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Nous tissons conjointement le Fil rouge en déroulant la bobine du lien social. Gildas Carillo Article 2016 p 43

Introduction Lutte contre l'exclusion, construction de récits communs, appels au vivre- ensemble, tels sont les termes utilisés par les bibliothécaires de la Bibliothèque municipale de Lyon pour expliciter une partie de leurs projets participatifs. Ces termes font écho à des situations de constat de crise, ici dite de sociabilité ou de lien social. Dans un texte de 2015, Serge Paugam, sociologue dont l'intérêt touche à la fois l'exclusion et les bibliothèques, écrivait :

En réalité, nous oscillons sans cesse entre une attitude qui consiste à constater de façon pessimiste toutes les formes de déclin du lien social et une autre qui nous conduit, au contraire, à nous projeter dans une société en mutation où émergent en même temps des formes nouvelles de vie en société où les liens sociaux se réinventent sous des formes parfois inattendues.1

Reprenons l'événement Nuit de la Démocratie à la Bibliothèque pour voir comment ces formes participatives contribuent au renouvellement des liens sociaux. Tout au long de cette Nuit de la démocratie à la bibliothèque, tout sera fait pour faciliter la création de lien entre les participants ou entre les participants et les bibliothécaires. D'abord le buet, dont on rappelle qu'il a été annoncé comme du ressort des participants, les bibliothécaires s'occupant du "boire". Le fait est que les usagers sont venus avec le

central proposé par la bibliothèque, à savoir une course au désherbage sur laquelle nous reviendrons bientôt, amènent à la constitution d'équipes. Les groupes se forment plus ou moins aléatoirement. Les gens venus ensemble se mettent dans la même équipe ; les gens venus seuls s'intègrent là où il reste de la place. Il y a six à sept personnes par chariot, si bien que dans chaque équipe il y a un mélange de personnes qui se connaissent et ne se connaissent pas. Et bien vite, la course demande à travailler en équipe. Impossible de s'ignorer. Le jeu allant même jusqu'à faire désherber un document publié l'année de la naissance d'un d'entre nous, nous nissons par connaître nos dates de naissance, à défaut de retenir nos noms. La convivialité touche à l'intimité : dates de naissances, informations sur qui a vu ou lu tel document qu'on envisage de désherber, jusqu'aux corps qui se touchent dans la chenille nale. Les autres animations de la soirée, jeux collaboratifs et tour de chant nal, complèteront cette relation entamée avec les autres : on joue, on joue dans un espace qui n'est pas fait pour et on partage ensemble une expérience qui a le goût de l'extraordinaire et de l'exceptionnel, et dans le jeu les caractères des uns et des autres s'arment. A la n de la soirée, une vieille dame me dit être venue ici pour ne pas être seule et retrouver ses amis, deux étudiantes m'expliquent être venues pour la présentation des initiatives locales et être restées tellement on s'amuse bien ; dans le même temps, j'observe deux participantes, une jeune lle noire, sourant d'un handicap physique, et une maman de 35-40 ans, blanche, anquée de son mari et de ses deux enfants (10 et 14 ans) échanger leurs numéros. La première veut travailler en crèche mais ne trouve pas de poste, l'autre y travaille et elle a des conseils à lui donner pour trouver du travail dans ce domaine. Elles ne s'étaient jamais vues avant cette soirée. La seconde habite dans le 7ème arrondissement, un quartier en pleine transformation sociale, la première

dans le 9ème arrondissement, à la Duchère, un quartier zone prioritaire de la ville. Elles

se sont rencontrées lors du jeu de chariot en se retrouvant dans la même équipe, elles ont joué par la suite aux mêmes jeux collaboratifs et sont restées jusqu'à la n de l'événement. Si l'enjeu de la Nuit de la Démocratie était de créer du lien social, on peut considérer qu'il a été atteint. Reste à savoir si c'est le jeu, la désacralisation des espaces (par la course, le bruit, le chant, etc.) ou la participation elle-même qui rend possible cette so- cialisation. A moins que ce ne soit quand la participation se fait ludique et désacralisante qu'elle y parvient. C'est ce que nous chercherons à explorer dans cette partie. Il s'agira de voir comment la bibliothèque fait de ce déclin de sociabilité une intention pour son action participative, ou en d'autres termes, comment elle se saisit de la participation pour lutter contre ce déclin. Après un premier temps de dénition de la sociabilité et de ses crises contre lesquelles les bibliothèques veulent se dresser, nous observerons ce que les actions participatives mises en ÷uvre pour y répondre font ressortir comme éléments constitutifs du projet démocratique de ces bibliothèques, enn, nous nous intéresserons à la mutation, réelle ou seulement annoncée, du métier de bibliothécaire vers l'animation socio-culturelle. Nous utiliserons dans ce chapitre des sources professionnelles, parmi lesquelles : une vidéo réalisée par la bibliothèque Louise-Michel sur ses pratiques participatives2, des arti-

cles ou mémoires d'étude rédigés par des bibliothécaires sur leurs pratiques sociales et/ou participatives, parmi lesquels les textes de Fabrice Chambon (Chambon, 2010), Mathilde

Servet (Servet, 2009) et Dominique Tabah (Tabah, 1997) qui ont marqué la profession et des témoignages de bibliothécaires sur la bibliothèque troisième lieu, tels que les textes de Gildas Carillo ou d'Hélène Certain. Nous considérons ces textes et vidéos comme des sources permettant d'étudier les discours de la bibliothèque sur son rôle social et sur la participation comme outil du rôle social. Nous nous appuierons également sur les entretiens et observations menés pendant le projet Démocratie.