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Conclusion-synthèse : du projet entrepreneurial au projet de recherche

3. La co-direction : comment restaurer des objets de gestion partagés ?

Quelque temps après la première tentative de délégation de l’activité managériale, S.P. et E.C. s’opposent à propos de la direction de l’entreprise H. Le cas de la gestion du stock est à ce titre le plus révélateur. À mi-chemin entre un « actif » à rentabiliser et un « outil de travail » à développer, il va révéler l’incapacité du « binôme dirigeant » à restaurer des objets de gestion partagés et conduire à de nombreux conflits.

3.a. Comment gérer un « stock qui n’est pas un stock » ?

Initialement prévu pour devenir une « pépinière de collection spécialisée », l’espace réservé au stockage des végétaux est de plus en plus important sur le site de l’entreprise H. E.C. appuie tout d’abord son argumentation sur le fait que la production et la multiplication de plantes permettront de faire des économies sur l’achat de plantes et même, à terme, de vendre des plantes avec des marges intéressantes. Mais il devient rapidement clair que les économies de production réalisées sont très faibles, voire illusoires lorsqu’on prend en compte l’ensemble des coûts impliqués dans cette activité (entretien, eau, engrais,…). En outre, malgré un temps important passé à organiser l’espace de vente119, celui-ci n’a toujours pas ouvert ses portes officiellement. Malgré les aspirations d’E.C., la « pépinière » sert donc avant tout de « stock » à l’activité de réalisation de jardins. Or, la gestion du stock inquiète S.P. depuis son arrivée dans l’entreprise. Elle y voit l’une des raisons majeures des difficultés financières de l’entreprise et cherche d’abord à obtenir des « compromis » avec E.C. sur le « niveau du stock » à ne pas dépasser. Toutefois, E.C. ne respectant pas ses engagements, cette question devient un véritable point de discorde entre S.P. et E.C.

Ainsi, S.P. ne comprend pas le comportement d’E.C. qui, selon elle, augmente trop le « besoin en fond de roulement » de l’entreprise. En outre, elle souhaite réduire les coûts et les

risques de stockage : « E.C. continue d’acheter des végétaux de toute sorte. Je sais que c’est important pour elle, mais cela devient complètement irrationnel. Cela pose des problèmes de

coûts : nous ne pouvons pas nous permettre de financer un tel stock. En outre, il y a

également les risques de déperdition. Les plantes sont exposées en plein air et il y a les risques de gel et d’intempéries. On a déjà perdu des plantes cet été par faute d’arrosage et de canicule. Tout cela découle de son projet de pépinière. J’ai le sentiment qu’elle veut ‘sa petite collection’ pour elle, mais ce projet ne concerne pas l’entreprise. » S.P. estime donc que le

stock relève de son « autorité » administrative et qu’il est impossible de le gérer comme une « collection personnelle » non rentable. A l’opposé, E.C. déclare que ce stock n’est pas qu’un « stock de marchandises », mais qu’il s’agit d’un outil de travail indispensable à son travail

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de création. Pourtant là aussi S.P. estime qu’il faut rationaliser les « flux » de marchandises : « Il serait préférable de ne commander les plantes qu’une fois le travail d’étude achevé et

uniquement celles réellement nécessaires au projet. On devrait d’ailleurs les faire livrer directement sur place. Là,on stocke inutilement des végétaux dont il faut s’occuper et qui coûtent du temps et de l’argent, alors même qu’on ne sait pas s’ils seront réellement plantés chez des clients à court terme. » Cette situation n’évoluera pas jusqu’au départ de S.P. et les

conflits retarderons l’ouverture du lieu au public jusqu’à notre intervention. Or, nous avons vu que la pépinière jouera ensuite un rôle crucial dans le projet global de l’EPA.

3.b. La limite du « modèle dialogique » pour co-construire des objets de gestion partagés

A posteriori, les décisions de S.P. pourraient donc sembler avoir été des « erreurs » de

management. Pour autant, selon nous, ce cas ne montre pas tant que S.P. avait « tort » et E.C. « raison », mais plutôt que ces deux acteurs n’agissaient pas sur les mêmes « objets » et ne géraient donc pas les mêmes types de « performance ». Car, alors que pour S.P. un « stock » se décrit complètement dans un langage des « coûts » et des « risques », E.C. tente au contraire d’ajouter de nouveaux attributs à cet objet. Or, ces nouveaux attributs, tels que la « variété », la « rareté » ou l’ « originalité » sont précisément constitutifs d’un nouveau type de performance, « invisible » pour S.P., mais essentielle à E.C. pour réaliser ses créations. Il en résulte des compromis « intenables » des deux côtés, puisque chacun des acteurs s’estime

légitime dans ses choix. Peut-on alors expliquer cette situation par un « manque de

communication », une « incompréhension » mutuelle ou encore des « jeux de pouvoir » ? Sans minimiser ces perspectives, il nous semble toutefois que la problématique se situe davantage dans une incapacité à co-construire un objet de gestion partagé.

Selon nous, S.P. et E.C. ne sont pas dans une situation où il faudrait « négocier » pour trouver un « compromis » sur un objet déjà existant. A ce titre, il est important de noter qu’à l’époque, E.C. ne parvient pas à expliciter sur quelles dimensions porte la « performance » du « stock » tel qu’elle le conçoit. Cette situation est caractéristique des situations d’exploration, où les objets de l’action collective ne sont précisément pas donnés à l’avance, mais doivent être construits au cours du processus d’action (Segrestin 2003, 2006). La gestion partagée de ce « stock », qui n’est pas un stock comme les autres, place donc S.P. et E.C. dans une situation potentielle d’exploration. Mais, l’espace classique du « dialogue » ne prévoit pas nécessairement la constitution de nouveaux objets ou de langages nouveaux pour explorer une question (voir Encadré 3), si bien que l’échange entre E.C. et S.P. aboutit à une impasse.

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