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3.2 Démarche, proposition et objet précis d’étude Les constantes déclarées et notre choix.

3.2.3 La démarche et la méthode : choix et justificatif 1 Première investigation de démarche

3.2.3.2 Dès lors, notre démarche

3.2.3.2.2 Le cadre d’analyse : La Systémique et le Constructivisme sous dimension anthropologique

Certes, le territoire théorique de notre étude s’est imposé de fait, par le choix du sujet, de la problématique, des hypothèses. Nous ne pouvions que convoquer, d’une façon conjointe, la Systémique et le Constructivisme. Cependant, la démarche anthropologique et l’orientation ethnologique sont nées de la nécessaire observation des terrains. Cette dernière entraîne quelques exigences pour l’élaboration de la méthode d’exploration. Pour cela, nous avons choisi l’ethnométhodologie.

En effet, notre objectif était de concevoir un cadre d’analyse, pour notre objet, qui tienne compte de :

- l’intentionnalité du phénomène ou processus selon la philosophie d’Husserl et aussi paradoxalement de l’observation des manifestations extérieures de la réalité sociale, structures, fonctions, manifestations mais aussi démarches intellectuelles et symboliques qui

en rendent compte et qui permettent d’étudier les phénomènes du dedans, selon les recommandations de l’anthropologue G. Balandier ;159

- de l’exploration descriptive à dimension historique, ethnologique et anthropologique d’un terrain, utile pour l’expérimentation des jeux et des enjeux d’acteurs transformables en usages, stratégies et médiations.

- de l’approche plus dirigée sur la fonctionnalité de l’objet, approche transmise par certains courants d’ethnologie, et sensible dans les travaux de P. Flichy, de J. Perriault nous avons préféré nous diriger vers une orientation plus anthropologique qui recentre l’observation de l’objet technique étudié par rapport à l’homme.

Pour cela, nous avons pris appui sur les perspectives suggérées par G. Simondon et sur les avancées confirmés d’anthropologues tels que B. Malinowski, le fondateur de l’anthropologie 160; C. Lévi-Strauss ;161 E. Goffman ;162 M. Abelès ;163 F. Laplantine164 et B

Latour.165

- de la notion de mosaïque de Lucien Dällenbach, homme de Lettres, qui nous suggère pour toute structure actuelle l‘idée de tension exercée entre discontinuité, fragmentation, morcellement d’une part et la recherche d’une unité d’ensemble, la cohérence, l’harmonie d’autre part.

- de notre propre exigence d’envisager l’homme au cœur de la problématique et pour cela de s’engager vers une dimension anthropologique de la communication comme F. Chanlat,166

J. Lohisse,167 et Y. Winkin.168

159 G. Balandier. Sens et puissance. Paris : PUF, 1971. (Bibliographie de sociologie contemporaine).

160 B. Malinowski. Une théorie scientifique de la culture et autres essais. Paris : François Maspero. 1944, éd. Originale et 1968.

Et Journal d’ethnographe. Paris : Seuil, 1985.

161 C. Lévi-Strauss. Anthropologie Structurale. Paris : Plon, 1974. Et Anthropologie stucturale deux. Paris : Plon.1973 et 1996.

162 E. Goffman. Les Rites d’interaction. Paris : Aux éditions de Minuit, 1974. 163 M. Abelès. Un Ethnologue à L’Assemblée. Paris : Éditions Odile Jacob. 2000. 164 F. Laplantine. Anthropologie de la maladie. Paris : Payot. 1986. Réed. 1993. et L’Ethnopsychiatrie. Paris : PUF. 1988.

165 B. Latour. Le Métier de chercheur : regard d’un anthropologue. Conférence-débat à l’INRA, Paris, le 22 septembre 1994 : Institut National de la Recherche Agronomique, 1995.

et La Science en action : introduction à la sociologie des sciences. Paris : Gallimard, 1989.

166 J.-F. Chanlat. Sciences Sociales et management. Plaidoyer pour une anthropologie générale. Laval : Presses de l’Université Laval. Éditions Eska,1998.

167 J. Lohisse. La Communication : de la transmission à la relation. Bruxelles : De Boeck Université, 2001. Et : Les Systèmes de Communication : approche socio-anthropologique. Paris : Armand Colin, 1998.

- du rôle de la subjectivité des chercheurs des Sciences de l’homme selon les considérations

de G. Deveureux, anthropologue, ethnologue et psychanalyste.169 En explicitant ce que vit un

ethnographe sur le terrain d’observation et ce qu’un psychanalyste ressent en réaction par rapport à un patient, c’est-à-dire par le contre-transfert, G. Deveureux nous démontre l’importance de notre subjectivité de chercheur qui se révèle être plus une richesse qu’un handicap. Son avis est saisissant lorsqu’il nous précise que la perturbation entraînée par l’observation occasionne signe et sens :

« Au lieu de déplorer la perturbation due à notre présence sur le terrain ou dans le laboratoire, et au lieu de mettre en doute l’objectivité de toute observation du comportement, nous devrions aborder la difficulté d’une manière constructive et découvrir quels insights positifs, non susceptibles d’être obtenus par d’autres moyens, nous pouvons tirer du fait que la présence d’un observateur (qui est du même ordre de grandeur que ce qu’il observe) perturbe l’événement observé. »170

Raisons du choix de la Systémique

Le choix systémique s’est imposé, comme nous l’avons vu, par le sujet et l’objet même de recherche.

Envisager l’organisation comme un système, n’est en rien étonnant.

La notion de système vient de l’écologie. Cette science étudie le rapport entre les organismes vivants et le milieu où ils vivent. Apparue dans les années 1940, l’approche systémique a pour fondateurs, N. Wiener (théoricien de la cybernétique), W. Mc Culloch (créateur de la bionique), L. von Bertalanffy (théoricien des systèmes) et J.-W. Forrester (électronicien au MIT).

Le système est considéré comme un ensemble d’éléments en interdépendance et en interaction dynamique, organisé en fonction d’un but, et ceci dans un contexte donné.

Trois dimensions sont ainsi articulées : les éléments, les relations de ces éléments entre eux, l’objectif à atteindre.

168 Y. Winkin. Anthropologie de la communication : de la théorie au terrain. Bruxelles : De Boeck Université, 1996.

et Vers une anthropologie de la communication ? In La Communication : état des savoirs. Paris : Éditions Sciences Humaines. 1998, pp. 111-118.

Le système est, en effet, régi par trois principes : le principe d’interaction qui met en lumière l’idée d’interdépendance. Tout élément s’inscrit dans un contexte où il interagit. Le principe de totalité marque que le tout n’est pas égal à la somme des parties. Le principe de rétroaction (feed back) se développe dans une causalité circulaire où un effet « B »va rétroagir sur la cause « A » qui l’a produit. C’est le retour du signal à la source.

Une autre notion s’allie aux notions de système et d’interaction.

Le réseau est « l’ensemble des interconnexions entre plusieurs systèmes de communication ».171 Le réseau est alors envisagé comme le canal de flux d’énergie. Marquée

par l’idée d’interdépendance, cette notion peut être comprise dans un sens technologique (réseau Internet, réseau Intranet : réseaux de télécommunications) mais aussi géographique (infrastructures routières) ou sociologique (réseaux sociaux constitués par les relations établies au travail). Le réseau évoque autant le contexte, la structure que l’idée d’enchevêtrement.

Un système complexe doit en permanence se maintenir en équilibre, ce principe de régulation à l’encontre des possibles perturbations est nommé homéostasie. Il s’agit d’un état de

stabilisation des différentes variables constantes. Ces perturbations sont dues à la nature même du système, plus exactement à l’interdépendance et aux interactions d’éléments et par conséquent au réseau de relations qui les met en jeu. Si une modification intervient sur un des éléments, le système dans son ensemble en est transformé.

De fait, la communication est conçue comme172 un processus constitutif des relations tissées

au sein de l’organisation. Les notions de système et d’interaction éclairent comment ce processus communicationnel construit l’organisation et ce, au-delà d’un simple aspect technique.

Ces principes généraux conviennent, théoriquement, à notre propos, tant par les notions de système et d’interaction que par l’intérêt que cette approche accorde au réseau dans ses différents sens.

169 G. Deveureux. De l’angoisse à la méthode dans les sciences du comportement. Paris : Flammarion, 1980. 170 G. Deveureux. De l’angoisse à la méthode dans les sciences du comportement. Ibid, p. 369.

171 R. Escarpit. L’Information et la communication : théorie générale. Op Cit. p. 208. 172 Un processus se définit par son exercice et son résultat, dans un temps donné.

« Un processus est donc à priori, un complexe d’actions multiples et enchevêtrées que l’on perçoit par l’action

résultante » Il est en quelque sorte un système d’actions multiples. Cette définition est donnée par J.-C. Lugan.

C’est plus particulièrement, l’approche systémique appliquée aux organisations qui nous importe et spécialement celle que l’on attribue non au courant dit fondateur (paradigme de la première systémique dû au courant de la Cybernétique de Wiener N.173 et de J.-W Forrester,174

1960) mais au deuxième courant de la systémique. Ce deuxième courant, daté de 1975, renvoie au paradigme basé sur la complexité de E. Morin et J.-L Le Moigne.175

L’approche systémique appliquée aux organisations permet d’appréhender les individus dans leur contexte. Cette perception contextuelle est fondamentale pour cette orientation. Elle sollicite une focale : penser le fonctionnement de chaque individu à partir du rôle, de la fonction qu’il a ou qu’il peut développer au sein de l’organisation.

Dans cette perspective, lors de la Partie II, où nous exploiterons les constats de terrain, nous ferons référence plus amplement aux travaux de P. Watzlawick, J. de Rosnay,176 E. Morin et

J.-L. Le Moigne, de J. Mélèse177 et de M. Bonami, B. de Hennin, J-M. Boqué et J.-J.

Legrand,178 sans oublier d’y rattacher les réflexions sociologiques menées par Michel Crozier

et Erhard Friedberg.179 Notre projet est de nous intéresser au système en lui-même et surtout à

l’impact des techniques sur ce système et sur ses acteurs.

Ces références théoriques de base mêlées à des travaux de terrains nous ont facilité la mise en référencement, issu de l’observation des acteurs, des objets et des relations, ceci grâce à la méthode ethnologique utilisée.

Raisons du choix du Constructivisme

Le souhait de travailler sur les notions d’interaction et d’appropriation nous a convaincues de l’opportunité d’une telle approche.

173 N. Wiener. Cybernetics or Control and Communications. The Animal and the machine. Op. Cit. 174 J. Forrester. Industrial Dynamics. Cambridge : M.I.T. Press.

175 E. Morin, J.-L. Le Moigne. L’Intelligence de la complexité. Paris : L’Harmattan. (Coll. Cognition et formation), 1999.

J.-J. Le Moigne. La théorie du système général. Paris : PUF, 1977. E. Morin La Méthode. La Nature de la nature. Paris : Le Seuil, 1977. Voir autres titres de ces auteurs dans la bibliographie.

176J. de Rosnay. Le Macroscope. Paris : Le Seuil, 1975.

177 J. Mélèse. Approches systémiques des organisations : vers l’entreprise à complexité humaine. Paris : Les Éditions d’Organisation. 3° tirage 1995.

178 M. Bonami, B. de Hennin, J.-M. Boqué et J.-J. Legrand. Management des systèmes complexes : pensée

systémique et intervention dans les organisations. Bruxelles : DeBoeck Université. 1993.

179 Michel Crozier et Erhard Friedberg. L’Acteur et le système. Les contraintes de l’action collective. Paris. Éditions du Seuil, 1977.

La Systémique favorise, nous semble-t-il le lien avec le Constructivisme. Les anthropologues de la communication semblent le solliciter, également.180

Il nous semblait opportun de confirmer par une approche théorique l’emploi constant que nous faisons du terme acteurs. Considérer les individus comme des acteurs signifie qu’ils agissent sur leur contexte et sur le monde où ils sont. Ils construisent donc leur réalité.

Pour P. Watzlawick : « Le constructivisme radical est l’analyse des processus à travers lesquels nous créons des réalités, qu’elles soient individuelles, familiales, sociales, internationales, idéologiques, scientifiques… J’emploie le mot radical au sens étymologique, c’est-à-dire qui va aux racines. Chaque être humain est convaincu que sa construction de la réalité est la réalité réelle. »181

Pour cet auteur, il y a deux niveaux de réalité, l’un, du premier ordre, d’ordre objectif et l’autre du second ordre, d’ordre imaginatif. La réalité est une construction liée à la perception de chacun.

Ceci est en complet rapport, avec notre propos : nous allons nous attacher à voir ce qu’est

cette réalité de second ordre, en ce qui concerne le processus souligné par la deuxième

hypothèse posée. Ainsi nous nous attachons au caractère subjectif et intersubjectif des relations.

Raisons du choix de l’approche ethnologique et anthropologique.

Cette approche s’est imposée à nous, autant par l’observation des pré-terrains que par le regard historique que nous avons porté, alors, sur l’objet technique.

Si G. Simondon, J. Perriault, P. Flichy nous ont convaincues de l’intérêt d’une réflexion ethnosociologique et interactionniste pour toute innovation, l’observation des pré- terrains nous a amenées à plus nous intéresser à la dominante ethnométhodologique de H. Garfinkel182 : La méthode qualitative d’observation de H. Garfinkel requiert description et

180 Jean Lohisse le suggère dans son ouvrage : La communication : de la transmission à la relation. Op. Cit. Nous en reparlerons.

181 P. Watzlawick. La Réalité est une construction. Entretien avec P. Watzlawick. In La Communication. Etat des

Savoirs. Paris. Éditions Sciences Humaines.1998, pp. 135-142.

analyse non seulement des faits sociaux conçus comme accomplissements pratiques, mais aussi des interactions qui naissent de cette observation même.

De là à explorer davantage, l’ethnologie et l’anthropologie de la communication, il n’y avait qu’un pas. Nous l’avons osé.

Yves Winkin souligne l’orientation choisie :

« (…) la complexité de la moindre situation d’interaction est telle qu’il est vain de vouloir la réduire à deux ou plusieurs « variables » travaillant de façon linéaire… C’est en terme de niveau de complexité, de contextes multiples et de systèmes circulaires qu’il faut concevoir la recherche en communication.»183

Dans une de ces dernières publications, Yves Winkin ajoute : « C’est le titre même de ce livre : de la théorie au terrain, il faut donc y descendre. Observez le mouvement. La théorie plane sur les hauteurs ; le terrain gît en contrebas. Ce passage par le terrain n’est pas seulement obligé ; il est essentiel. Sans lui, pas de validation possible, pas d’anthropologie. Mais le terrain est terriblement exigeant, contraignant, angoissant même. D’où cette hiérarchisation explicite : la théorie en haut, l’empirisme en bas. Il faut chercher à lutter contre cette échelle des valeurs, en cherchant à faire de toute expérience de vie un terrain, c’est-à-dire en rendant la démarche ethnographique aussi peu étrangère à soi-même que possible. Il faut s’apprivoiser, en quelque sorte. (...) Le mouvement de toute recherche ethnographique est donc celui d’une double hélice : le chercheur part d’une idée mollement formulée, va sur le terrain, recueille des données en tout sens, revient vers ses lectures et commence à organiser ses données, retourne sur le terrain, lesté de questions déjà mieux conceptualisées et repart enfin, avec des premières réponses, vers une formulation généralisante. »184

Cette démarche nommée par Y. Winkin de mouvement de double hélice nous a permis de relever les indices qui étaient à voir afin de comprendre les blocages et les échanges qui pouvaient exister.

De plus, cette déclinaison a favorisé la perception de réalités, au-delà des amalgames dûs à des modélisations excessives, au-delà de discours communicationnels révélant le plus souvent

des dénis.

183 Yves Winkin. La Nouvelle Communication. Paris : Le Seuil. 1984.

184 Y. Winkin. Anthropologie de la communication : de la théorie au terrain. Paris : Ed. De Boeck Université.1996.p. 145-146.

Par le regard anthropologique, notre intention était de voir comment, par les réseaux, l’information pouvait redynamiser la partie normative de la communication en repositionnant cette valeur d’échange.185

L’idée d’investissement d’acteur, soulevée par la troisième hypothèse peut être confrontée, nous semble-t-il à la notion de partage et plus précisément à celle de don suggéré implicitement par le terme communication.

Notre première référence est l’étymon latin de communication (cum et munus), qui nous entraîne à explorer l’idée du don et du contre-don. À la suite de D. Winkin186 qui a ouvert,

une réflexion sur l’origine et l’évolution des termes d’Information et de Communication, nous avons voulu réinvestir cette idée de contre-don en la confrontant au travail de l’anthropologue M. Mauss.187 Nous y ferons référence lors de la Partie III de ce travail.

Seule, cette orientation nous y autorisait.

Nous préciserons courants et contenus de cette approche, dès le prochain chapitre, lorsque nous expliciterons notre champ d’observation et son cadre d’analyse.

185 Nous faisons allusion à la définition donnée par D. Wolton sur la communication et précédemment citée et commentée.

186 Y. Winkin. Munus ou la communication. L’étymologie comme heuristique. In MEI. Médiation et Information. N° 10, 1999, pp.43-51.

187 M. Mauss. œuvres. Paris : Éditions de Minuit. 1969. III tomes.

M. Mauss (1872-1950), (neveu de E. Durkheim), ethnologue et sociologue a travaillé sur des phénomènes fondamentaux et pour ainsi dire universels tels le don et la magie. En cela, il est un des précurseurs de l’anthropologie. Son ouvrage le plus connu est L’Essai sur le don..