• Aucun résultat trouvé

Si la participation s'avère un objet cohérent pour les bibliothèques, cela n'évite pas de se demander pourquoi étudier les bibliothèques plutôt que les centres commerciaux ou les gares, qui aujourd'hui et dans leur conception de l'espace et des animations ont fort à voir avec le modèle actuel de bibliothèque municipale42. Les bibliothèques parce qu'elles

entretiennent un rapport au savoir essentiel permettent d'interroger la participation à la fois en termes de savoirs et de reconnaissance par rapport à ces connaissances, de savoir-faire, qui n'est pas tant de l'ordre des compétences que du savoir réexif (ce savoir capable de faire et d'agir), et enn de savoir dire, dire je, oui, non, mais aussi d'argumenter et d'assumer ses positions, de prendre part au récit commun comme de s'identier à une communauté à laquelle on appartient plutôt qu'on ne surplombe ou qui nous écrase. A cet égard, la bibliothèque est un terrain idéal pour comprendre les jeux de savoirs entre les experts de la participation, les experts de la bibliothèque, les participants, les usagers et les habitants.

Il ne s'agit pas pour autant de toutes les bibliothèques, mais bien des bibliothèques institutionnelles, publiques, municipales ou départementales, qui à la fois sont des lieux de mise en ÷uvre de politiques publiques et des lieux de travail pour des agents du service public. Tenir compte de cette réduction de la notion de la bibliothèque et exclure ainsi les bibliothèques associatives43 ou populaires est un choix qui permet d'interroger

la participation en bibliothèque comme outil ou non de transformation des politiques publiques, mais aussi d'observer comment cette même participation peut transformer le travail en interne. Pour une bibliothèque qui ne serait pas publique, au sens où elle serait sous tutelle de l'Etat, la question de la participation se poserait autrement du fait du caractère militant reconnu et nécessaire des bibliothécaires. Dans ces bibliothèques publiques, ce militantisme et la mobilisation envers la participation se confronte toujours à des droits et devoirs, sur lesquels il semble important de s'arrêter pour observer la construction et les eets de la participation.

Travailler sur les bibliothèques publiques permet ainsi d'étudier leur vocation d'outil démocratique. Lors d'un colloque sur la bibliothèque comme outil du lien social, alors que l'animateur pose la question aux intervenants  Comment articulez-vous une politique du livre et de la lecture, très généreuse visant à l'émancipation, avec les objectifs plus généraux d'une politique stigmatisant la diérence, tendant à privatiser l'Université, etc. ?, Dominique Gillot, première Vice-présidente du Conseil général du Val d'Oise, en charge de la culture, répond  comme un îlot de résistance 44.

Étudier la participation dans les bibliothèques publiques permet ainsi d'observer le rôle que prend, souhaite prendre ou refuse de prendre une institution culturelle dans le jeu démocratique. Pour exemple, en 2016, la Bibliothèque publique d'information a organisé avec le Centre Pompidou un événement intitulé  l'art de la révolte  qui consistait à  inviter lecteurs et citoyens à constituer ensemble une bibliothèque participative en orant un livre, un article ou tout autre document papier ayant éveillé leur désir de changement voire de révolte 45. La présentation de l'événement parle de  bibliothèque

sauvage . Au même moment, de manière plus spontanée et certainement plus sauvage, des bibliothèques participatives ayant pour objectif de réunir des documents utiles à la mobilisation se créent sur les places occupées de Nuit Debout, les BiblioDebout. Cette capacité de la bibliothèque à être sauvage ou totalement domestiquée, à se positionner face à une démocratie considérée comme à la fois imparfaite et nécessaire, pourra être interrogée dans l'observation de la mise en ÷uvre de projets et d'événements participatifs. La question de l'événement fera l'objet de toute notre attention dans ce travail. La participation en bibliothèque telle que nous l'observerons de manière globale dans les bibliothèques municipales en France et en particulier à la Bibliothèque municipale de Lyon (BmL) qui sera l'objet de notre terrain d'étude (terrain qui sera présenté dans la partie suivante, 1,35) se présente d'abord sous la forme d'un programme de rencontres, ateliers, débats, etc. L'observation de cette programmation de la participation dans la bibliothèque et du désir de participer et de s'engager dans et pour la société nous permettra de nous interroger sur ce que représente la mobilisation des citoyens dans une société qui semble avoir besoin d'événements susceptibles de susciter l'engagement ou de le prouver. Il est vrai que du moment de l'inscription en thèse (décembre 2014) à l'année de rédaction (septembre 2018 à juillet 2019), la vie politique et citoyenne française a été ponctuée de plusieurs événements mobilisateurs : la marche du 11 janvier 2015, Nuit Debout au printemps 2016, les élections présidentielles de 2017, le mouvement des gilets jaunes en 2018. Ces temps d'engagement ont eu un impact sur les bibliothèques et les bibliothécaires tout comme sur la recherche en cours, en témoigne l'attention portée aux actions menées par les bibliothèques après les attaques de janvier 2015 et les bibliothèques de Nuit Debout. Ces liens entre climat social, engagement, et institutions publiques amènent à prendre la mesure de la valeur de l'événement, en tant qu'événement dans une recherche sur les institutions d'une part et sur l'institutionnalisation d'autre part. La question de la relation entre événement et institution traversera ce travail, cherchant à la fois  les signications

44Conseil Général du Val d'Oise. La Bibliothèque Outil Du Lien Social : Actes Du Colloque Organisé

Le 11 Décembre 2008. 2009, p. 16

de l'acte (ou de l'événement) d'instituer et du résultat de cet acte ( institution  comme ce qui a été institué)46. On cherchera alors à dégager le modèle d'une institution culturelle

publique qui ne vise pas tant à mettre en ÷uvre la participation et à construire des institutions participatives qu'à rappeler aux usagers le sens même de la politique, un agir collectif en vue d'un bien commun sur un territoire partagé. C'est cette bibliothèque comme théâtre d'une subjectivation politique en train de se faire que ce travail cherche à débusquer, la trouvant parfois, inaboutie souvent, jusqu'à tenter de trouver les modes d'action par lesquels la bibliothèque peut exister, en toute légitimité et en toute puissance dans une démocratie qui doit rester toujours à construire. En cela, cette recherche s'inscrit dans une liation certaine avec le travail d'Etienne Tassin sur l'action, travail qui vise à :

Dénir une théâtralité du politique, une orchestration de la visibilité non pas sur un mode instrumental et manipulateur, mais sur un mode phénoménal qui ne doit rien à la société du spectacle, rien à la comédie du pouvoir, rien à la médiatisation des personnes ; et tout à la mise en scène d'un agir concerté dans lequel les acteurs sont sollicités par des publics et inversement.47

Il faut ici déjà annoncer une limite à ce travail, celle de la présence du public. A de nombreuses reprises, sur le terrain, j'ai écrit dans mon carnet de recherche  Où sont les publics ? , tant leur apparition a été tardive. Les publics n'ont été observables sur ce terrain qu'alors que la participation, ses modalités, et son organisation étaient déjà xées. Les habitants n'ont été amenés à participer qu'aux événements et non pas à la construction même du programme. La rencontre avec les publics n'a donc pu se faire qu'au terme des observations, lors de la mise en public des événements. Au lieu d'y voir une diculté méthodologique, j'ai choisi d'y voir un symptôme de la manière dont la participation se construit ou pas avec les publics visés pour participer dans les bibliothèques. Il est vrai également que la participation observée relevait d'un intérêt des bibliothécaires plus que d'une demande réelle des usagers. Dans notre analyse de l'action, il convenait donc de prêter attention plutôt aux manifestations d'une volonté de mettre en place la participation davantage peut-être qu'à la volonté-même de participer; non pas que les usagers des bibliothèques soient absolument passifs et aient besoin de cette impulsion de la participation pour donner sens et forme à leur mobilisation. De fait, la lecture, comme l'usage des diérents supports proposés par les bibliothèques, est une activité susceptible d'engager et de transformer l'individu pour qu'il trouve la (sa) voix qu'il souhaite partager et faire entendre à ses concitoyens et à ses représentants. Pour autant, cette mobilisation qui serait permise par l'accès à l'information dans la bibliothèque est une mobilisation individuelle, alors que l'enjeu de la participation telle qu'elle se présente en bibliothèque, sous la forme d'événements publics, relève d'abord de la possibilité d'une