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L’activité managériale dans les contextes stables : la figure de l’ « administrateur »

Sommaire – Partie

II. B Restaurer des capacités d’action managériale : le point de vue de la conception

2. L’activité managériale dans les contextes stables : la figure de l’ « administrateur »

Nous présentons ici les travaux fondateurs du langage managérial traditionnel19. L’analyse de la littérature montre que si les fonctions managériales classiques, héritées de Fayol, paraissent suffisantes dans les contextes stables, elles sont en revanche limitées dans les contextes émergents.

2.a. Fayol et la naissance de l’ « administrateur » moderne

Les travaux de Fayol (1916) sont considérés comme fondateurs du métier moderne de « manager » (Peaucelle, Ariza Montès, Beaudoin et al. 2003). Mintzberg (1973) rappelle à ce titre que Fayol est l’inventeur des « fonctions managériales » classiques : « ‘What do

managers do?’ [...] Ask [this question] and you are likely to be told, in Henri Fayol's words of 1916, that managers plan, organize, coordinate, and control. » (Mintzberg 1973, p.1). En

effet, dans son ouvrage Administration Industrielle et Générale, après avoir rappelé les cinq

18 Pour une revue plus détaillée du champ, notamment à partir de 1973, le lecteur pourra par exemple se reporter

à Farinas (2006).

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Le but n’est donc pas de présenter l’exhaustivité des auteurs « fondateurs » du management moderne.

Taylor (1911), par exemple, n’est pas traité. Non pas qu’il ne soit pas important pour comprendre l’évolution des sciences de gestion en général, mais le champ d’application de ses théories n’a pas été celui du « managerial work ». D’après Peaucelle (2003c), cette séparation entre les champs d’application des théories fayolienne et taylorienne remonte déjà au dialogue intellectuel entre les deux hommes.

fonctions classiques de l'entreprise20, Fayol (1916) identifie une nouvelle fonction qui ne peut être que l’affaire des « dirigeants »: la fonction administrative. Celle-ci est alors définie au travers de cinq composantes : l’organisation, la coordination, le contrôle, le commandement et la prévoyance21.

En outre, à ces nouvelles « fonctions administratives » doit correspondre un nouveau type de « dirigeant », que Fayol (1916) nomme l’ « administrateur »22. Outre des qualités personnelles (physiques, mentales, morales, d'éducation, techniques et d'expérience), ce nouvel acteur est censé appliquer des « principes administratifs »23 inédits pour l’époque. D’après Jean-Louis Peaucelle (2003), « [ces] principes et [ces] éléments d’administration forment la doctrine,

abstraite. S’y relie l’outillage administratif, moyen concret de mettre la doctrine en application » et qui constituent en quelque sorte l’invention des premiers « outils de gestion »

moderne (Peaucelle 2003b). Fayol défend donc une « doctrine administrative » de l’activité managériale, doctrine qui doit fonder la formation spécifique des acteurs en charge de cette nouvelle fonction (Peaucelle 2003a). Cet aspect particulier de la pensée de Fayol va être repris et popularisé dans les univers managériaux traditionnels jusqu’à aujourd’hui.

2.b. Les « fonctions administratives » : des invariants suffisants de l’activité managériale ?

L’oeuvre de Fayol a eu un fort écho aux États-unis, notamment à partir des années trente (Gulick 1937; Urwick 1954). Notons qu’il s’agit alors d’une interprétation de la doctrine administrative fayolienne. Cette interprétation, fondatrice de la « business administration », s’est ancrée dans la représentation collective générale des managers :

 Au niveau de la pratique : les fonctions managériales classiques sont devenues la représentation dominante de l’activité managériale dans les entreprises traditionnelles. D’après Saussois (1994), la formule « POSDCORB », pour Planning, Organizing,

Staffing, Directing, Coordinating, Reporting et Budgeting (Gulick et Urwick 1937,

p.13) a ainsi marqué plusieurs générations de managers. On peut également citer le modèle « PRINCESS » (Planning, Representing, Investigating, Negotiating,

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Les six fonctions de l’entreprise selon Fayol (1916) : Technique (activité de production, transformation, fabrication), commerciale (achat, vente, échange), financière (recherche et usage optimal des capitaux), sécurité (protection des personnes et des biens), comptable (tenue des comptes et statistiques) et administrative.

21 L’une des plus importante selon Fayol ; on parlerait aujourd'hui de « planification ». 22

Jean-Michel Saussois (1994) y voit d'ailleurs la naissance du Directeur Général salarié. (1994)

23 Fayol en donne quatorze : division du travail, autorité, discipline, unité de commandement, unité de direction,

subordination des intérêts particuliers à l'intérêt général rémunération et méthodes de paiement équitables, centralisation de l'autorité, matérialisation de la hiérarchie, ordre matériel et moral, équité, stabilité du personnel, initiative dans la conception et l'exécution des plans, union du personnel et esprit de corps.

Coordinating, Evaluating, Supervising, Staffing) de Mahoney, Jerdee et Carroll (1965)

qui a eu un important impact selon Mintzberg (1973).

 Au niveau de l’enseignement et de la recherche : les fonctions managériales classiques sont également structurantes. A la fin des années quatre-vingt, Carroll et Gillen (1987) affirmaient à ce propos : « The classical functions still represent the most

useful way of conceptualizing the manager’s job, especially for management education, and perhaps this is why it is still the most favored description of managerial work in current management textbooks ». (Carroll et Gillen 1987, p. 48).

Selon cette perspective classique, qui perdure encore aujourd’hui, les fonctions managériales tendent à être indépendantes des contextes managériaux. Certes leur agencement et leur mise en œuvre peuvent varier selon les situations, mais elles demeurent les invariants de l’activité managériale. D’autres travaux vont progressivement remettre en question cette vision « décontextualisée » de l’activité managériale.

2.c. Les critiques de la perspective « administrative »

A partir des années cinquante (Carlson 1951; Stewart 1967), un certain nombre de travaux, critique la représentation classique. D’après les auteurs, bien que dominante, cette vision décontextualisée est insuffisante pour décrire l’activité réelle des managers :

Encadré 1 - Les huit écoles du « managerial work » d’après Mintzberg (1973) - « The classic school » : l’héritage fayolien.

- « The great man school »: cette approche se focalise sur des portraits plutôt psychologiques de dirigeants « exemplaires ». D'après Mintzberg: « [...] the “great man” literature, although interesting to the general

reader and of use to the historian and perhaps the psychologist, reveals almost nothing about managerial work. It is rich in specific anecdotes, poor in general theory » (p.12, op. cit.).

- « The entrepreneurial school »: l'approche économique classique, en supposant une rationalité substantive de l'acteur, ne s'intéresse en fait au manager que d'une manière très restrictive. Ainsi elle le ramène à un « maximisateur de profit » et ne restitue pas la complexité des décisions qu'il doit prendre. D'après Mintzberg, c'est la figure de l' « entrepreneur » qui a alors fasciné et attiré l'attention des économistes, et notamment celle de Schumpeter. Il conclut: « The entrepreneurship school contributes to our understanding by

the specification - but not by the description - of innovation (the creation of new combinations) as one component of the manager's job. » (p.13, op. cit.)

- « The decision theory school »: cette approche prend acte de la complexité des situations organisationnelles et trouve un développement théorique structurant dans la pensée de Herbert A. Simon, puis de Cyert et March, ainsi que d'autres chercheurs de la Carnegie-Mellon University. Critiquant la vision économique précédente, l' « approche Carnegie » envisage la fonction du manager non pas comme une fonction de maximisation, mais comme une fonction de « programmation ». En outre, devant des problèmes complexes, les solutions obtenues ne sont jamais « optimales », mais « satisfaisantes » selon les termes de Simon. Mintzberg voit alors dans la théorie de Charles E. Lindblom (1968) une contribution notable.

- « The leader effectiveness school »: cette approche défend l'idée que l'analyse de leaders à succès permettra de mettre à jour des traits de personnalité ou des styles de management particulièrement efficaces. D'après Mintzberg: “[...] [this] school is only beginning to say something about those factors that produce

successful leaders. Excessive attention to two basic styles - autocratic and participative - and a lack of understanding of the interpersonal behaviors of leaders have slowed its progress.”(p.17, op. cit.).

- « The leader power school »: cette perspective se centre essentiellement sur les relations de pouvoir. L'objectif de cette école est de répondre à la question de l'étendue de la capacité de prescription du leader. Mintzberg donne alors l'exemple des travaux de Cartwright (1965) et sa définition des 5 types de pouvoirs : rétribution, coercitif, de référence, légitime, d'expertise. Il rappelle alors qu'une distinction est généralement admise par ces auteurs entre leadership formel et informel.

- « The leadership behavior school »: Mintzberg précise ici, que cette catégorie recouvre des travaux dont les méthodologies de recherche, les thèmes et les conclusions varient beaucoup. L'on pourra se rapporter aux annexes de l'ouvrage de Mintzberg pour le détail de certaines de ces approches. En fait, Mintzberg fondera justement sa théorie du travail managérial sur une analyse des « rôles », au sens behavioriste, des managers.

- « The work activity school » : cette fois les méthodes de recherche et les objectifs sont globalement partagés, ainsi que les résultats. En ce qui concerne les méthodes, l'étude des « diaries » est prépondérante dans ce type de recherches qui cherchent en fait à saisirle quotidien managérial. Par ailleurs, une seconde approche revient à créer des dispositifs d'observation au jour le jour, de manière intermittente (activity sampling) ou prolongée (structured observation). En ce qui concerne, les résultats des recherches, Mintzberg distingue les résultats sur le contenu, des résultats sur les caractéristiques du travail managérial et note que les premiers font encore défaut à l'époque et qu'il compte justement y remédier.

 La critique de Mintzberg - la multiplicité des « rôles » managériaux : Mintzberg (1973) est l’un des auteurs critiques les plus influents. Selon lui, ne se fondant sur aucun élément empirique approfondi, l’approche classique masque l’activité concrète des managers et nuit à la compréhension de son contenu: « […] the classical school has for long served to block our search for a deeper understanding of the work of the manager. » (Mintzberg 1973, p.11). Tout en s’inscrivant à la suite d’autres travaux empiriques de la « work activity school », Mintzberg (1973) va tenter d’intégrer les résultats de l’école « behavioriste », en se fondant sur le concept de rôle (voir encadré 1). Sur la base d’une « observation structurée » de cinq grands chefs d’entreprises (Mintzberg 1968), Mintzberg (1973) caractérise dix rôles fondamentaux24 présents dans toute activité managériale et qui s’agencent selon les contextes pour former des types managériaux différents. Mais cette approche contingente, si elle approfondit l’approche classique, interroge-t-elle pour autant les invariants de la perspective « administrative » ? En désigne-t-elle les limites ?

 La réponse de l’école « néoclassique » - l’utilité générale des fonctions classiques: Carroll et Gillen (1987) font remarquer que la théorie de Mintzberg demeure tout à fait formulable à partir des fonctions managériales classique. En effet, si la notion de rôle est censée « coller au plus près » du contenu de l’activité managériale, elle demeure une catégorie phénoménologique invariante et indépendante du contexte d’action. Les variables de contingence ne jouent donc pas sur la nature des rôles. Autrement dit, les « rôles » sont définis auparavant et seul leur agencement varie en fonction des contextes. Or, Carroll et Gillen (1987) montrent que la nature des rôles managériaux, n’impose pas d’étendre les fonctions managériales classiques : ils ne constituent en fait « qu’ » un appareil phénoménologique plus fin. Autrement dit, l’approche de Mintzberg (1973) demeure fondamentalement « administrative ».

La perspective « administrative » est donc dominante jusqu’au début des années quatre-vingt- dix. A titre d’exemple, Kurke et Aldrich (1983) confirment les résultats de Mintzberg et d’autres chercheurs les répliquent (Martinko et Gardner 1990; O'Gorman, Bourke et Murray 2005)25. Pour autant, le début des années quatre-vingt est également marqué par un tournant plus radical des discours.

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Les dix rôles sont : Figurehead, Leader, Liaison, Monitor, Disseminator, Spokesman, Entrepreneur,

Disturbance handler, Resource allocator, Negotiator. D’après Mintzberg (1973), on peut les regrouper selon

trois types : interpersonnels, informationnels et décisionnels (op.cit., p.54). Ensuite, en fonction de quatre types de variables de contingence : l’environnement, le poste, l’individu et la situation (op.cit., p. 100), ils vont s’agencer pour former huit types managériaux : contact man, political manager, entrepreneur, insider, real-time

manager, team manager, expert manager, new manager.

25 D’autres travaux sont toutefois plus critiques sur la notion de « rôle » (Willmott 1987; Fondas et Stewart

1994), sur la méthode de l’observation structurée (Hales 1986; Martinko et Gardner 1990), voire même sur les résultats de Mintzberg (Whitely 1985).

3.

L’activité managériale dans les contextes émergents : la figure

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