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Cette présentation de la méthodologie passe d'abord par l'énoncé de trois postures dénies dans l'exercice de cette recherche. La première concerne l'objectif même de l'enquête menée, la seconde le public concerné, et la dernière le statut de la chercheuse. D'abord, souhaitant travailler sur la suspicion à l'encontre des pratiques participatives portées par les organisations, il nous a semblé nécessaire de trouver une méthodologie qui nous permette de nous défaire d'une approche trop moralisante. Pour cela, nous avons fait le choix de mettre l'accent sur une méthode socio-ethnographique, en suivant Daniel Cefaï.

La posture ethnographique permet d'éviter le double écueil des études sur la participation : celui de la dénonciation pure et simple de ce qui appa- raît comme une énième technique de gouvernement ou stratégie de domina- tion, celui de l'apologie d'une forme d'implication des citoyens aux aaires publiques, considérée comme bonne pour l'amélioration de la démocratie.1

Ainsi, nous avons construit notre étude de terrain autour d'observations, souvent participantes, sur plusieurs terrains, et notamment à la BmL, comme nous le détaillerons plus loin dans cette section. Nous avons déni des grilles d'analyse et tenu autant que possible un carnet de terrain.

Ensuite, nous intéressant aux processus plutôt qu'aux eets, nous avons centré ce travail sur les bibliothécaires pris dans des mises en ÷uvre de pratiques participatives au sein de leurs établissements, plutôt que sur la réception de ces pratiques par les usagers. D'un point de vue méthodologique, cela implique de se défaire d'une étude des eets de la participation, centrée sur la réussite ou la réception par le public et qui recherche les traces des changements dans le public. Nous avons donc plutôt observé la manière dont la bibliothèque, organisation collective, travaille à mettre en place un programme participatif, et par là-même essayé de dégager l'impact de ces pratiques sur l'exercice du

relations de pouvoir ? À cet égard, les théories sur l'apprentissage des acteurs des politiques publiques seraient fort utiles pour comprendre les eets de la participation publique, non pas seulement mesurés en termes d'inuence des citoyens, mais de repositionnement de certains acteurs face à ce phénomène.2

Les bibliothécaires, entendus ici au sens d'agents de la bibliothèque, sont donc l'objet principal de notre attention et de nos observations. Si nous avons mené des entretiens avec quelques autres acteurs - usagers ou directeur de cabinet, la très grande majorité des entretiens ont été conduits avec des bibliothécaires, ce qui nous a permis de centrer notre étude sur leur perception et leur représentation de l'évolution de leur métier (au sens de réalité concrète du métier).

Enn, il convient de noter l'importance du statut de la chercheuse écrivant ces mots. Je, car ici le je redevient de rigueur, suis conservatrice de bibliothèque et je travaille à l'Enssib, qui est l'école nationale de formation des bibliothécaires et des conservateurs. Ce double statut a un impact évident sur cette recherche. L'image à la fois du conservateur et celle de l'Enssib ont pu jouer un rôle dans la perception que les agents observés se faisaient non seulement de ma présence, mais encore de mon expertise. Pour donner deux exemples : j'ai été mise en contact avec le comité de pilotage du projet qui a constitué mon terrain par le directeur de la bibliothèque lui-même, ce qui peut modier les relations avec les agents concernés, et les chefs de projet de ce comité de pilotage ont suivi l'une de mes formations à l'Enssib sur la participation et lu mon ouvrage sur le sujet. Travaillant sur la participation, j'ai été amenée également à donner un grand nombre de conférences sur le sujet, conférences organisées par des bibliothèques, des associations nationales ou internationales. Il est vrai que toute présence d'un chercheur sur un terrain, qui plus est sur le champ participatif, a un impact non négligeable, même si non souhaité.

On peut considérer que les chercheurs analysant les dispositifs participatifs ou théorisant les potentialités de la démocratie participative et/ou délibéra- tive font eux aussi partie des  professionnels de la participation , et, à ce titre, contribuent à construire le phénomène dans la mesure où une partie d'entre eux n'hésite pas à endosser le rôle d'entrepreneurs de cause. Ces ac- teurs, indique Magali Nonjon, sont amenés à jouer le rôle de catalyseur aux deux sens littéraux du terme, celui d'une substance qui augmente la vitesse d'une réaction chimique sans paraître participer à cette réaction, ou celui d'un élément qui provoque une réaction par sa seule présence ou son intervention. C'est ainsi que les professionnels de la participation, sans paraître participer aux politiques participatives, n'en contribuent pas moins à accroître leur force sociale et à façonner la demande de participation.3

Il m'a donc été nécessaire de savoir poser les limites de mon intervention pour que je puisse observer sans guider et garder une certaine distance par rapport au résultat de

2Laurence Bherer. Les relations ambiguës entre participation et politiques publiques. fr. In: Par-

ticipations 1.1 (2011), pp. 105133. issn: 2034-7650, 2034-7669. doi: 10.3917/parti.001.0105, p. 127

la mise en ÷uvre de ces pratiques participatives. Si cette thèse, sans répondre à une commande, vise néanmoins à produire grâce à un travail sur les concepts des réponses qui peuvent être saisies par les acteurs du terrain, il fallait néanmoins ne pas répondre aux attentes de solutions ou de clés, pour plutôt partager, non pas des résultats d'analyse, mais des revues de littérature sur les sujets qui intéressaient le comité de pilotage.

Ces postures dénies, il convenait de collecter des données. Pour cela, outre une étude de la documentation professionnelle concernant la participation en bibliothèque municipale, un travail important de terrain a été mené. Il a pris la forme d'une enquête quantitative et qualitative générale, d'entretiens ciblés avec des professionnels et surtout du suivi pendant deux ans du montage d'un projet à forte teneur participative au sein de la BmL.