• Aucun résultat trouvé

agir et communs), et deux temps de transmission d'exemples concrets, capables d'illustrer la mise en ÷uvre de la participation, sans pour autant focaliser sur les outils et la pratique. Faire un pas de côté

La formation Enssib, suivie en novembre 2015, n'a pas été montée pour la BmL, mais était ouverte à un groupe de 15 bibliothécaires. Deux membres du comité de pilotage l'ont suivie : le chef de projet et un pilote référent. Le programme de formation a été monté par Raphaëlle Bats, l'auteur de cette thèse, mais dans le cadre de son emploi et non dans le cadre de son terrain. D'ailleurs, la formation était initialement prévue en mai 2015, alors que le terrain n'avait même pas été envisagé. La formation a nalement été décalée en novembre, mais elle s'est tenue sans moi, absente pour raisons médicales. La formation se décomposait en trois temps : un temps théorique, mais appliqué aux bibliothèques, un temps de retour d'expérience et un temps de pratique de la participation autour d'un projet ctif. Pour les retours d'expérience, les bibliothèques Louise-Michel, de Bruz, de Lyon-Croix-Rousse, le groupe BiblioRemix et enn le CNAM (pour le projet d'Herbier) sont venus présenter leur expérience spécique de la participation. Je n'ai pu ni présenter la théorie, ni animer la pratique. Pour la théorie, j'ai réalisé une vidéo, qui a été diusée au groupe. La séance pratique a été annulée. Ainsi, pour des raisons imprévues, cette formation a été très peu concrète ; elle n'a pas été l'occasion de tester des techniques ou des processus. Elle a en revanche donné aux groupes une idée générale des enjeux pour les bibliothèques, notamment des enjeux internes, et une série d'exemples faciles à mobiliser. Cette formation n'a par la suite jamais été évoquée dans les entretiens et les exemples de participation en bibliothèque n'ont eu qu'un écho très faible pendant le projet. Nous le verrons plus loin, dans la formation pratique, la BmL a préféré partir non pas de ce qui se fait déjà, mais de ce que les agents pourraient imaginer faire. Si cela paraît une méthode pertinente du point de vue de l'adhésion de l'équipe au projet et du point de vue de l'adéquation des formes de participation au contexte lyonnais, néanmoins, le fait de mettre de côté les expériences bibliothéconomiques nous paraît faciliter la non prise en compte des écueils de la participation, tels que rencontrés par d'autres, et notamment en termes de relations avec les participants, de motivation, de présence, de diversité, etc. En d'autres termes, tout se passe comme si dans ce projet, les équipes s'étaient bien davantage souciées de leur capacité à mettre en place un projet participatif que de la capacité de ce projet à être véritablement participatif. Nous pouvons dresser le même constat sur un autre temps de formation, qui relève plutôt de l'acclimatation à l'idée de participation, à savoir l'organisation d'une rencontre dite inspirante. La rencontre inspirante a eu lieu le 4 février 2016. Il s'agissait d'un

Fig 1.2: Ache d'information pour la Rencontre Inspirante du 4 février 2016, Bibliothèque Municipale de Lyon, Comité de pilotage du projet Démocratie

que les bibliothèques. Il s'agissait de participation d'une manière générale et pour certaines interventions de focus sur les communs ou sur la capacité à agir. Ont été invités pour témoigner : Fernand Karagiannis, élu de la ville de Saillans (ville qui a expérimenté une démarche de démocratie directe), Sophie Dufau de Mediapart, pour le projet de photoreportages, La France vue d'ici, Vincent Mabillot, représentant de l'ALDIL (Association Lyonnaise pour le Développement de l'Informatique Libre) et Solène Compingt, co-responsable de l'Alliance Citoyenne à Grenoble, une association de community organizing. La rencontre a fait salle comble et plus de 100 agents ont assisté à cette présentation, qui a donné non seulement des éléments de compréhension sur la participation, mais encore des retours d'expérience. Lors des entretiens, les agents qui avaient assisté à cette rencontre en ont tous fait l'éloge, tant pour le choix des intervenants, la pertinence de leurs présentations que pour l'idée d'avoir lancé le projet en interne par un temps de réexion et de prise de distance par rapport au métier. Même les agents qui n'avaient pas assisté à la rencontre ont tenu des discours positifs sur cet événement qui leur a été raconté par leurs collègues. Plusieurs choses dans cette rencontre inspirante ont été marquantes pour l'observatrice que j'en étais.

D'abord, l'absence de présence d'exemples bibliothéconomiques, qui fait suite aux remarques faites précédemment. Outre les interventions, une seule question du public a eu trait aux bibliothèques, et encore venait-elle d'un membre du comité de pilotage, égale- ment membre de la direction, et a-t-elle été la dernière question posée aux intervenants. Toutes les autres questions interrogeaient la participation de manière plus générale, comme par exemple la taille idéale d'un territoire pour qu'il puisse fonctionner de manière participative, ou encore le rôle des associations et syndicats dans une démarche plus directe comme celle portée par la participation. On voit dans ces questions à la fois un intérêt presque plus citoyen que bibliothécaire pour le thème, mais on perçoit aussi les dicultés qui pourront venir en bibliothèque du fait de l'organisation de la participation : à l'échelle de la bibliothèque, du quartier, de la ville ? par l'intermédiaire des associations ou directement proposée aux habitants ? Tout se passe comme s'il n'y avait pas tant besoin de mode d'emploi pratique de la participation en bibliothèque, que d'une série d'exemples, en bibliothèque ou autre, capables de repositionner la bibliothèque dans son environnement politique, en tant qu'actrice en d'autres termes.

Tous les agents interviewés ont conrmé la qualité inspirante de la rencontre, en ce qu'elle permet de faire un pas de côté pour mieux ensuite interroger le métier et son exercice. Ce pas de côté est un temps de réexion que les agents estiment dicile à trouver dans l'exercice quotidien du métier, voire dicile à mener en bibliothèque, tant le métier repose sur des consensus non discutés et débattus (ITW A1). Pour autant,

et celle de janvier, le projet a complètement changé et les trois personnes en charge de cette rencontre l'ont orienté vers non plus des experts, mais des personnes menant elles aussi des projets participatifs. Dans les entretiens avec le comité de pilotage, il ressort que ce glissement d'une table d'experts vers une table d'expérimentateurs n'a pas été très conscient ou du moins très argumenté. C'est au l d'une discussion de travail qu'une des membres du comité de pilotage, très engagée dans les questions de médiation socio-culturelle, a évoqué l'idée d'inviter quelqu'un de Saillans et l'idée ayant paru bonne, c'est toute l'idée de la table-ronde initiale qui a été transformée. Ainsi plutôt que d'avoir une sociologue parlant du community organizing de Londres, c'est une membre d'une association de community organizing de Grenoble qui a été invitée, etc. Ceci rejoint les remarques précédentes sur la valeur de l'exemple, ni trop théorique, ni trop mode d'emploi, pour amener les bibliothécaires à penser leur rôle. Cela nous laisse penser qu'il y a erreur fondamentale à vouloir avoir un modèle de bibliothèque, prêt à penser et prêt à être mis en ÷uvre et qu'il convient davantage de permettre aux équipes de regarder ce qu'il se passe du côté d'autres institutions ou d'autres acteurs pour qu'elles puissent dénir le mode d'action qui leur sera à la fois le plus pertinent et le plus adapté. Parmi les impacts constatés de cette rencontre inspirante, il faut noter le fait que plusieurs intervenants ont souligné que la forme de la salle de conférence ne permettait pas de faire circuler la parole et d'organiser réellement un échange et une participation avec les auditeurs. Ces remarques ont vraiment marqué les membres du comité de pilotage, qui y feront référence de nombreuses fois pendant la préparation du programme, et qui feront un groupe de travail spécialement dédié à l'animation des conférences-débats, comme nous le verrons plus loin.

Enn, le dernier temps de préparation et de formation s'est organisé sous la forme d'une veille documentaire, menée par le comité de pilotage, de l'automne 2015 au printemps 2016, soit pendant la première phase, préparatoire, du projet Démocratie. La veille consiste à suivre des sources susceptibles de donner des ressources sur un sujet, à organiser ces ressources de sorte qu'elles puissent être analysées et/ou diusées, soit de manière brute, soit de manière transformée et dès lors plus faciles à absorber par le public cible. Étant animatrice d'un atelier de veille internationale, pour lequel que j'ai reçu un prix en 2014, le groupe m'a demandé mon avis sur le montage de leur architecture de veille depuis la collecte jusqu'à la diusion auprès de leurs collègues, auprès du public, et auprès des habitants au sens large. Je leur ai donc transmis mon cours sur la veille sans donner d'avis sur leur propre construction. Suite à cet échange, le groupe a construit une architecture de veille, consistant à alimenter deux outils réservoirs, Diigo et Pearltrees, et deux outils de diusion, un scoop-it et un compte Twitter.

Le Diigo du projet Démocratie compte 125 items intégrés en onze mois, soit une moyenne de onze nouveaux par mois, entre juin 2015 et avril 2016. Le ralentissement constaté au printemps 2016 est lié à l'entrée dans une nouvelle phase du projet, celle de la programmation, après celle de la préparation. Le Diigo est alimentée par 12 des membres du copil. Deux des agents du comité de pilotage n'y sont pas inscrits, mais ils transmettent une partie de leur information par courriel aux autres. Trois des inscrits au

Fig 1.3: Répartition des items par typologie de source, Veille du comité de pilotage du projet Démocratie

moins de 60 items. Ces trois agents ont commencé leur recherche d'information dès le mois de juin, les autres ne l'ayant commencé qu'à l'automne. Cela n'est cependant pas la seule explication à leur importante participation. Ces trois agents travaillent dans les départements Société et Civilisations de la bibliothèque de la Part-Dieu et les questions politiques sont au c÷]ur de leur travail quotidien, contrairement aux autres membres du groupe qui sont sur des tâches plus éloignées de ces thèmes.

Le contenu est principalement non bibliothéconomique et témoigne plutôt des lec- tures théoriques menées par le comité de pilotage pour mieux comprendre les enjeux de la participation aujourd'hui, comme pour trouver des intervenants potentiels pour leur programme. Les 125 articles proviennent de 79 sources diérentes. 63 de ces sources n'ont qu'une seule occurrence, mais 15 d'entre elles en ont plusieurs, notamment France Culture (17 items), Médiapart (neuf items) et le catalogue de la BmL (six items). Les autres sources comptent moins de quatre occurrences.

France Culture, radio nationale de très haut niveau, donne plutôt la parole à des universitaires et des intellectuels. Médiapart, journal en ligne indépendant, qui veut renouer avec une tradition de l'enquête journalistique, est un partenaire du projet Démocratie. Le catalogue de la BmL dénote un peu par rapport aux deux autres sources en tant que réservoir de notices qui ne donnent pas de point de vue particulier sur le document. Sa présence dans les items montre peut-être une diculté rencontrée par les bibliothécaires pour pointer des ouvrages qu'ils ont pu lire, sans pointer vers des sites d'achat. L'étude de ces sources par typologie montre également l'importance des milieux

Fig 1.4: Répartition des items par formes, Veille du comité de pilotage du projet Démocratie

Pour Le Deu, la culture de l'information est éminemment politique et citoyenne (Deu, 2010).

[Elle] prend en compte la nécessité pour le citoyen de disposer de ressources pertinentes pour qu'il parvienne à se constituer un avis.167

Dans le cas des bibliothécaires, leur approche générale de l'information pourrait être davantage technique et liée exclusivement à la réalisation de leur métier, mais le Diigo révèle non pas une volonté de se préparer en tant que bibliothécaire, mais de développer un regard propre sur un thème qui dépasse de loin la bibliothèque. Dans le Diigo, seuls deux items relèvent de la bibliothéconomie : l'un pour mentionner un ouvrage sorti aux presses de l'Enssib sur les bibliothèques participatives et l'autre pour mentionner un article sur les bibliothèques qui brûlent dans les quartiers et qui fait suite à un autre ouvrage sorti aux presses de l'Enssib. Il importe de noter qu'en France, il existe deux maisons d'édition en bibliothéconomie : l'Enssib (Lyon) et le Cercle de la librairie (Paris) et que ces deux ouvrages ont été écrits l'un par l'auteur de cette thèse et l'autre par son directeur de thèse. Il est vrai qu'aucun autre ouvrage sur ces deux sujets n'a été publié dans le champ bibliothéconomique en France. Ainsi, seuls 1,6 % des items concernent donc la bibliothéconomie. Là encore, la recherche d'information permet certes d'identier des intervenants potentiels, mais elle sert d'abord à former sur ce thème les collègues, de sorte qu'ils puissent se saisir de ces concepts de manière générale et non sous le seul angle de la bibliothèque. Les sources faisant mention de la bibliothèque sont moins que minoritaires, quasi exceptionnelles, de même que lors de la rencontre inspirante. Les entretiens montrent que cette démarche, basée sur un appel à la réexion plutôt que sur une mise en ÷uvre directe d'un thème, est nouvelle et favorise son appropriation par chacun. Cette veille permet aux bibliothécaires d'interroger leur rôle dans la société, face à des pratiques sociales et citoyennes qui ne leur sont pas évidentes.

Prescription or not prescription

Cette veille révèle ainsi l'émergence possible d'un nouveau bibliothécaire. On a reproché longtemps aux bibliothécaires français d'être des bibliothécaires "Télérama", c'est-à-dire de porter un discours élitiste, bien que de gauche, sur la démocratisation de la culture168.

Ce discours a été longtemps repris par les bibliothécaires dans leur manière de prescrire à leur public des documents estampillés bons et de niveau culturel susant169. Si le Diigo

montre l'absence totale de référence à Télérama, c'est peut-être au prot d'une nouvelle référence culturelle qui serait France Culture et qu'il faut mettre en lien avec l'importance constatée des formes universitaires. Si les bibliothécaires ne cherchent pas ici à développer leurs compétences bibliothéconomiques, ils cherchent clairement en revanche à identier des experts. Cela révèle une certaine position d'humilité d'un bibliothécaire qui ne se voit plus comme spécialiste de la culture et du savoir (contrairement au bibliothécaire Télérama, qui se posait en expert culturel), mais c'est peut-être aussi la marque d'un recul de la fonction prescriptive du bibliothécaire.

Il convient de s'arrêter sur cette notion de prescription. Le refus de la prescription est un élément récurrent des discours des bibliothèques, qui ont fait de l'animation, notamment participative, le c÷]ur de leur activité : "Dépasser le rapport institutionnel avec nos lecteurs"170, "Cela implique de la part du bibliothécaire, qu'il ne soit pas le seul

détenteur d'une forme de savoir qu'il serait chargé de mettre à disposition du public. (. . . ) c'est sortir du rôle de prescripteur"171, "Il n'y a pas de hiérarchie de légitimité

entre les ressources documentaires proposées par la bibliothèque et celles apportées par les usagers"172, "En rupture avec une vision élitiste de la culture, la bibliothèque

troisième lieu refuse d'être un lieu de prescription du savoir"173. Cette position se veut

rupture avec un modèle de bibliothèque publique, que certains qualieraient d'historique et d'autres de traditionnel.

Enquêté O1 : [La participation], je pense que c'est une nouvelle donnée technique que doivent maîtriser les bibliothécaires effectivement. Pour le coup, on n'a pas vraiment attendu le projet Démocratie pour mettre en place des projets participatifs, et ce n'est pas parce que c'est à la mode, c'est simplement parce que si on veut repositionner la bibliothèque dans son rôle, il faut vraiment aller chercher des publics et on ne va pas les chercher en tant

168En d'autres termes, la télé oui, mais pour regarder des bons lms ; le loisir, oui, mais à condition

de sélectionner et de choisir. Lorsque je suis rentrée à l'Enssib comme élève conservateur, en 2006, il n'était pas rare du tout d'entendre des discussions, assez passionnées, sur la légitimité à proposer des Harry Potter en secteur adulte ou même tout simplement à acheter les Musso et Levy. Ces discussions aujourd'hui ont plutôt laissé la place à des discussions sur la légitimité d'avoir les ouvrages de Zenmour,

qu'institution qui va leur apporter la culture et le savoir, on va les chercher en tant que ce qu'ils sont, ce qu'ils peuvent nous apporter, et pour faire de la bibliothèque un lieu où se mélangent les gens, se mélangent les savoirs, où l'on se rencontre. Et pour moi le bibliothécaire n'est pas celui qui apporte un savoir, une culture, c'est celui qui met en relation des savoirs et des gens, qui met en relation des informations et gens, qui met en relation des gens entre eux, des savoir-faire entre eux. Et du coup ce rôle de passeur là, ce n'est pas forcément le rôle historique du bibliothécaire mais pour moi ça l'est maintenant. Et du coup ça, ça fait partie de la panoplie d'outils dont il faut qu'on s'empare pour pouvoir jouer ce rôle-là.

Robert Damien174 fait remonter la source de cette fonction prescriptive et autoritaire

du bibliothécaire à la culture catholique de notre pays, qui contrairement à la culture protestante impose un intermédiaire entre le livre et l'homme, l'Eglise (et par la suite tout intermédiaire comme pourra l'être la bibliothèque). Car de fait, à la création des bibliothèques publiques pendant la Révolution Française, le livre, comme l'a montré Anne Kupiec175, a une fonction de sauveur et d'émancipateur, par ce qu'il enseigne et transmet

au citoyen ; ce qui implique par conséquent également que le bibliothécaire a pour fonction de savoir identier le savoir qui aura la qualité de sauveur, sous-entendu que tout savoir n'est pas bon pour le peuple. Ainsi, comme le rappelle Denis Merklen, au début du 21ème

siècle, les bibliothèques publiques sont prises entre deux agir : celui de donner accès et celui de prescrire.

Les bibliothèques de quartier sont avant tout des institutions destinées à  rendre accès  disent avec raison les bibliothécaires. Mais la bibliothèque est aussi, fondamentalement, une institution vouée à orienter, qui sert à la fois de  phare et de havre  pour reprendre l'expression de Roger Chartier. Et dans ce dernier rôle, elle se voit obligée de classer, d'intégrer et d'élire, de qualier, d'organiser, de sélectionner et de bien séparer, justement, l'ivraie du bon grain. 176

Le refus, ou le recul, de la prescription arrive donc sans surprise à un moment où la bibliothèque cherche à faire surgir et rendre visible des savoirs qui ne sont pas les siens, où elle se pose avec humilité, non seulement par rapport aux spécialistes, mais encore par rapport aux non spécialistes, et elle s'ache comme facilitatrice du lien social. Il faut certainement faire le lien avec l'intérêt porté par les bibliothèques à sa fonction loisir.