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2.1 L’Information et ses systèmes, en organisation : traditions et innovations Information formelle et informelle

2.1.3 L’Information et l’objet technique

À ce propos, nous avons choisi de présenter en contrepoint les travaux des analystes transversaux de l’objet technique et de ses usages, que sont : le philosophe, G. Simondon, et l’ethnotechnologue, J. Perriault.

L’apport de Gilbert Simondon, nous semble primordial : il donne une autre dimension à l’objet technique tout en ouvrant sur la notion de système, par une idée paradoxale. Dans sa thèse de doctorat de 1958, Gilbert Simondon présente l’objet technique au carrefour de plusieurs domaines : technique, technologique et philosophique. En cela, il réintroduit l’objet technique dans la culture, en ne le réduisant pas en simple outil mais en découvrant les valeurs d’humanité qu’il possède. Il réinvestit la notion d’usage en ne la limitant pas à une relation d’habitude ou de propriété. En ce sens, G. Simondon, fait figure de précurseur d’un courant décliné et revendiqué, à l’heure actuelle, sous l’appellation d’Ethnotechnologie, courant marqué par la sociologie et l’anthropologie. Nous reparlerons de ce courant et des autres tendances de la sociologie actuelle en ce qui concerne l’objet technique, ceci afin d’apporter des précisions.

Dans son ouvrage, Du mode d’existence des objets techniques, G. Simondon expose les idées fondamentales de sa thèse. En guise de fondement théorique, il explicite ce qu’il entend par

processus de concrétisation. Il existe deux types d’objet technique. L’objet technique abstrait

est primitif : celui-ci tend à devenir de plus en plus semblable à l’objet naturel ; à l’opposé, l’objet technique concret, évolué est caractérisé par sa cohérence interne et par sa fonctionnalité qui se ferme sur elle-même tout en s’organisant. C’est l’homme qui rend concret cet objet en lui donnant son mode d’existence.

« Cet objet technique primitif n’est pas un système naturel, physique ; il est la traduction physique d’un système intellectuel. Pour cette raison, il est une application ou un faisceau d’application ; il vient après le savoir, et ne peut rien apprendre ; il ne peut être examiné inductivement comme un objet naturel, car il est précisément artificiel.

Au contraire, l’objet technique concret, c’est-à-dire évolué, se rapproche du mode d’existence des objets naturels, il tend vers la cohérence interne, vers la fermeture du système des causes et des effets qui s’exercent circulairement à l’intérieur de son enceinte, et de plus il incorpore une partie du monde naturel qui intervient comme condition de fonctionnement, et fait ainsi partie du système des causes et des effets. Cet objet, en évoluant, perd, son caractère d’artificialité : l’artificialité d’un objet réside dans le fait que l’homme doit intervenir pour maintenir cet objet dans l’existence en le protégeant contre le monde naturel, en lui donnant un statut à part d’existence. » 51

G. Simondon, en réfléchissant sur l’assimilation de l’objet technique à l’objet naturel et spécialement au vivant, nous met en garde, justement, sur tous les amalgames réducteurs. Il revendique, à ce propos, la non-création d’une science qui étudierait les mécanismes de régulation et de commande des différents automates construits. Il affirme :

« (…) la technologie doit envisager l’universalité des objets techniques. » 52

51 G. Simondon. Du mode d’existence des objets techniques. Paris : Aubier, 1958, 1989. Chap. Le processus de concrétisation. p. 46.

Nous émettrons une discussion à ce sujet, sachant que d’autres penseurs illustrant le courant anthropologique et ethnologique revendiquent justement le contraire : la création d’une science spécifique, en se basant sur le sens européen du mot technologie, sciences des techniques.53

Certains d’entre eux ont fondé, justement : l’École française de technologie. G. Simondon, stipule, par la même occasion, les limites de la Cybernétique :

« En ce sens, la Cybernétique est insuffisante : elle a le mérite immense d’être la première étude inductive des objets techniques, et de se présenter comme une étude du domaine intermédiaire entre les sciences spécialisées ; mais elle a trop spécialisé son domaine d’investigation, car elle est partie d’un certain nombre d’objets techniques ; elle a accepté comme point de départ ce que la technologie doit refuser : une classification des objets techniques opérée par des critères établis selon les genres et les espèces. »54

Ceci afin d’affirmer sa thèse essentielle :

« Ce qui risque de rendre le travail de la Cybernétique partiellement inefficace comme étude interscientifique (telle est pourtant la fin que Norbert Wiener assigne à sa recherche), c’est le postulat initial de l’identité des êtres vivants et des objets techniques auto-régulés. Or, on peut dire seulement que les objets techniques tendent vers la concrétisation, tandis que les objets naturels tels que les êtres vivants sont concrets dés le début. Il ne faut pas confondre la tendance à la concrétisation avec le statut d’existence entièrement concrète. »

G. Simondon resitue les dimensions de l’objet par rapport à ce qu’il est : une interface entre une modélisation intelligente et artificielle qu’il nomme automate et un objet technique qui reste abstrait sans l’intervention ou la concrétisation de l’homme, incarnation tangible de l’existence. Le regard que porte G. Simondon est lucide et universel :

53 Ces premiers chercheurs ethnologues en Science de la technologie, après guerre, sont entre autres : Marcel Mauss, André-Georges Haudricourt, Lucien Bernot, André Leroi-Gourhan. Ils ont proposé des approches transversales en intéressant l’anthropologie et la sociologie aux questions de la technique et de la technologie.

L’école française de technologie a été fondée par André Leroi-Gourhan et André-Georges Haudricourt. Ces

penseurs sont souvent donnés en références par les chercheurs actuels qui travaillent en ethnologie et sociologie du travail.

Un autre groupe d’ethnotechnologie, fondé par Thierry Gaudin, dans les années 1980, s’intéressa aux interactions entre technique et société. Nous approfondirons ces différents courants, dans la Partie -Démarche-.

« Il ne faut pas confondre la tendance à la concrétisation avec le statut d’existence entièrement concrète. Tout objet technique possède en quelque mesure des aspects d’abstraction résiduelle ; on ne doit pas opérer le passage à la limite et parler des objets techniques comme s’ils étaient des objets naturels. Les objets techniques doivent être étudiés dans leur évolution pour qu’on puisse en dégager le processus de concrétisation en tant que tendance ; mais il ne faut pas isoler le dernier produit de l’évolution technique pour le déclarer entièrement concret ; il est plus concret que les précédents, mais il est encore artificiel. Au lieu de considérer une classe d’êtres techniques, les automates, il faut suivre les lignes de concrétisation à travers l’évolution temporelle des objets techniques ; c’est selon cette voie seulement que le rapprochement entre être vivant et objet technique a une signification véritable, hors de toute mythologie. Sans la finalité pensée et réalisée par le vivant, la causalité physique ne pourrait seule produire une concrétisation positive et efficace. »55

C’est au titre, de cette dimension universelle et humaniste que la pensée de G. Simondon se justifie.

Nous poursuivrons la lecture de ces écrits, dans la partie démarche, afin d’expliciter notre approche : il soutient en effet, l’opportunité du recours à l’analyse systémique et ethnologique. Dans la troisième partie de cette thèse, nous oserons une réflexion sur la mise en modèle et dans ce but, nous créerons une discussion entre G. Simondon et d’autres penseurs de l’objet technique.