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1.2 L'Information dans l'organisation : Logiques économiques et approches théoriques.

1.2.2 L’Information et l’organisation, au risque des théories

Le maillage théorique ne peut être, pour notre objet qu’opportun, encore faut-il éviter l’écueil de la multiplication des discours sur l’information et l’accumulation de références qui en résulte.

Par la rapide approche historique développée auparavant, nous avons été saisies par le caractère protéiforme de l’Information.

Le plus souvent confondue avec ses modalités fonctionnelles et pragmatiques, cette notion répond assez mal à une tentative de formalisation théorique.

Et pourtant, au milieu du XX° siècle, C.-E. Shannon, tout en prenant les précautions épistémologiques nécessaires, afin de limiter les interprétations erronées ou abusives, a fait paraître avec W. Weaver, The Mathematical Theory of Communication.

L’approche de ces deux ingénieurs de la Bell Compagny est spécifique. En tant qu’ingénieurs, ils cherchent à améliorer la performance des outils de transmission de l’information et plus particulièrement les lignes télégraphiques. En mathématiciens, ils se basent, sur la quantification de l’information, produit d’un logarithme : le logarithme du maximum de vraisemblance par une distribution nominale multiple. La quantité d’informations est mesurée par le logarithme du nombre de choix possibles. Une unité de mesure à la fois générale, marquée par son indépendance de contenu et néanmoins précise par sa mesure du taux d’occupation d’un canal, est repérée. Le contenu du message n’est pas pris en compte, seules sont déclinées ses caractéristiques physiques, observables et mesurables, le signal étant spécifié par ses éléments fondamentaux, identifiables etses aspects technologiques.

Dans cette idée, l’information est mesurée comme une fonction croissante de la quantité répartissable. C.-E.. Shannon précise, en effet :

« Les aspects sémantiques de la communication ne relèvent pas de la diminution d’incertitude qu’elle entraîne. Sa formule du calcul de la quantité d’informations repose sur le rapport entre le nombre des possibles avant l’information et ce même nombre, après l’information. Cette quantification est dépendante d’une probabilité : celle qu’un message singulier peut être composé par un jeu combinatoire de signes. L’information génère donc une réduction d’incertitude, fondement essentiel de sa valeur. L’incertitude est égale au nombre de choix binaires utiles pour isoler un élément unique dans un ensemble : chaque élément a la même probabilité d’être signalé. L’information a donc pour valeur, la faculté de mesurer mathématiquement la spécificité d’une situation élaborée auprès d’un récepteur, lors de la transmission d’un message.24

Il est à noter que la notion mathématique de probabilité renvoie à un élément fondamental et néanmoins étonnant, la surprise. Hormis la prise en compte de l’état psychologique, la surprise est directement liée à la quantité d’information émise. Une information à valeur élevée est une information à tonalité singulière.

L’approche de C.-E..Shannon et W. Weaver, bien que particulière reste fondamentale car elle relie l’information, par analogie, aux notions d’entropie et de désordre sensibles plus exactement en thermodynamique. Un message crée de l’ordre dans le désordre. La notion d’entropie informationnelle est un ajustement, en effet, de la notion d’entropie contenue dans la seconde loi de thermodynamique,25 notion qui formule le degré de désordre d’un ensemble.

L’entropie est en thermodynamique, la mesure physique du désordre. Le terme de mélange serait, selon les spécialistes, plus approprié mais désordre est le terme consacré par l’épistémologie. La quantification du désordre au moyen de l’entropie se fait véritablement par le dénombrement des états possibles.

Ces chercheurs, anciens élèves du Massachusetts Institute of Technologie ou MIT, ont travaillé en rapprochement constant avec Norbert Wiener, le fondateur de la cybernétique.26

24 C.-E. Shannon, W. Weaver. Théorie mathématique de la communication. Paris : Retz, 1975, p. 37.

25 Rappel des 2 principes de thermodynamique : le premier principe de la thermodynamique démontre qu’il y a conservation de l’énergie dans un système isolé, le second principe indique qu’il existe une valeur différente, l’entropie ; valeur qui peut varier mais toujours dans le même temps. (James Clerk Maxwell, 1871).

26 C.-E. Shanonn et W. Weaver, se sont appuyés sur les travaux de N. Wiener. Cybernétique et société.

Paris :UGE, 1971. (L’ouvrage original est : Cybernetic or Control and Communication in the Animal et

N. Wiener, professeur de mathématiques au MIT, dans le département du génie électrique, à partir de 1919, était intéressé plus particulièrement par les caractéristiques des séries temporelles comme les relevés de température, l’évolution des cours de la Bourse, la succession des signaux sur une ligne téléphonique… Dans son ouvrage, Cybernetic or

Control and Communication in the Animal et Machine, paru en 1948, N. Wiener développe

une application de statistiques (jusqu’alors utilisée pour les séries à évolution lente) sur des signaux téléphoniques, séries à évolution rapide. De fait, il compare les rapports entre les quantités de décision et la quantité correspondante d’information. L’expression mathématique est très proche de celle de C.-E. Shannon, visible dans sa théorie de la communication. Ces hommes ont croisé leurs références et leurs approches, en le revendiquant mutuellement de leur vivant.

La théorie de la communication est née dans un certain contexte technologique, économique et social. Sa prise en compte est essentielle. Dans notre court rappel historique, nous avons compris qu’autour des années 1940, aux USA, il existe déjà des calculateurs mécaniques très perfectionnés, des systèmes automatiques à base de circuits logiques et les premières machines d’IBM avec cartes perforées, ceci avant même que les livres de Shannon et Wiener ne soient parus ! De là, à penser que ces hommes étaient des accompagnateurs d’innovations plus que des précurseurs : il n’y a qu’un pas.

De fait, les méthodes de ces chercheurs étaient fondées sur des faits empiriques et non pas exclusivement sur de la théorie pure. La recherche en génie électrique bénéficiait d’un prestige considérable, en raison du potentiel acquis en recherche et développement. Dans ces

electrical engineerings, le radar et la télévision, entre autres nouveautés, avaient été inventés,

Dès lors, la théorie de la communication va être déclinée par plusieurs domaines scientifiques (sciences de l’ingénieur, biologie, linguistique, sciences cognitives…), tant son approche est transversale. Cette théorie se trouve, à la croisée de plusieurs concepts philosophiques et psychologiques. L’information comme réduction de l’incertitude, comme résultat de la surprise, comme centre de la problématique de l’ordre et du désordre et comme mesure de la complexité devient la valeur incontournable de tout système.

Ces idées fortes vont structurer la pensée communicationnelle. P. Breton souligne, à cet effet, que cette pensée va faire naître l’idéologie de la Communication qu’il baptise utopie de la

communication.27 L’enjeu résiderait dans une certaine vision idéologique de liberté qu’elle

promettrait. Nous y reviendrons.

Comme nous venons de l’expliciter, la théorie de l’information a pour objet les limitations consécutives à tout système de communication du plus primaire aux plus sophistiqué. Les limites de cette interprétation sont cependant perceptibles :

« (…) Prenons l’exemple d’un observateur faisant face à un ensemble de 8 cubes. L’incertitude de cet ensemble est de 3 bits (pour désigner l’un des 8 cubes, on a besoin de 3 instructions binaires). Si une information donnée permet de sélectionner 4 cubes parmi les 8, cette information correspond donc à une réduction d’incertitude de 3 à 2 bits, soit 1 bit d’information. Cette façon de voir les choses est séduisante parce qu’elle montre bien que l’information est un concept qui n’a de sens que dans un contexte bien précis : celui d’un ensemble fini et probabilisé, caractérisé par un niveau d’incertitude donné. L’information au sens de Shannon ne peut s’appliquer que dans le cas de la réduction d’un univers fini à un autre univers fini, mais plus petit. Hors de cette situation, la théorie de l’information perd tout son sens. »28 Emmanuel Dion, chercheur en gestion et auteur d’une thèse sur la théorie de

l’information tout en remarquant l’importance fondamentale de cette théorie, en précise aussi ses restrictions. Cette théorie quantifie plus qu’elle ne qualifie l’information. Sa valeur n’est pas totalement éclairée par cette orientation.

27 P. Breton, S. Proulx. L’Explosion de la communication : la naissance d’une nouvelle idéologie. Paris : Éditions La Découverte, 1989.

Nous avons exploré, d’autres théories concernant la valeur de l’information. Les spécialistes de l’organisation, se sont depuis toujours intéressés à sa valeur et ont développé à son égard des approches variées voire variables selon les différentes perceptions d’écoles.

À la lecture des théories des organisations, la nature protéiforme de l’information, se confirme nettement.

L’information est ressource, flux, outil de régulation selon les théoriciens des systèmes et de la contingence ; outil de transmission des ordres pour l’École Classique ; outil de motivation pour l’école des Relations Humaines ; outil de participation pour le courant socio- technique ;

instrument de contrôle et de domination pour les auteurs du Courant Critique ; outil d’intégration des approches contemporaines pour les culturalistes ; construction de l’organisation, essence de l’organisation pour les théoriciens des Systèmes Sociaux ; enjeu de

pouvoir pour tous…

Confrontées à toutes ces tendances, nous avons choisi d’en privilégier une, au cours de cette thèse, celle qui nous paraissait la plus représentative des organisations que nous avons nous- même observées : l’approche évolutionniste qui se caractérise par l’accent porté sur l’organisation comme lieu d’usages, d’apprentissages, de décisions et d’innovation.

Afin de confirmer l’ouverture transmise par cette approche évolutionniste, nous proposons d’expliciter les travaux de J.-G. March et H.-A. Simon qui furent développés durant les séminaires de Carnegie Technogical Institute de Pittsburgh. Ces réflexions constituent une nouvelle contribution à l’analyse des structures, des méthodes d’organisation et des actions considérées, alors, comme objets d’études.

Certains analystes pragmatiques de l’Information Scientifique et Technique, par exemple, ont perçu l‘aspect le plus catégorique de leur contribution. L’information est conçue comme élément constitutif du processus de décision. En s’inscrivant dans un processus basé sur une perspective probabiliste, l’information renvoie à la notion de gain ou de valeur ajoutée. Sont comparées, alors les décisions sans information préalable et les décisions prises après information. Dans le deuxième cas, une valeur ajoutée est sensible.

J.-G. March et H.-A. Simon29 ont constaté, tout d’abord que l’environnement de

l’organisation a pour caractéristiques : la complexité, la mouvance et la limitation. Par conséquent, la rationalité totale des acteurs ne peut exister, ne maîtrisant pas tous les choix, ils n’ont qu’une vision partielle de la situation. En raison de cela, ils proposent comme modèle,

une rationalité limitée, dans le but d’améliorer les processus décisionnels.

Ces idées sont conceptualisées, généralement, sous l’appellation de théorie de la rationalité

limitée, ayant pour base un modèle mathématique.

Allons plus loin dans l’appréciation de cette théorie : même si parfois elle se montre arbitraire, elle a pour exigence méthodologique un objectif de tolérance et d’ouverture épistémologique. Elle maille ses propres remarques de travaux de praticiens et de chercheurs, et de la même façon, elle rapproche les études de spécialistes d’organisations de celles des psychologues, sociologues, politologues et économistes. Ces confrontations intellectuelles enrichissent l’analyse des critères retenus et permettent l’élaboration de propositions déterminées et constructives expérimentables et mesurables à d’autres.

L' ouvrage Organisations, publié en 1958, à New York, par J.-G. March et H.-A. Simon, se décline comme un répertoire réfléchi de toutes les recherches de Sciences Humaines portant directement ou indirectement sur les organisations. Cet ouvrage dresse le bilan de tout ce que l’on aurait pu croire conquis dans ce domaine. Cette action de mise au point aboutit à la mise en forme d’une nouvelle perspective.

J.-G. March et H.-A. Simon n’ont pas cherché à élaborer une théorie. Ils essaient de comprendre non pas la valeur globale trop souvent proche de l’apparence ou du constat, mais le caractère opérationnel des situations confrontées à des hypothèses.

En cela, leur propos est original.

Ils distinguent les trois grands types d’apport des théoriciens des organisations, les

rationalistes ou classiques de l’organisation,30 les chercheurs (psychologues sociaux,

psychosociologues…) de L’École des Relations Humaines31 et les chercheurs néo-

rationalistes qui réaliseraient une synthèse en pensant la rationalité d’une façon plus humaine.

29 J.-G. March, H.-A. Simon. Les organisations : Problèmes psychosociologiques. Préface de M. Crozier, Postface d’E. Friedberg. Paris, Dunod, 2ème éd. 1999. (ouvrage original : Organisations. New York : John Wiley and sons, Inc.1958) ; (Bordas, pour la 1° édition en langue française, 1964).

30 Apport de F.-W. Taylor et du taylorisme qui introduisit, de façon catégorique, (one best way) le rationalisme dans l’organisation jusqu’alors conservatrice du travail humain.

31 Nous évoquons le courant de E. Mayo, F.- J. Roethlisberger et l’Ecole de Harvard, qui travaillèrent sur les motivations

J.-G. March et H.-A. Simon, se situent dans cette troisième voie en montrant ce qu’est la rationalité pour l’homme, et ceci par leurs propres recherches. Pour les théoriciens classiques de l’action, l’homme recherche la solution optimale qui ne peut découler, en réalité, que de l’expérience. Responsable ou simple acteur, chacun s’arrête à la première solution trouvée, consciemment ou inconsciemment, selon ses critères de valeur et sa perception de la réalité. Lors de recherches sur l’introduction d’un dispositif électronique, J.-G. March et H.-A.. Simon scrutent comment le processus d’innovation se décline. Ils remarquent que même si les intérêts sont importants, un ajustement est toujours requis entre l’éventualité souhaitée et la réponse donnée selon des critères minima dépendants de facteurs psychologiques et sociologiques. Nous sommes loin de la rationalité de F.-W. Taylor.32

J.-G. March et H.-A.. Simon soulignent la nécessité pour l’organisation d’envisager des sortes de répertoires de programmes d’action. Car, non seulement l’organisation s’ajuste continuellement par des mécanismes d’adaptation mais elle doit aussi les décliner, à l’intérieur même de sa structure par un processus d’apprentissage-enregistrement.

Ceci fait écho à une réalité perçue dans nos observations de terrains : l’acteur, quel que soit son positionnement hiérarchique est soumis à une double contrainte ou double lien33 :

l’individu sent une limite : il ne peut disposer d’une liberté complète. L’organisation dans sa nécessité de programmer, l’assujettit à une liberté que nous pourrions qualifier de contrainte. C’est en soulignant les limites de la capacité humaine à planifier et la complexité structurelle des organisations que J.-G. March et H.-A. Simon préconisent le système décentralisé plus que le système centralisé.

« (…) Puisque la décentralisation est devenue nécessaire parce que personne ne peut consciemment peser toutes les considérations portant sur les décisions de tant d’individus, la coordination ne peut clairement être effectuée par un contrôle conscient mais seulement par des dispositifs qui transmettent à chaque agent l’information qu’il doit posséder pour ajuster effectivement ses décisions à celles des autres. Et puisque les détails des changements que subissent constamment les conditions de l’offre et de la demande des différentes prestations

32 F.-W. Taylor. Principes d’Organisation Scientifique des usines. Paris, Dunod, 1947. (ouvrage original. The

Principles of scientific managment. New York, Harper, 1911).

33 Expression et notion inventées par la dite Ecole de Palo Alto. Nous décrirons l’approche des chercheurs de cette école, plus loin, dans l’exposé. Ce terme désigne une injonction paradoxale qui oblige l’interlocuteur à une réponse.

P. Watzlawick. La réalité de la réalité : Confusion, désinformation, communication. Paris : Éditions du Seuil, 1978, p. 26-29.

ne peuvent jamais être connus parfaitement, ou assez rapidement pour être rassemblés et diffusés par un centre unique, ce qui est réclamé est un appareillage d’enregistrement qui note automatiquement tous les effets idoines des actions individuelles, et dont les indications sont en même temps la résultante etle guide de toutes les décisions individuelles. »34

Le modernisme de ces propos publiés en 1958, est saisissant. Cette rationalité se révèle dans la déclinaison des politiques et des stratégies des réseaux technologiques externes et internes de l’organisation actuelle. Les politiques et les stratégies nous semblent très marquées par un déterminisme technologique : l’outil technique créerait la rationalité.

Nous poursuivrons l’analyse, ultérieurement.