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2.1 L’Information et ses systèmes, en organisation : traditions et innovations Information formelle et informelle

2.1.1 Information et systèmes : au-delà du mythe fondateur de la citadelle unifiée

En apposant ce titre, nous nous interrogeons, plus précisément, sur ce qu’on entend par

système d’information en organisation. Nous voulons faire le point sur les différents

présupposés concernant cette acception. Au-delà des orientations typées, nous recherchons un sens critique, et pour cela, nous allons décliner, un regard historique, à cet effet déjà exercé dans notre étude.

Tout système38 d’information naît de l’organisation, dans laquelle il s’insère. Il est la réponse

produite par la structure aux différents problèmes d’information rencontrés. Le développement des systèmes et des réseaux s’appuie sur un succès mutuel et de fait sur une dépendance des uns et des autres. Nous avons pu déjà le percevoir, par l’analyse diachronique concernant l’Information Scientifique et Technique.

Le meilleur exemple, historiquement validé, est le système de registres réglementant les actes de naissances et de mariages. Luther, en proposant sa Réforme, critiqua fortement les dogmes en vigueur de l’Église Catholique, au nom d’une discordance entre les injonctions officielles et les pratiques réelles. Il remarqua, ainsi, les vices de forme des dispositifs en cours : aucune

38 Système, répandu au XIX°siècle provient du grec sustêma, assemblage, composition. Ce terme désigne en théorie scientifique, un ensemble organisé d’éléments intellectuels (théorie, doctrine, opinion) ; ensemble coordonné de pratiques tendant à obtenir un résultat (méthode, plan) ; ensemble de méthodes formant une construction théorique et une méthode pratique (politique, régime). A partir du XVII ° siècle, ensemble possédant une structure ; par exemple : ensemble structuré d’éléments naturels de même espèce et appareil, dispositif ou programme formés par une réunion d’organes, d’éléments analogues constituant un ensemble cohérent (système électrique, par exemple, système de traitement de l’information, système d’exploitation…) ;

vérification des actes n’était, alors, possible. En réponse, L’Église Catholique adopta, en 1563, lors du Concile de Trente, le dispositif des registres de baptêmes qui constitue, dans nos termes actuels, un système d’information international global. Le Roi François 1er, pour des

raisons politiques évidentes a devancé la demande en constituant l’ordonnance de Villers- Cotterêts, complétée par l’Édit de Blois de 1579 qui institua les registres de mariage et d’enterrement. En 1791, L’Assemblée Législative confie aux municipalités la charge du système civil, constitué de façon similaire, avec registres en mairies des naissances, mariages et morts. 39

Ce dispositif né d’une carence d’usage,40 illustre parfaitement l’ancrage de l’information par

une forme et ceci en réponse à une demande toujours évolutive. L’entrelacement de choix et de contingences sociales et politiques pourrait se retrouver illustré dans notre siècle, par exemple, par le programme d’informatisation ordonné par l’État, dans les administrations, en 1985, afin de limiter le retard français pris dans l’introduction des Technologies de l’Information et de la Communication.41 Ceci entraîna réactions et adaptations.

Paradoxalement, cette information organisée en système est indissociable de la vie sociale, professionnelle et ludique. L’intégration est si persistante que nous ne la percevons pas : elle souligne le perpétuel changement auquel nous sommes soumis. Certes, le système est un ensemble cohérent à finalité conceptuelle et/ou pragmatique ; et pourtant, sa version

ensemble structuré de choses abstraites, système de références (un système de concepts). In Petit Robert, édition 2000. Nous repréciserons ce terme, lors de l’explicitation de la pensée systémique.

39 Lire, à ce propos, l’étonnant article sur le mariage contenu dans l’Encyclopédia Universalis. Le Mariage. T. 10, p. 512 !

40 Usage du latin usus a plusieurs sens liés : le fait d’appliquer un objet, une matière pour obtenir un effet et satisfaire une nécessité (utilisation) ; la mise en activité effective d’une faculté (fonctionnement) ; le fait de pouvoir produire un effet particulier et voulu (service) ; la manière dont les éléments du langage sont employés (emploi) ; la modalité que l’ancienneté ou la pratique rend courante dans une société donnée (mœurs, mode) ; l’ensemble de pratiques sociales : l’usage ; la pratique habituelle d’une activité ou fréquentation habituelle d’un milieu (habitude) ; les usages, bonnes manières que donne l’expérience de la bonne société ; respect des meilleurs usages (civilité, politesse) et en droit : le droit réel qui permet à son titulaire de se servir d’une chose appartenant à autrui (propriété et usage, voir usufruit), définition extraite du Petit Robert, Op. Cit.

Pour notre étude, nous reviendrons sur ce terme car nous explorerons davantage les sens d’utilisation, de

fonctionnement et de service. A la suite de chercheurs comme Jacques Perriault, nous reviendrons sur l’idée de

pratiques progressives.

J. Perriault. La logique de l’usage : Essai sur les machines à communiquer. Paris : Flammarion, 1989.

41 Nous voulons évoquer le plan national d’Informatique pour Tous, de 1985 qui visait à équiper tous les établissements scolaires de micro-ordinateurs Thomson. Sous la responsabilité de Laurent Fabius, le gouvernement français fut contesté pour cette dotation, en raison des performances limitées des matériels et logiciels et surtout en raison des objectifs réels d’une telle opération (objectifs éducatifs versus industriels). Ce plan, marqué par une forte centralisation, a longtemps constitué l’origine unique des matériels de la majorité des établissements scolaires français.

technologique, informatique, télématique le fait apparaître comme une rupture par rapport aux règles traditionnelles.

L’approche des ingénieurs, des années 1960 aux années 1980, présupposait avec un peu trop de rapidité, à la suite des schémas de la cybernétique (courant de N. Wiener et de J. Von Neuman), des lois de la mécanique et de la biologie que les systèmes informatisés d’information représentaient, par analogie, l’unique système nerveux de l’organisation. Cette formalisation était vue comme une césure par rapport aux habitudes antérieures. La machine par l’exploitation des signaux imitait le réseau de neurones. Les fameux systèmes d’information, qualifiés de management, Management Information, System ou MIS, étaient, à l’époque, une conséquence directe des premiers développements de l’informatique. Depuis les années 1990, l’appréciation est plus modérée. Le projet de puissants systèmes unifiés d’information, orientés vers le management s’est avéré mythique et onéreux. Les informations se formalisaient en deçà des intentions exclusives des dirigeants. Faits signifiants : les expressions MIS et IPS, Information Processing System sont devenues équivalentes.

Les faits et installations des systèmes dans l’organisation le confirment. Le système d’information ne représente souvent que des versions actualisées de la transmission par circuits et flux traditionnels, plus en concordance avec les exigences actuelles de temporalité et d’efficience. Le dispositif est souvent confondu avec la méthode qui l’agence. Cette méthode, quelle que soit sa forme peut être identique ou proche de celle déjà déclinée au passé.

Tout système d’information créé, par nécessité inconsciente, est rendu coutumier et invisible, par son usage. Certes, il modifie les actes sur lesquels il s’exerce mais il s'incorpore au fonctionnement de la structure qui le met en place et le rend vivant, selon les règles des usages définis et vécus.

En revanche, il est envisageable qu’il puisse transformer en retour la structure qui l’a fait naître. Si une notion de rupture s’opère, elle se vérifie dans les effets d’incorporation ou de rejet : le système d’information n’existe qu’à travers ses finalités et ses appropriations. Nous analyserons, ultérieurement, ce phénomène, avec plus de précision.

Dans une organisation, l’information circule à travers de nombreux canaux dits traditionnels : les contacts, les documents, les courriers, les réunions de travail, les notes officielles, les

circulaires. Pour quelques-uns, ceci ne constitue pas un système d’information ; pour d’autres, il représente le système d’information informel. L’information formelle (données) s’opposerait à l’information informelle (langue naturelle).

M.-J. Alexander, chercheur américain en Information System va dans ce sens, dès les années 1970, en soulignant la spécificité des systèmes d’information. Il distingue : système d’information informel, système d’information organisationnel, système d’information d’exécution, système d’information de gestion, système d’information de prise de décision et enfin système d’information du traitement des data ayant pour objectif la mémorisation, la saisie, le calcul, la prévision :

« De nombreux managers ne réalisent pas l’existence de différents systèmes d’information qui fonctionnent sans interruption dans l’entreprise. Ces différents flux d’information jouent un rôle vital de coordination dans toutes les activités de l’organisation. Tout individu de l’organisation a besoin d’une richesse d’information pour exécuter efficacement son service propre (…). Chacun de ces systèmes d’information a des caractéristiques distinctes et joue un rôle dans la satisfaction des besoins en information de toute l’organisation. » 42

Cette reconnaissance de l’informel n’est pas encore très prise en compte. Certains systèmes formels, marqués par des transmissions nettes de données, semblent être plus prégnants que d’autres. Ceci est surtout sensible dans les discours.

Dans les discours managériaux, où les termes d’outils mathématiques, d’aides à la décision, de recherches opérationnelles, de Management Information System sont présents, l’information est pour la plupart synonyme de données. Ceci est induit par l’ajustement souvent implicite des deux approches théoriques évoquées plus haut. L’information, considérée comme data (théorie de Shannon), devient matière première du processus décisionnel (théorie de J.-H. March et H.-A. Simon). Dans ce cas, le principal usage de l’information apparaît être la décision. Le décideur serait le client privilégié du système d’information. Le système serait un outil pour le manager, il constituerait le système formel transportant des données selon des procédures choisies par la hiérarchie. Une lecture plus précise de H.-A. Simon aurait prémuni, certains de cette dérive. Il n’y a pas de solution

optimale, à la différence du : one best way, expression révélatrice des idées et des travaux de F.-W. Taylor, par exemple.43

« Si le fait qu’elle soit là peut-être une raison suffisante pour escalader une montagne, la simple existence d’une masse de données n’est pas une raison suffisante pour les réunir en un seul et unique système central d’information. Le problème est en réalité inverse : il s’agit de trouver un moyen de factoriser les problèmes de décision afin de relier les différentes composantes à leurs sources de données respectives. »44

Nous comprenons, de nouveau que l’approche de H.-A. Simon a été catégorisée et systématisée.

En effet, dans la réalité, bien que les critères décisionnels existent, la plupart des systèmes ne sont pas des réels systèmes de management : ils sont développés pour des effets d’amélioration, dans les fonctions déjà existantes de traitement de données. Ces systèmes n’ont pas pour objectif direct d’améliorer, stricto sensu, l’efficacité de la prise de décision des managers. Il est à noter que désormais les programmes d’ingénierie de l’information appréhendent l’entreprise comme un ensemble d’hommes et de machines travaillant en

coopération sur un réseau informatique. La machine se transforme, alors, en Réseau Hybride d’Intelligence, (RHI) : le fonctionnement des RHI pose le problème des nouvelles formes

stratégiques de rationalisation du travail.45

Si ce formalisme et ce rationalisme, un peu trop exclusifs, peuvent être encore prégnants, dans certains discours, ce serait oublié, un peu vite la complexité de l’organisation, la liberté de chaque acteur et l‘usage que l’individu fait de la multitude de canaux qui est à sa disposition. Cette coexistence du formel et de l’informel est, en elle-même, porteuse de sens. Nous y reviendrons.

43 Nous poursuiverons plus loin, l’explicitation de la théorie traditionnelle des organisations avec sa pensée classique sur la rationalité.

44 H.-A. Simon. Administration et processus de décision. Paris : Economica, 1983, p. 265.

45 Pour lecture complémentaire, voir l’article de W.-A. Turner. Penser l’entrelacement de l’Humain et du Technique : les réseaux hybrides d’intelligence. In SOLARIS, n° 1, 1994.

Visible sur URL : http ://www. info. unicaen. fr/bnum/jelec/Solaris/d01/index. html, consulté le 15/O5/02. Nous poursuiverons cette analyse, plus loin, dans la Partie III.