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C 3 Se former à la participation : la formation pratique

Si ces séances de formation aux concepts et aux idées ont été un accompagnement précieux du projet, des séances de formation aux outils ont également participé à la forme nale des projets proposés. La formation des agents de la BmL à la participation s'est ainsi aussi faite sur un plan plus pratique, celui de la maîtrise des outils et de techniques d'animation participative. Pour cela deux temps ont été proposés aux agents : l'un de formation standard, avec des prestataires spécialisés, et l'autre moins standard, lors d'une rencontre organisée en interne pour tester collectivement ces outils participatifs.

La formation aux outils

La première étape de cette formation pratique a été dispensée par des associations lyonnaises "Lyon à Double sens" et "Scicabulle"184, par l'intermédiaire de la Ville de

Lyon et nancée par celle-ci à hauteur de 7600 euros. 37 agents ont pu suivre cette formation, qui avait pour objectif de donner des éléments théoriques et surtout pratiques pour mobiliser les habitants, faciliter la prise de parole et le débat. Plus généraliste que la formation Enssib, elle ne concernait pas spéciquement les bibliothèques, mais elle s'est avérée surtout bien plus orientée sur la pratique, les outils et les techniques. Elle a ainsi permis aux agents de découvrir puis d'expérimenter, pendant la formation, diérents outils et techniques, notamment les débats mouvants, les world café et les brise-glaces, qui seront testés en grandeur nature pendant la foire aux idées. Certains agents ont à leur tour formé leurs collègues.

Fig 1.5: Photo de la frise des attentes, Foire aux Idées, 10 mars 2016, Bibliothèque Municipale de Lyon - projet Démocratie

restituer aux collègues. Du coup, j'ai fait un condensé en une demi-journée pour restituer ces outils-là aux collègues et je vais refaire une deuxième session à l'automne parce que tout le monde n'a pas pu la suivre. Ce que j'ai restitué ce sont les différents outils brise-glace, les outils de débat, les outils pour faire émerger les idées, etc. Et on les a testés ensemble. Je leur ai fait tester le photo langage, le débat butiné, l'abaque de Régnier. J'ai expliqué un peu les gestes de la communication non-violente, les gestes pour animer ou réguler un débat, les petits outils bâtons de parole, des choses comme ça. Et puis j'évoque d'autres manières de débattre aussi, des outils de débat, débat boule de neige, des choses comme ça.

La Foire aux Idées a consisté en deux rendez-vous proposés aux agents volontaires, qu'ils envisagent ou pas de s'engager dans le projet Démocratie. Les agents devaient s'inscrire pour l'une ou l'autre des deux demi-journées, qui se sont tenues l'une à la bibliothèque de Vaise (réseau BmL) et l'autre à la bibliothèque de la Part-Dieu. 100 agents ont participé à ces rendez-vous. Ces temps avaient plusieurs objectifs : d'abord favoriser l'implication dans le projet des agents de la BmL, ensuite produire collectivement des idées de thématiques à aborder ou d'actions à mener dans le programme et enn tester en grandeur nature des outils de participation, présentés lors des formations. Ainsi, les agents comme le comité de pilotage ont pu tester des outils de brise-glace, comme la frise d'attente où les agents pouvaient en arrivant déposer un post-it mentionnant leur attente et le déplacer à la n de la demi-journée sur une frise allant vers la satisfaction de cette attente (voir 1.5,180).

Fig 1.6: Photo des arguments "contre" donnés dans les deux débats mouvants, Foire aux Idées, 10 mars 2016, Bibliothèque Municipale de Lyon - projet Démocratie

facilite la prise de parole, tant il est facile d'avoir une opinion sur le sujet. Le débat est mouvant, car il est possible de changer de place dans l'espace en fonction de l'évolution de son opinion et de la capacité des personnes à nous faire changer d'avis par leurs argu- ments. Il s'agit d'une technique qui permet l'échange d'arguments, sans entrer dans un dialogue. On peut voir avec la photo 1.6,181, deux exemples d'assertions proposées : "Je suis citoyen donc je vote" et "la bibliothèque est un lieu démocratique".

Enn, après ce débat mouvant qui a donné lieu à l'expression de nombres d'accords et de désaccords, les agents ont été répartis sur trois tables pour un World café. L'objectif du World Café est de rééchir collectivement sur les trois axes développés lors de cette journée : les communs/ pouvoir d'agir/ bibliothèque et démocratie, un thème par table. Au premier tour, les agents sont invités à rééchir et débattre sur le thème proposé sur leur table. Ils doivent déposer des post-its sur une grande feuille, post-its qui montrent leur exploration du thème. Au deuxième tour, sans bouger de leur place, on leur amène la feuille d'exploration de la table de droite. Ils vont devoir travailler sur un nouveau thème, à partir des réexions de la table précédente. Durant ce tour, le groupe doit faire émerger des idées pour résoudre les dicultés évoquées pendant la première phase. Ces idées embryonnaires sont déposées sur des post-its de couleur diérente du premier tour et collées sur la même feuille. Au troisième tour, le groupe reçoit la troisième feuille, celle

Fig 1.7: Photo du world café, Foire aux Idées, 10 mars 2016, Bibliothèque Municipale de Lyon - projet Démocratie

Fig 1.8: Photo du world café, Foire aux Idées, 17 mars 2016, Bibliothèque Municipale de Lyon - projet Démocratie

techniques d'animations participatives, avant même la formation par prestataire, cette dernière a largement modié les désirs du reste du comité de pilotage de tester des outils découverts pendant cette formation. Un enthousiasme assez fort a pris les collègues pour des techniques, qui leur semblaient pouvoir répondre à leur problématique : susciter la parole en interne, susciter l'envie de recréer cette prise de parole avec le public. Tous les retours enregistrés sur cette formation dans les mois qui l'ont suivie ont été très positifs. Tous ces retours portaient sur la pratique des outils, les agents ayant fortement apprécié de pouvoir les tester pendant la formation, l'échange entre collègues, dont on parlera plus loin, et la capacité de la formation à susciter de l'adhésion sur la participation. Ainsi un agent nous dit :

Enquêté P1 : Moi, j'avais des collègues qui étaient assez réfractaires justement. Alors, on propose, on fait de la signalétique pour expliquer que ça existe, mais je n'ai pas envie de me mettre en scène pour présenter tout ça. Eh bien, par la formation Participation, par le travail justement avec des collègues qui avaient ces habitudes-là, et bien c'est venu, et des collègues maintenant prennent plaisir à le faire. Ça ne leur semble pas aberrant du tout aujourd'hui ; ça leur semble même carrément nécessaire.

Pour ces raisons, les techniques de brise-glace, de prise de parole, de consensus ont été tout à fait plébiscitées par le comité de pilotage, qui a donc construit ses foires aux idées en s'appuyant totalement sur ces outils participatifs. Or cela n'est pas anodin. Comme l'ont montré Julia Bonnacorsi et Magali Nonjon,

Il s'est opéré un glissement au l duquel la participation dénie comme pro- jet et comme expérience collective a été de plus en plus confondue avec les prestations proposées par les divers professionnels ÷uvrant sur ce secteur. Ce processus atteint une quintessence dans la production de  kits  participatifs reproductibles et transférables tels quels sur n'importe quel territoire et pour le compte de n'importe quelle collectivité. 185

Le fait est que la formation proposée par les prestataires relève de cette transmission de kits, clés en mains, reproductibles à l'inni, et d'ailleurs aussitôt reproduits dans les foires aux idées d'une part, mais aussi par certains collègues dans leurs équipes pour mettre en place le projet interne de leur bibliothèque. Le photo-langage, le groupe "charrette" ou thème-athon, le mur de post-its, la rivière du doute, la présentation par thème, le design thinking, les cinq Pourquoi, le world café, autant d'outils qui sont délivrés par les professionnels de la participation, comme des outils éprouvés et prouvant par leur usage- même la réalité de la participation. Il surait dès lors de pratiquer un de ces outils pour que la participation soit réelle. L'outil participatif utilisé de cette façon semble dire que

se sure à lui-même, et qu'il est alors en mesure d'incarner à lui seul la participation.186

Plus besoin de s'engager dans le résultat de la participation, à savoir sa capacité à transformer le monde, dès lors qu'un temps d'expression collectif a été proposé et a permis d'une part à un collectif de se composer (ne serait-ce que sur un temps très réduit) et d'autre part à des opinions d'être énoncées. On comprend alors le caractère séduisant de ces techniques pour qui vise par la participation à assurer d'abord l'existence d'un groupe pour faire surgir des liens sociaux. La formation proposée par les prestataires à la BmL a d'ailleurs eu également ce résultat, comme en témoignent les agents qui l'ont suivie, à l'image de cet extrait :

Enquêté O1 : Moi, je l'ai trouvée vraiment très bien. Ça m'a apporté

beaucoup d'éléments, parce que je ne viens pas du milieu de l'animation, je n'ai pas le BAFA. Tous ces petits éléments d'animation de groupe, de mise en place d'animations participatives, tous ces outils-là, moi je ne les avais pas, dans ma pratique, pas du tout. Ça m'a permis de me les approprier. Je trouvais que les échanges dans le groupe avaient été aussi très intéressants, et on a passé beaucoup de temps à essayer de faire émerger des idées, mais du coup à échanger aussi sur nos différentes pratiques. J'en ai retiré beaucoup de choses de ces journées là sur la participation en bibliothèque.

Si les outils et techniques ont donc paru largement enthousiasmants dans un premier temps, cet engouement s'est un peu calmé au l de la pratique et notamment des foires aux idées. Les collègues reconnaissent d'abord qu'il faut un temps de pratique pour maîtriser ces techniques, et que ce temps n'est pas toujours disponible. On notera sans aller plus avant sur ce thème, qui a été largement étudié par les chercheurs en sciences sociales et politiques sur la professionnalisation de la participation, que cela alimente l'idée que les prestataires sont plus à même de pouvoir mettre en ÷uvre la participation que les agents en charge des dossiers187. La pratique réitérée de ces outils s'avère donc nécessaire

d'une part pour maîtriser la technique elle-même et notamment tout l'aspect minuté de l'exercice, mais aussi pour assurer un résultat utilisable de l'exercice. Ainsi plusieurs choses ont changé entre les deux foires aux idées.

Entre la première et la seconde édition, le temps de brise- glace a été supprimé. Le test avait été peu concluant lors de la première séance, car peu d'agents avaient déposé leur attente et moins encore sont allés bouger leur post-it à la n de la foire aux idées. De même, le comité de pilotage a modié les questions du débat mouvant entre les deux éditions de la foire aux idées pour les rendre plus polémiques et donc plus susceptibles de créer des échanges. Ainsi "la bibliothèque est un lieu politique" a paru plus volontiers polémique que "la bibliothèque est un lieu démocratique", et de même que "la démocratie, c'est forcément mettre en commun" a été proposé en lieu et place de "la démocratie, c'est tout mettre en commun". Enn, les organisateurs ont modié les règles et attentes du world café lors de la deuxième édition pour qu'il puisse déboucher sur des propositions concrètes. Au nal, le premier world café aura été assez frustrant pour les équipes, car

la seconde étape étant restée encore assez théorique, la troisième étape n'aura pas permis de développer en détail des propositions réutilisables. En revanche lors de la deuxième édition, la règle était : réexion au premier tour, liste de propositions au second, et choix et développement de propositions au troisième tour, ce qui a conduit à une véritable liste de propositions concrètes. Ceci pourrait n'être pris que comme la normale construction d'un processus de participation, nalement anecdotique, mais nous y voyons les prémisses d'une situation assez paradoxale, qui est que d'un côté ces formations et ces foires aux idées auront convaincu de l'idée de faire de la participation et de l'autre elles auront amené l'idée que ces outils seraient diciles à mettre en place avec le public. Et de fait, au nal, peu d'outils de brise-glace auront été vraiment mobilisés pendant le programme démocratie avec le public, celui-ci aura rarement pris véritablement part à des temps utilisant des techniques telles que celles listées (sauf dans le cas de la Nuit de la Démocratie, où notamment un débat mouvant aura été organisé, mais davantage comme outil de décision que de prise de parole, ce sur quoi nous reviendrons dans le dernier chapitre, 3, 261). Les foires aux idées ont donné le sentiment que les outils étaient peu ecaces, sauf à avoir le temps de les transformer, de les adapter et de les intégrer convenablement avec les participants. Or ceci n'est possible qu'à condition que la participation ne soit pas événementielle, mais un processus réitéré avec un groupe qui se construit autour d'un projet. Sans prise en compte de ce temps de construction, pour une focalisation sur l'instant, alors la participation devient non pas l'occasion de devenir acteur sur la scène politique, mais mise en scène d'elle-même.

D'une certaine manière, on peut dire que les professionnels rendent ostenta- toire la nature de  technologie intellectuelle  des outils participatifs qu'ils mobilisent et prennent particulièrement appui sur ces outils pour donner à voir la participation, bien souvent réduite à une mise en scène de l'interaction (la table ronde, la réunion créative, le brainstorming, etc.).188

Les agents de la BmL n'ont pas été embarqués par leur enthousiasme premier et ont rapidement pointé du doigt le problème de présenter un outil comme valable pour lui-même et le besoin de replacer l'usage de l'outil dans un processus de participation, qui a ses échecs et ses réussites, du fait du contexte d'utilisation. Ainsi, un des agents nous signale cette limite à la formation :

Enquêté 01 : On réinvente beaucoup de choses qui sont déjà faites par ailleurs. On perd du temps à tâtonner alors qu'on pourrait avoir des exemples beaucoup plus concrets. Par d'autres bibliothèques ou par des assos ou des institutions qui ont déjà menés des projets pour qu'ils puissent nous dire : "voilà quels sont les écueils", qu'on ne fasse pas la même chose, qu'ils

quasiment jamais donné d'exemples, de choses qu'elles ont pu faire et qui ont marché/pas marché.

Avoir des exemples concrets, dénir des contextes et dans le même temps acquérir des outils, c'est ce que nalement le comité de pilotage a cherché à faire en proposant à la fois des approches théoriques et des formations pratiques. La diculté des agents de la BmL est que chacune de ces étapes de formation a été considérée comme un événement isolé, et non comme un parcours ou un cycle dont l'ensemble ferait formation à la participation. Ainsi, les agents interviewés ont en général suivi une de ces étapes : la rencontre inspirante, ou la formation prestataire, ou la foire aux idées. La formation à la participation doit être entendue comme un temps long, de construction non pas tant d'une maîtrise des outils, mais bien d'un autre rapport à l'expression des publics et à la décision. Cette question de la durée était d'ailleurs posée par le directeur de la BmL lors d'un entretien :

Enquêté J2 : Nous à la BmL quand on s'est lancé là-dessus, c'était qu'il nous fallait une formation d'abord, qu'on manquait de formation. On a pu se payer cette formation mais ça va être hyper long. Il y a des méthodologies qu'on n'a pas encore bien travaillées parce qu'il faut du temps et de l'argent. Qui est ce qui peut se payer une formation sur la participation aujourd'hui en bibliothèque ?

Comprendre ici,  qui peut se payer une formation réelle à la participation ? , une formation qui transforme la pratique générale du métier et non pas seulement la pratique de l'animation. Étendre la formation à la participation, de l'outil à la réexion générale sur le métier, de l'événement au temps, implique d'avoir un esprit assez critique sur ce qu'est la participation, et demande dès lors d'avoir déjà un regard sinon théorique, déjà distancié, sur celle-ci, ou comme nous y enjoint Barbier-Larrue :

Une manière de penser à la fois les limites des protocoles participatifs et les moyens de les dépasser consiste à se déprendre de la fascination suscitée par quelques procédures innovantes et à rappeler avec force que ces situations de participation sont encastrées dans un système d'action qui les contraint en même temps qu'il est susceptible de leur fournir ressources et appuis.189

Nous disions que c'est donc un travail sur le métier qui se joue aussi dans la formation à la participation. De fait la deuxième foire aux idées aura ainsi permis d'avoir une liste d'idées d'actions, qui par la suite seront proposées à tous les agents pour susciter des envies, de l'inspiration, à s'engager dans le projet et à participer au programme par des propositions réelles d'événements et d'actions. 46 idées ont été proposées lors de ces Foires aux Idées ; en voici 10, qui sont autant de nouvelles façons pour ces agents d'aborder leur métier et leur public :

• Faire les passeurs de questions avant les conférences : proposer une boîte à questions, lues par les modérateurs

• Proposer un tableau communautaire/ échanges de services gratuits

• Faire participer les usagers à notre production de contenus : web radio, écriture de reportage (écrits, audio ou en images), description des documents sur Numelyo. • Monter un cercle participatif musique

• Faire les Porteurs de paroles : les bibliothécaires collectent et diusent la parole des gens, en menant des actions à la bibliothèque et hors les murs.

• Proposer une salle auto-gérée

• Orir les livres désherbés aux habitants, échange de livres sur une thématique • Monter une bibliothèque vivante, raconter la vie, portraits de locuteurs lmés • Faire un pique-nique partagé entre le personnel de la bibliothèque et le public • Partager notre budget d'acquisition avec les usagers

• Proposer une grainothèque

Certaines de ces propositions étaient déjà travaillées par la BmL (partager un bud- get d'acquisitions), d'autres le seront pendant le projet Démocratie (Porteurs de parole, webradio, bibliothèque vivante, etc) et d'autres enn seront développées dans les années suivantes (cercle participatif musique, grainothèque, etc.)190. Ces foires aux idées seront

prolongées sous la forme des rencontres entre porteurs de projets, qui ont consisté à réunir des groupes de travail transversaux autour de projets participatifs, qui d'une part allaient être mis en ÷uvre en plusieurs occasions dans le programme, et dont, d'autre part, la nature participative amenait la bibliothèque à devoir repenser son mode d'action. C'est