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3.2 Démarche, proposition et objet précis d’étude Les constantes déclarées et notre choix.

3.2.1 Les constantes déclarées.

De ces variables posées en guise de références, nous tirons, la ligne fédératrice de notre proposition : soumettre outils, dispositifs à la relation entre l’humain et le non-humain afin d’accéder à une perception anthropologique de la mémoire, du temps et de la création.

Ce travail, se situant dans le domaine des Sciences de l’Information et de la Communication, est de nature interdisciplinaire et a une dimension anthropologique incontournable.

Cela pourrait nous protéger quelque peu, d’un certain ostracisme.141

Au croisement de plusieurs disciplines, l’objet informationnel peut être éclairé de différentes façons.

Notre choix, nous le rappelons, était d’examiner sa nature et sa valeur en organisation.

L’exploration théorique a permis de discerner trois dimensions ou constantes : la dimension de la transmission et par conséquent de la mémorisation ; la dimension de l’action (stratégie, projet individuel, groupal, organisationnel) ; la dimension de la représentation symbolique de l’organisation. Ces trois dimensions se mêlent.

Car si l’information est transmission par l’outil ou l’homme, elle est aussi représentation symbolique de l’organisation, vécue comme corps social. L’information transformée en action, plus exactement en connaissance contribuerait à créer cette représentation sociale.142

141 Nous ne manquerons pas de citer, plus tard, les auteurs qui ont affermi notre conviction : E. Goffman, Y. Winkin, G. Balandier, D. Wolton, J. Cosnier, J. Lohisse, J.-F. Chanlat, P. Baudry et bien d’autres…

142 La représentation sociale est un concept apparu en sociologie et développé ensuite par la psychologie sociale. Il désigne un construit d’images mentales correspondant à des jugements sur les objets de l’univers social de l’homme. De E. Durkeim à S. Moscovici le concept s’est transformé en sens et portée : la notion de

représentation collective est devenue représentation sociale.

Dans ce travail, lorsque nous parlons de représentations sociales, nous nous situons au niveau des connaissances pratiques, des cadres d’interprétation qu’ont les individus pour produire du sens. Cette connaissance est socialement marquée par le système de valeurs des personnes, du groupe et des normes.

Nous n’envisageons pas l’acception dans sa dimension psycho-sociale, stricte. Ces références sont tirées de :

J.-C. Abric Sous la dir. de. Pratiques sociales et représentations. Paris : Presses universitaires de France. 1994. Chap. 7 Représentations sociales et projet de changement technologique en entreprise. J. Singéry. pp. 177-216.

Cependant, nous n’aborderons pas, dans ce travail, la notion de représentation symbolique, au vu de sa spécificité. Nous la suggérerons, uniquement, lorsque nous parlerons de mémoire sociale.

De par sa première nature de données et de formes, l’information, objet de transmission prend pour valeur la trace, la mémoire. L’investigation de ce champ nous séduit par ses paradoxes et son actualité.

3.2.1.1 L’Information devenue mémoire

Nous l’avons constaté, l’information apportant désordre et dispersion a été canalisée sous formes de traces physiques ou numériques par les ingénieurs et les managers. Ces traces devenant, avec les réseaux, exponentielles, la valeur mémoire de l’information devient incontournable.

La mémoire, étymologiquement, mnaomai signifie en grec, avoir dans l’esprit. Mnemeion

désigne soit le souvenir, soit un monument commémoratif et plus particulièrement un tombeau. Le verbe apomvemoneuo a, pour premier sens, rappeler le souvenir, et pour deuxième sens raconter. Par métonymie, la mémoire signifie aussi un texte écrit.

Dans la mythologie grecque, Mnémosyme est la déesse de la mémoire et de ce fait, la seule à pouvoir faire échec au Temps car elle connaît les secrets de la beauté et de la connaissance. Aujourd’hui, il existe des mémoires naturelles et artificielles. En informatique, une mémoire est un dispositif qui stocke les données.

L’importance contemporaine, donnée à la mémoire, souligne l’intérêt que nous accordons ou que nous voulons accorder au patrimoine culturel. En réalisant une sorte de transaction entre ceux qui reçoivent et ceux qui donnent, la transmission prend, alors, la forme d’une filiation

inversée.

Car la valeur actuelle donnée à la filiation révèle le souci d’un héritage matériel ou moral. La place centrale revient, alors, à l’objet transmis. Une valeur ajoutée lui est attribuée, celle d’un passé servant le futur. Ce procédé marque, paradoxalement, une forme originale de

continuité recherchée, dans un temps qui favorise davantage césure et innovation que

reproduction et tradition. Il créerait un effet d’antidote143 à l’innovation outrancière. Si ceci

est sensible dans notre société, cela l’est aussi dans l’organisation.

143 Cette idée est issue du travail de J. Davallon. L’Exposition à l’œuvre. Stratégies de communication et

Dans l’organisation, la mémoire technique assure la valeur patrimoniale de la transmission. Nous l’avons perçu par l’analyse antérieure qui précisait même que la conservation des savoir- faire était de plus en plus recherchée par l’entreprise autant dans les secteurs de production que dans les secteurs de service.

D’une logique de transmission effrénée, nous passons à une logique de sélection et de sauvegarde.

Hétérogène par la nature même de sa numérisation,144 par l’intégration de sources plurielles,

par la variabilité de son utilisation, par le contact d’utilisateurs aux motivations variées et par l’offre de services différents (du scientifique et du culturel au commercial), cette mémoire

technique constitue la mémoire collective de l’organisation. Elle est liée au système

d’inscriptions matérielles collectivement produites, interprétées ou modifiées suivant l’histoire et les histoires de la structure des organisations et des individus dans laquelle elle évolue.

Cette incarnation de mémoire collective, groupale ou sociale, repose sur trois composantes : la

mémoire externe des inscriptions (souvent appelée mémoire technique), la mémoire des individus, la mémoire organisationnelle liée à la structure des relations interindividuelles. La mémoire collective, de fait est connaissance lorsque le formel et l’informel des

communications interpersonnelles s’inscrivent et se tissent avec les acteurs. Cependant, elle apparaît toujours comme une trace incomplète, en concrétisation intellectuelle et matérielle continue.

Par l’étude théorique, nourrie de confrontations, et par la pré-observation145 de terrains

distincts, nous constatons que l’enchevêtrement des diverses techniques et de leurs modalités résultantes des structures organisationnelles rend difficile la distinction entre connaissances individuelles et connaissances collectives, au regard de l’inscription (supports hétérogènes et/ou centralisé), de la répétition (effet de redondance), du transport de l’information (réseaux numériques ou non).

Pays de Vaucluse, membre du Laboratoire Culture et communication, Directeur du DEA muséologie et médiation culturelle.

H.-P. Jeudy, sociologue décrit cette obsession patrimoniale des sociétés contemporaines sous forme de fièvre

mémorielle, fièvre qu’il a observée : de la fête commémorative du Puy-du-Fou, en France, aux événements

similaires crées au Japon.

H.-P.Jeudy. La Machinerie patrimoniale. Paris : Sens et Tonka, 2001.

144 Cette numérisation favorise l’intégration des différentes formes textuelles multimédia (image, son…) 145 Nous allons expliquer très prochainement notre méthode et nous reviendrons sur nos pré-terrains.

Un constat est évident : ces objets de communication, vivifiés soit par évolution progressive soit par effet réactionnel contribuent à élaborer une mémoire sociale, revendiquée sous forme

de communication ou non.

Aucune production culturelle ne peut, de fait, se pérenniser et se diffuser socialement par l’arbitraire idéalisé et par la simple multiplication. Les objets ne deviennent mémoire sociale que s’ils sont investis et interprétés voire transformés par l’homme.

Cette perspective plus générale sollicite déjà, pour le futur, notre curiosité d’appprenti-

chercheur.

Comment le réseau participe-t-il à cette mémoire collective ?

Pour certains, praticiens et analystes, le réseau ne pourrait qu’impulser ou vivifier une mutualisation des connaissances ou des savoirs à travers la création, la mise en place et la distribution de l’information sur les supports de mémoire.

L’orientation fonctionnelle de ses mémoires se confronte, nous semble-t-il à une mémoire d’un autre ordre : la mémoire symbolique de l’organisation. Les intentionnalités et les temporalités ne seraient-elles pas en contradiction ?

Un objet de recherche est perceptible, nous ne l’avons pas choisi pour ce travail. Il est apparu comme une évidence, nous pensons poursuivre, son observation, lors d’une prochaine étape.

L’information, de nature plurielle a pris de nouvelles formes et valeurs, au cours du temps. Sous l’impact des Technologies de l’Information et de la Communication, l’information serait-elle devenue autre ?

3.2.1.2 L’Information devenue Intelligence Active

De l’idée de cohérence sensible dans les data, dans la transmission, et dans la mémoire technique, nous glissons vers celle d’Intelligence Active. L’information en prenant forme, en résolvant le désordre et surtout en rentrant dans un cadre de référence peut acquérir la dimension d’action. D’action devient-elle systématiquement connaissance ?

Notre objectif est d’examiner, justement, ce processus, de plus près.

Les analystes soulignent que cette transformation est accrue, de façon variable, sous l’impact des Technologies de l’Information et de la Communication. Quelles sont les conditions de la transformation ? Sont-elles d’ordre conjoncturel ou structurel ?

La connexion des différents réseaux d’information et la mise en circulation accélérée et multiple des informations entraînent un changement, vécu dans certains contextes comme une

rupture des repères cognitifs antérieurs. L’individu se trouve au centre d’un dispositif virtuel

dont il n’a ni maîtrise ni perception globales. Ce sont les échanges sociaux qui le sollicitent, en introduisant une forme autre de gestion de l’information.

L'environnement et le réseau constituent un espace de travail intellectuel, individuel et collectif où les êtres, les signes, les objets trouvent : « une dynamique de participation mutuelle et échappent aux séparations des territoires. » J.-M. Noyer146, chercheur en Sciences

de l’Information et de la Communication précise ces potentialités en réfléchissant, néanmoins, sur une perception autre de l’économie politique de l’intelligence.

La mise actuelle en réseau technique (intelligence artificielle) fait apparaître la nécessité de

connexions humaines (intelligence humaine) de plus en plus distribuées.

D. Wolton souligne à cet égard, qu’un système d’information n’est pas toujours un média. Internet, réseau des réseaux assurerait les trois fonctions d’ordinaire assignées aux médias, sans pour autant, les satisfaire complètement. Les fonctions d’information de diffusion des données, d’expression par le besoin de se dire et de se parler, de communication et d’intercompréhension existeraient avec des proportions non équitables et surtout se contrarieraient. Il oppose de fait, la vitesse de l’information à la lenteur de la communication.147

Ceci fait donc prendre conscience de l’imbrication de trois paramètres d’ordre structurel et conjoncturel : le stratégique, le contextuel et le culturel. Ces trois paramètres seraient à orchestrer afin de valoriser toute activité intellectuelle.

Pour notre part, la connaissance apparaît à l’issue d’une procédure de conversion des niveaux informationnels (médiateur-ingénieur), avant de s’incarner dans une nouvelle information (usager-récepteur), et ceci, avant de devenir, pour finir, connaissance (usager-acteur).148

146 J.-M. Noyer. Vers une nouvelle économie politique de l’intelligence. In Solaris, n° 1, Rennes : PUR, 1994. 147 D. Wolton. Internet et après ? Une théorie critique des nouveaux médias. Suivi d’un Glossaire. Op. Cit. p. 101.

148 Voir article C. Pascal, L. Vieira. Les Nouvelles technologies et l’appropriation du savoir, de l’information à la connaissance. In Communications et stratégies, IDATE, 1° trimestre 1999, n° 33.

Nous avons, en effet, préparé ce sujet de thèse, par des articles exploratoires sur l’Information Scientifique et Technique, et ses différentes modalités de médiation.

Ce lien entre technique, culture, intelligence et symbolique transparaît, dans la déclinaison

hybride, de la connaissance en organisation.

C’est ainsi que l’objet de recherche de cette contribution apparaît.