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Conclusion-synthèse : du projet entrepreneurial au projet de recherche

Encadré 3 Du compromis à l’exploration conjointe

5. Comment reconstruire le référentiel de l’artiste ?

À ce stade de l’histoire de l’entreprise H., une crise apparaît donc sur les espaces de conception et de jugement d’E.C. Cette crise semble poser de nouvelles questions de gestion, auxquelles les figures managériales classiques ne sont pas préparées, faute de posséder un

modèle de l’activité de conception artistique.

5.a. Reconstruire le référentiel de l’artiste : de nouveaux types de questions managériales

Les éléments précédents révèlent que le référentiel d’E.C. est en crise sur les deux espaces de conception et de jugement et de nombreuses questions demeurent sans réponse :

 Sur l’espace de conception : comment organiser l’activité de conception ? Quelles sont les « tâches » à coordonner ? Ces tâches sont-elles toutes définies à l’avance ? Peuvent-elles être toutes standardisées ?

123 En réalité, c’est finalement l’architecte « partenaire » du projet, et non pas l’architecte « client », qui paiera

 Sur l’espace de jugement : comment comprendre la « logique du détail » de l’artiste ? Comment rendre visible le travail de création ? Comment construire le « regard » du client ?

Quel type d’activité collective peut alors permettre la restauration des espaces de conception et de jugement ? Le management peut-il solutionner ces difficultés ? Force est de constater que les modèles classiques de management sont ici mis à l’épreuve et que la l’activité

artistique paraît déstabiliser les hypothèses classiques à tous les niveaux.

5.b. Les modèles classiques à l’épreuve de l’activité de conception artistique

En relisant, jusqu’ici, la trajectoire de l’entreprise H., il apparaît en fait, que chacune des phases que nous venons de décrire fait intervenir des figures managériales classiques :

 Phase 0 – L’artiste entrepreneur : E.C. est seule. L’évolution de son activité fait apparaître des besoins de gestion auxquels elle n’est pas capable de répondre. Cette situation la conduit à s’associer avec un « gestionnaire » dans un projet de société.

 Phase 1 – Le « business angel » et le modèle du « pari » : E.C. sollicite la collaboration d’un ami, déjà créateur d’entreprise. Nous avons vu, que l’intervention de S.D. se fonde sur le modèle du « capital-risqueur ». En reprenant les analyses de Le Masson, Weil et Hatchuel (2006) à propos des modèles de management de l’innovation et des activités de conception, on peut interpréter le modèle de S.D. comme une variante du modèle de l’ « innovation ponctuelle », que nous nous proposons d’appeler le « modèle du pari ». Autrement dit, S.D. n’a pas de représentation claire de l’activité artistique d’E.C., mais parie sur son « talent ». Or, alors que ce modèle semble être le plus ancré dans nos représentations collectives – on a ainsi tous en tête le modèle de l’ « agent » découvreur de nouveaux « talents » –, nous pouvons voir que dans notre cas, une crise apparaît à propos des notions de croissance et de valeur, si bien que la collaboration n’aboutit finalement pas.

 Phase 2 – L’ « entrepreneur engagé » et le modèle du « laisser-faire » : E.C. nous demande alors d’accompagner la création de sa société. Notre intervention s’établit sur le registre de l’ « entrepreneur engagé ». On peut, cette fois, interpréter ce modèle de management, comme un modèle du « laisser-faire » (Le Masson, Weil et Hatchuel 2006) . Ainsi, tout comme S.D., notre action n’a pas de modèle précis de l’activité de conception artistique. Nous faisons en outre l’hypothèse qu’il faut laisser E.C. organiser seule l’activité de l’entreprise. Pourtant, notre cas montre, que faute d’une

fonction managériale capable de prendre en compte son régime d’activité, l’organisation du travail est en crise dès les premiers mois.

 Phase 3 – L’ « administrateur » et le modèle de la « planification » : en pleine crise de coordination, E.C. doit faire appel à une aide extérieure. Elle s’associe avec S.P. qui tente alors de restaurer la figure du « décideur ». On peut interpréter ce modèle de management comme un modèle de la « planification » de l’activité de conception artistique (Le Masson, Weil et Hatchuel 2006). Autrement dit, S.P. croit avoir identifié les axes de performance de l’entreprise H., ainsi que la manière dont E.C. peut y contribuer en créant des jardins innovants. Elle tente donc de maximiser l’efficacité de l’activité de conception d’E.C. Mais, notre cas montre que cette prescription managériale écrase en fait la logique artistique, si bien que cette collaboration prend fin peu après notre retour au sein de la société.

 Phase 4 – Le manager « facilitateur » et le modèle de la « boite noire » : E.C. nous demande alors d’établir un nouveau diagnostic managérial et de devenir « pleinement » le co-gérant de la société. En rupture avec le modèle précédent, nous relâchons la prescription managériale et décidons de restaurer la figure de l’artiste. Ainsi, suite à un nouveau « diagnostic stratégique », nous décidons d’attribuer des ressources à l’activité de conception de l’entreprise. On peut interpréter ce modèle comme un modèle de la « boite noire » (Le Masson, Weil et Hatchuel 2006), où l’activité de conception est encore un processus externe au modèle d’action lui-même. Or, notre cas montre que nous ne parvenons finalement pas à résoudre la crise sur le référentiel artistique. L’entreprise H. vit alors un « malaise du détail ».

En résumé, ces modèles échouent successivement, car ils ne reposent en fait sur aucune

représentation partagée de l’activité de conception artistique. À l’instar de Segrestin (2006),

on peut interpréter cette difficulté comme l’incapacité à trouver un « modèle de coordination » adapté. Cette incapacité conduit alors à des crises successives de la cohésion (phases 1 et 3). Or, pour surmonter ces crises, les acteurs tentent respectivement (phase 2 et 4) d’organiser l’activité collective à partir de « modèles de cohésion », cette fois partagés (seule dimension contrôlable en l’absence d’un modèle de coordination). Malheureusement, la situation aboutit alors à des crises de la coordination.

Tableau 5 - Synthèse sur la limite des modèles classiques de management Figures managériales Modèles de management Nature de l’intervention

Logique d’action Objets de gestion Limites issues du cas

Business Angel Modèle du pari Ponctuelle : « découverte de talent » et soutien Investissement : apporter des ressources (financières, réseaux, compétences) et soutenir le « concept » Croissance rapide

Retour sur investissement

Valeur capitalistique

Notion de « valeur » non partagée Entrepreneur Modèle du laisser faire Ponctuelle : créer une « entreprise », une aventure… Engagement : porter et défendre une vision en rupture Adhésion et fédération du collectif Insuffisances pour organiser l’activité de l’entreprise Administrateur Modèle de la planification Durable : co- diriger l’entreprise

Décision : restaurer des capacités de décision Fonctions classiques de l’entreprise Banalisation de l’activité de conception et figure de l’ « artiste » en crise Manager- entrepreneur Modèle de la boite noire Durable : co- diriger l’entreprise Participation : relâcher la prescription managériale Identité organisationnelle de l’entreprise Motivation et créativité Attribution de ressources à une activité de conception « invisible » et

II.B.Agir sur le référentiel de l’artiste : une « logique de

précision » suffit-elle ?

Dans cette sous-section, nous nous focalisons sur une première tentative d’action managériale sur le référentiel de l’artiste. Ainsi, après avoir présenté brièvement les difficultés rencontrées dans l’entreprise H. sur les espaces de conception et de jugement, nous détaillons les actions entreprises sur chacune de ces deux dimensions du référentiel d’E.C. Nous évaluons alors les apports et les limites de cette restructuration. Alors que le modèle de l’architecte semble peser, outre mesure, sur les représentations collectives de l’activité de conception artistique, nous identifions l’apparition de nouvelles interrogations.

1.

L’introduction d’une gestion de projet : des axes de progrès

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