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Ouverture vers des approches transversales et interdisciplinaires sur l’information, l’innovation et l’apprentissage

2.2 La Connaissance et le savoir en organisation

2.2.3 Ouverture vers des approches transversales et interdisciplinaires sur l’information, l’innovation et l’apprentissage

Nous choisissons de présenter ces approches transversales afin d’ouvrir un débat critique. Par la présentation précédente, nous avons pu voir que les chercheurs, en gestion se sont ouverts, progressivement, à des perceptions différentes. H. Mintzberg100 et certains autres ont marqué

les limites des schématisations rigides.

Nous prendrons pour références théoriques les Sciences de l'Information et de la Communication avec Robert Bourre, Jean-Louis Coujard et d’autres chercheurs. Leur approche est orientée vers l’homme en tant que sujet d’étude.

99 Nous montrerons cette évolution dans l’étude de terrain trouvée, à cet effet, dans le secteur industriel : cas de Ford Blanquefort, Gironde, France.

100 H. Mintzberg. Society has become unmanageable as a result of management. In Mintzberg on management.

Une déclinaison de la sociologie sera présentée. Nous avons choisi le courant marqué par l’ouverture ethnologique et anthropologique.

En ce qui concerne l’homme, et les médias et les réseaux de communication, la sociologie présente plusieurs tendances :

- La sociologie interactionniste : P. Flichy est un des représentants de ce courant.

Jacques Perriault, avec l’ethnotechnologie révélée par ses travaux sur les usages et sur les possibilités de résistances culturelles peut se situer, dans un courant proche. Nous l’avons cité, précédemment.

- Le Centre de Sociologie des innovations, de l’Ecole Nationale Supérieure des Mines de Paris. abrite une unité mixte de recherche en section sociologie et en sciences politique. Il illustre la nouvelle sociologie des sciences et des techniques.

Ce groupe de recherche a quatre domaines privilégiés de recherche : la dynamique des

réseaux technico-économiques, la santé et les malades, le goût et les usages; le débat public et la démocratie technique. Michel Callon et Bruno Latour illustrent cette orientation : nous

les citerons dans la deuxième et la troisième partie de cette étude, lors de nos questionnements sur la médiation. Leur approche les amène à s’interroger sur les objets et dispositifs apportant un sens aux relations et aux modalités.

Leurs bases théoriques se fondent sur l’anthropologie des sciences et techniques, l’analyse socio-technique de l’innovation.

- Nous citerons, un peu plus loin dans notre exposé, les travaux de Michel de Certeau, ceux de Serge Proulx et du groupe de recherche sur les médias, UQUAM, Montréal, qui se réclament

de l’approche ethnographique ou ethnosociologique. Ces auteurs peuvent se décliner de l’approche ethnométhodologique des sciences illustrée par H. Garfinkel, M. Lynch,

E. Livingston et L. Quéré.

Il existe aussi d’autres tendances comme la sociologie de la diffusion (R. Everett) et la

sociologie des médias (R. Debray, M. Luhan)

Nous ferons le point sur ces courants, lors de la partie : Démarche.

Le domaine de la gestion sera de nouveau investi, grâce à une perspective renouvelée, celle de Jean-Louis Le Moigne.

Il est à noter qu’il serait abusif de considérer toute insertion des TIC dans l’organisation, comme une innovation. Les données temporelles, culturelles et contextuelles sont toujours à prendre en considération.

L’impact des Technologies de l’Information et de la Communication est à prendre en considération dans un processus d’apprentissage progressif, qui a pour tonalité, désormais, de soutenir en situation complexe les activités cognitives.

Les auteurs cités nous permettent de mieux comprendre sous quelles conditions l’information devient connaissance et sous quels auspices l’organisation évolue.

La notion d’apprentissage est invoquée. Nous allons tenter de la circonscrire.

L’entreprise se révèle comme lieu de pouvoirs, de libertés, de contraintes et d’incertitudes. L’information apparaît alors comme un enjeu et un risque.

Par ces perceptions, nous allons poursuivre l’exploration de la connaissance en organisation. Le terme générique de connaissance est donc sélectionné pour marquer le processus cognitif. Les compétences, les métiers, les savoir-faire seront désignés, plus volontiers par le vocable,

savoirs.

Le pluriel spécifie la multiplicité des procédures techniques et des processus intellectuels ainsi que la variabilité des déclinaisons.

Les chercheurs convoqués illustrent ces propos, grâce à des études en terrains hétérogènes. Ils marquent, de plus, l’impact de l’innovation dans ces processus.

Certes, les approches économiques évolutives ont permis à l’information spécialisée d’acquérir une nouvelle densité. Les préoccupations se sont déplacées. Désormais l’information spécialisée est analysée dans ses perspectives et ses finalités. Elle se révèle comme création de sens et non uniquement comme traitement formalisé.

On est passé d’une appréhension statique et isolée de l’information à la prise en compte des relations intrinsèques et persistantes qui conditionnent son existence même.

Les organisations en s’ouvrant à l’information,101 prennent un risque celui d’exister entre

nécessité et hasard, ordre et désordre.

Robert Boure le stipule lorsqu’il s’interroge sur la nature même de l’information envisagée en tant que sens et sur les conséquences résultantes de cette mutation. Nous avons ébauché ce sujet lors du chapitre I afin de marquer cette perspective actuelle.

Jean-Louis Le Moigne répond en précisant, l’enjeu d’une telle problématique.

« Pour les uns, au commencement doit être l’Ordre, la Nécessité, L’Organisation qui, pour fonctionner, produit nécessairement ses propres ordres, signaux ou informations, selon les lois

intangibles et naturelles de la Parcimonie Universelle (principe de moindre action) ; ceux-là

demanderont souvent à la mécanique physique et biologique de leur donner les modèles du calcul du bon système d’information de l’organisation. Pour les autres, moins nombreux, le

commencement doit être le Désordre, le Hasard, L’Informe, chaos informationnel bruyant et interactif, qui parfois suscite des séquences si fréquentes qu’elles semblent suffisamment stables : organisations émergentes dira-t-on, comme émerge le noyau au sein du cytoplasme dans la morphogenèse de la première cellule. Ceux-là demanderont à la thermodynamique, à la dynamique des systèmes non linéaires de leur fournir des modèles probabilistes simulables du comportement d’un système d’information viabilisant l’organisation résultante. »102

Nous avons constaté, comme J.-L. Le Moigne, que de nombreuses approches organisationnelles ont occulté plus ou moins consciemment le projet de l’acteur, sa stratégie face à l’entreprise qui anticipe, programme et organise. Lors de la partie sur l’évolution des systèmes informatiques conçus à une époque comme des centrales informationnelles, nous avions présupposé cet état de fait.

De nouvelles voies de recherche s’ouvrent sur les dynamiques sociales de l’organisation. Selon Jean-Louis Le Moigne, le système d’information stratégique sera, au futur, marqué par les avancées de l’intelligence artificielle et des sciences de la cognition. Il aura pour vocation d’activer l’intelligence des acteurs en interaction permanente.

Les chercheurs en gestion, travaillant sur la systémique et la complexité économique insistent sur la portée fondamentale de l’innovation. Dans ce cas, l’entreprise fonde son avantage compétitif sur une véritable culture de l’innovation. Afin de poser cette analyse, nous avons pris pour appui sur les réflexions menées au sein du cinquième colloque de L’AIM du 8, 9, 10 novembre 2000, Montpellier, qui regroupe des chercheurs de gestion et d’autres disciplines

101 terme pris au sens large et englobant l’acception de connaissance

102 J.-L. Le Moigne. L’Information forme l’organisation qui la forme. In Science de la Société. Les Organisations

diverses.103

Nous présenterons et commenterons ces approches dans la Partie III de ce travail.

Les travaux de sociologie de l’innovation confortent les travaux de ces analystes, tout en marquant certaines limites.

Les chercheurs en Sciences de l’Information et de la Communication ont intégré ces évolutions de perceptions et brossent généralement des approches critiques par l’observation de pratiques et par l’investigation d’outils ou de dispositifs.104

Si nous donnons, dans ce chapitre des exemples significatifs de cette perspective, c’est pour continuer l’exploration, dans les parties suivantes de ce travail. Des contributions récentes seront confrontées à nos propres explorations.

Jean-Louis Coujard,105 chercheur en Sciences de l’Information et de la Communication

présente des résultats théoriques, étayés par une étude de cas, en industrie. De fait, cet auteur, précise par le terrain observé en 1995, les perceptions, évoquées dans le chapitre précédent. Cet auteur marque plus particulièrement l’impact de l’innovation.

Si les premières représentations de l’innovation se caractérisaient par des radicalismes, des discontinuités dans les processus, désormais les innovations sont plus considérées sous leurs caractères limités et progressifs. Des logiques contradictoires entre diversification des productions et spécialisation des ressources tendent à s’allier.

103 Cinquième colloque de L’AIM du 8, 9, 10 novembre 2000, Montpellier, France. contributions étudiées : -L. Ducau. Gestion de l’innovation. NTIC et soutien des activités cognitives : une étude sur le programme

d’Ingénierie Assistée par Ordinateur au Technocentre Renault. (L. Ducau appartient au Groupe de Recherche

sur l’Adaptation, la Systémique et la Complexité Economique du GREQAM-GRASCE-CNRS. Faculté d’Economie Appliquée, Aix en Provence).

-E. Vaast, P.-J. Benghozi. Intranets et entreprises : technologie, apprentissages et organisation de la cohérence. E. Vaast est doctorante au CRG, Ecole Polytechnique, Paris et P.-J. Benghozi est Directeur de recherche au CNRS, CRG, Ecole Poytechnique, Paris

-S. Amabile, M. Gadille. Les NTIC dans les PME : Stratégies, capacités organisationnelles et performances

différenciées. (S. Amabile est Maître de Conférences, GRASCE/GREQAM UMR CNRS, Aix-Marseille III ;

M. Gadille, Chargée de recherche CNRS, LATAPSES-IDEFI/UMR CNRS, Sofia Antipolis.

-N.-W. Pinède, A. Schott. Quelle dynamique organisationnelle pour le déploiement d’un système Intranet ?

L’exemple d’entreprises en Aquitaine. (N. W. Pinede, Maître de conférences, IUT Michel de Montaigne,

information et documentation d’entreprise, Gradignan ; A. Schott, Maître de conférences, IUT Michel de Montaigne, communication d’entreprise, Gradignan).

104 N.-W. Pinède, A. Schott. Quelle dynamique organisationnelle pour le déploiement d’un système Intranet ? L’exemple d’entreprises en Aquitaine. Colloque AIM, Ibid.

105 J.-L. Coujard. Information spécifique, innovation et apprentissage dans l’organisation. Esquisse d’une approche critique. In Science de la Société. Les Organisations au risque de l’information, n° 33, Presses Universitaires du Mirail, oct. 1994. pp. 59-72 (Professeur de Sciences de l’information et de la Communication, chercheur à la cellule d’Etudes et de Recherche sur l’Information Spécialisée et sur l’Economie/ENSAIA-INPL, Vandœuvre).

De fait, les distinctions entre objectifs stratégiques et opérationnels s’ajustent et s’imbriquent. L’innovation est considérée comme un processus qui peut naître ou se développer dans le réel de la pratique productive. La flexibilité augmente les réglages et les arrangements successifs. L’importance est donnée aux mises en phases dans lesquelles l’information spécifique s’inscrit. On distingue des situations où existent incorporation et matérialisation, au sein du cycle productif et des situations où l’information est consignée, accumulée comme trace, symbole d’un prochain cycle productif.

L’innovation technologique construit un processus cognitif. Personne ne met plus en doute l’acquisition des connaissances, en tant qu’acte social.

Deux constats s’imposent : une innovation ne peut être réellement efficace que si elle s’ajoute et interagit grâce à un apprentissage collectif et progressif. Le management tient compte de cette connaissance dégagée qu’il tend à valoriser sous forme mémorielle et patrimoniale. Dans les entreprises industrielles, la conservation du savoir par l’apprentissage est de plus en plus pratiquée.

Il s’avère que le savoir est mieux appréhendé depuis que les sciences cognitives investissent les processus mentaux, et plus particulièrement dans les situations d’expertise. La notion d’expertise se révèle, alors, par l’intériorisation des règles, devenues inconscientes.

Ce processus est porteur, cependant, d’une logique contradictoire. Autant le savoir-faire est valorisé par son caractère singulier autant la dépossession du savoir implicite peut être envisageable. Les opérateurs peuvent être remplacés par d’autres, mais moins coûteux… L’innovation entraîne, de fait, des changements évidents dans l’organisation. Elle tend à répartir autrement la masse salariale, voire à supprimer certaines qualifications.

Patrice Flichy, par son approche nourrie d’un aspect pluridisciplinaire, propose une nouvelle théorie de l’innovation dans l’espace public et privé. Cet auteur favorise un nouveau regard sur les technologies réseaux. Il apporte des éléments complémentaires et spécifiques, en étudiant de façon indifférenciée, dans la mouvance de l’anthropologie et de la nouvelle sociologie des sciences, les aspects techniques et sociaux. P. Flichy décline une nouvelle théorie de l’innovation en se fondant sur la sociologie interactionniste :

« À côté de ces théories standards largement dominantes en économie, en sociologie et en histoire; l’anthropologie et la nouvelle sociologie des sciences proposent de nouvelles

approches, elles essaient d’ouvrir la boîte noire106 et de traiter indifféremment des aspects

techniques et sociaux. (...) Dans cette lignée de recherche et en m’appuyant sur les acquis de la sociologie interactionniste, je présenterai ma propre approche de l’innovation. J’étudierai comment s’organise l’action socio-technique des différents acteurs de l’innovation, notamment celle des concepteurs et des usagers, au sein de mêmes cadres de référence.» Cette citation est extraite de l’Avant-propos de son ouvrage, L’Innovation technique : récents

développements en sciences sociales vers une nouvelle théorie de l’innovation. 107

Lors d’un article sur le développement et l’apprentissage des TIC, écrit en collaboration avec P-.J. Benghozi, A. D’Iribarne, P. Flichy précise, par un travail sur des études de cas :

« Comme nous l’avons déjà noté, les vagues de technologies qui caractérisent les TIC contribuent à modeler des formes tout à fait particulières d’apprentissage organisationnel, différentes selon les générations d’entreprises, les moments où se sont passés l’adoption et les types d’usages favorisés. On constate des effets de cycle (...). Il y a alternance des phases de discussion avec les utilisateurs et des phases plus autoritaires visant à forcer la cohérence. Ces cycles résultent d’une co-évolution entre les technologies de réseau et les entreprises. Cette dynamique est itérative et cumulative : les applications précédentes sont les bases des applications suivantes, l’apprentissage est structuré par la configuration du réseau, celui-ci assure l’incorporation des savoirs et l’archivage des connaissances. On est bien dans un dispositif de dépendance du chemin. D’un point de vue opératoire, ces observations devraient pouvoir ouvrir la voie à des processus d’accompagnement ciblés reposant, par exemple plutôt sur la nécessité d’aide et d’assistance au départ, la nécessité de financement ensuite, et l’importance de l’accent à mettre sur l’implication de la direction de l’entreprise tout au long des processus. »108

106 Selon l’expression consacrée par : P. Watzlawick. L’Invention de la réalité. Paris : Seuil, 1988.

P. Watzlawick conçoit la communication comme construction du réel ou constructivisme. Cette conception s’ouvre sur l’interactionnisme. «L’interaction est l’ensemble d’effets réels exercés mutuellement sur les

partenaires d’une relation de communication par la mise en œuvre même de la communication entre eux.».

Cette définition est tirée de B. Lamizet et A. Silem. In Dictionnaire encyclopédique des Sciences de

l’Information et de la Ccommunication. Op. Cit.

107 P. Flichy. L’Innovation technique : Récents développements en sciences sociales vers une nouvelle théorie de

l’innovation. Paris : Éditions La Découverte, 1997, (coll. Sciences et Sociétés) (Chercheur au Centre National

d’Etudes des Télécommunications, CENT, Directeur d’un laboratoire commun au CENT et au CNRS, Directeur de la revue Réseaux.)

108 P.-J. Benghozi, P. Flichy, A. D’Iribarne. Le développement des NTIC dans les entreprises françaises. Premiers constats. In Réseaux. Dir. publ., P. Flichy. Vol. 18, n° 104, 2000 pp. 33-56.

P. Flichy est aussi l’auteur de : Une Histoire de la communication moderne. Espace public et privé. Paris : La Découverte/Poche, 1997. L’Imaginaire d’Internet. Paris : Éditions La Découverte, 2001. (coll. Sciences et Sociétés).

Cette approche stipule l’appropriation progressive d’un savoir-faire. Ces auteurs soulignent, à cet effet, que l’utilisation des TIC modifie la répartition des compétences en les stimulant ou favorise des concurrences entre fonctions. C’est par une stratégie d’usage plus innovante que l’appropriation et la compétence supplémentaire peuvent naître.

L’apprentissage organisationnel des TIC est différent selon les entreprises et selon les moments où se déroulent l’intégration et les types d’usages voulus.

Nous poursuivrons cette réflexion sur l’impact des TIC, lors des analyses des terrains choisis pour notre étude. Chaque cas révélera, en effet sa particularité.