donc les « regardeurs » (Duchamp 1975) à des parcours où se rediscutent en chemin la frontière entre réel et imaginaire.

Enfin, selon E.C., la conception d’un lieu ne se limite pas à l’agencement d’un espace, mais doit également intégrer le temps, non pas uniquement comme « contrainte » externe, mais comme élément constitutif de l’acte artistique. Ainsi, au-delà de créations qui s’efforcent de s’inscrire dans la « durabilité » et le respect écologique de l’environnement, les jardins d’E.C. sont conçus pour se déployer et se régénérer esthétiquement au fil des « quatre saisons ». Cette « temporalité du vivant », qui ne peut être réduite à la temporalité physique classique, constitue donc un paramètre de conception du « lieu-jardin » en lui-même et non uniquement une variable externe jouant comme contrainte.

Ce dernier élément est très instructif, car nous allons précisément décrire maintenant comment l’activité commerciale, d’abord vécue comme une contrainte externe, va progressivement s’intégrer au projet artistique et même l’étendre.

1.b. Le projet commercial initial : créer une pépinière de collection

En 1996, E.C. décide de démarrer une activité commerciale à partir de son activité artistique. Initialement, elle n’envisage pas de vendre des prestations de création de jardins et souhaite se concentrer sur une activité de vente de plantes : « Au départ, je n’envisageais pas de créer des

jardins ‘pour les autres’. Je voulais surtout faire connaître une plus large palette de végétaux que ceux qu’on peut trouver habituellement dans la grande distribution. J’avais certes un projet de « jardin d'exposition », qui était censé m’aider à vendre mes plantes, mais il s’agissait surtout d’un projet personnel de création et de collection. » Dans un premier temps,

le projet commercial d’E.C. consiste donc en une activité de « vente spécialisée » et le « jardin d’exposition », bien que relié à la pépinière, est quant à lui plutôt considéré comme

102 Terme utilisé par certains jardiniers contemporains pour insister sur le caractère local du lieu. Voir par

un projet artistique personnel. La Figure 7, qui montre le terrain loué en 1996 pour l’entreprise individuelle, illustre ce découplage physique et conceptuel. On peut y distinguer un espace privatif (maison individuelle et jardin d’exposition en projet) et un espace

commercial dédié à la future « pépinière de collection ». Nous reviendrons sur ce point dans

la Partie 3 (I.B.)

Cependant, l’activité de vente ne décolle pas durant les premières années. Le lieu est isolé, il n’y a pas de fonds de commerce existant et, selon E.C., les canaux de communication locaux ne sont pas « adaptés » à son projet. Alors que les ressources financières commencent à manquer, un nouveau type de commandes vient modifier ce projet initial.

Figure 7 - Répartition de l’espace en 2003 : espace privé / espace commercial

1.c. La transformation de l’activité : une évolution du couplage art/commerce

De nouveaux clients, privés, demandent à E.C. d’intervenir dans leurs jardins. Si cette intervention est d’abord perçue comme une prestation commerciale classique de « jardinage» (plantation, taille, entretien…), de nouveaux éléments transforment le couplage art/commerce de départ :

 Sur l’espace de jugement : les clients, confiants dans la « qualité » des prestations d’E.C., lui suggèrent de prendre de plus en plus d’initiatives dans le réagencement de leur jardin. Puis, grâce au « bouche-à-oreille », de nouveaux clients commandent

Maison privative Projet de jardin d’exposition Projet de « micro- pépinière » spécialisée Photographie GoogleEarth E sp a ce P ri v é E n tr ep ri se

directement des créations personnalisées. Ces commandes, globales, n’étaient d’abord pas prévues par E.C., et elle hésite avant d’accepter finalement: « Pour ce type de

projets, je ne pouvais plus ‘vivre sur mes acquis’, il fallait que je fasse des recherches et que je me ‘pose’ pour trouver des idées. Je n’avais pas de solution ‘toute faite’ et je savais qu’il y aurait également beaucoup d’essais et d’erreurs.»

 Sur l’espace de conception : les ressources accordées par les clients pour leurs projets de création (spatiales, financières…), sont supérieures à celles dont E.C. dispose pour son propre projet. D’ailleurs, confiants, les premiers clients laissent une grande marge de manœuvre à E.C., qui est libre de s’expérimenter chez eux. Ces commandes de création viennent donc étendre l’espace d’exploration artistique d’E.C.

En conclusion, l’arrivée de commandes de créations personnalisées suscite un intérêt « artistique » chez E.C. Mais, si les représentations des espaces de conception et de jugement évoluent, leur réorganisation posent de nombreuses question : les prestations de création

personnalisée sont-elles encore des prestations de « jardinage » ? Comment les vendre ? Le

temps de recherche et d’expérimentation chez le client est-il « facturable » ? De quelles nouvelles ressources E.C. a-t-elle besoin ?

2.

Comment organiser les prestations de création personnalisée ?

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