• Aucun résultat trouvé

2.2 La Connaissance et le savoir en organisation

2.2.2 Perceptions économiques 1 Perspective diachronique

2.2.2.4 Modèle systémique et complexe

Dès lors, deux idées s’imposent : la connaissance s’envisage, souvent pour les sciences de gestion comme un ensemble de schémas, un système de connaissances prêtes à l’emploi et aussi, désormais, comme un processus représentatif de l’organisation, distribué de manière diverse en nature. Il existe, en effet, des savoirs explicites formalisés et des savoirs tacites.

La connaissance formalisée est une forme de connaissance qui peut être transmise, sans perte,

par un discours ou un langage : plan de fabrication, liste de composantes à assembler, manuel de procédures, base de données clientèle.88

La connaissance tacite, est implicite et difficile voire impossible à crypter. Elle est même parfois dite incommunicable par le langage.

86 Nous repréciserons dans la partie démarche, les modalités de cette pensée qui favorise de nouveaux modèles d’organisation

87 Dans la première approche, les processus étaient formalisés et imposés par les choix hiérarchiques ,souvent couplés aux exigences de la concurrence.

Deux formes existent :

- celle que l’on pourrait appeler connaissance de culture ou de contexte89 ensemble de valeurs

et de normes implicites plus ou moins largement partagées,90 en référence avec des traditions,

des rites dont l’origine est même parfois oubliée. Des répertoires d’actions communs à plusieurs acteurs se concrétisent parfois sur des comportements stéréotypés ou usuels.

- celle que l’on pourrait appeler connaissance pratique, acquise dans et par une pratique, correspond selon la perception de Pierre Bourdieu au modus operandi : le savoir-faire, partie de la connaissance qui échappe au discours, et ceci par opposition à l’opus operatum, défini

dans un langage formel.

« (...) l’essentiel du modus operandi qui définit la maîtrise pratique se transmet à l’état

pratique, sans accéder au niveau du discours. »91

Ceci définit une expertise particulière qui permet de réaliser facilement et efficacement, grâce à l’expérience, une action ou un produit. Cela correspond à une connaissance procédurale par opposition à la connaissance déclarative descriptive d’un état ou d’une relation lors d’une modalité formelle.

Cette connaissance pratique existe au niveau individuel et au niveau collectif. Pour ce dernier cas, elle apparaît, sous forme de routines : séquences répétitives de comportements acquis impliquant plusieurs acteurs en communication au sein d’une communauté de pratiques. Ces comportements individuels et communautaires sont stockés dans une mémoire

procédurale, sous une forme pratiquement relative et inarticulée.

Comme le précise, le chercheur I. Nonaka : 92

« La connaissance tacite inclut à la fois des éléments cognitifs, les schémas, les croyances, les modèles mentaux (...) définissant notre vision des choses et des éléments techniques correspondant à un savoir-faire ancré dans des contextes spécifiques d’action. »93

88 Nous n’envisageons pas dans le tacite, le non-dit : connaissance éventuellement formalisable par son détenteur, grâce à un autre type de langage que le discours : mimiques, gestes…

89 Si l’on considère les comportements transmis, les croyances, les perceptions, les évaluations, la partie non exprimée à travers le langage formalisé est culture d’une forme de connaissance partagée, propre à

l’organisation ou à un groupe.

90 « Ce qui se fait chez nous… », ou « ce qui ne se fait pas chez nous… » 91 P. Bourdieu. Le Sens pratique. Paris : Éditions de Minuit, 1980, p. 136.

92 Il s’agit de la reflexion sur La Création des connaissances, selon I. Nonaka et H. Takeuchi. La théorie de la création de la connaissance lancée par Nonaka et Takeuchi, en 1995, considère que la fonction première de l’entreprise est de créer un avantage concurrentiel basé sur le savoir collectif. La mission des managers est d’orienter les actions de création de la connaissance. URL : http ://www. syre. com/Nonaka. htm; consulté le 30 juin 2002.

La distinction entre ces deux types de savoir n’est ni stricte ni stable : quatre évolutions ou

modes de conversion sont possibles selon I. Nonaka.

- du tacite vers le tacite : par interaction forte, la connaissance d’une personne peut se transformer en connaissance de groupe, sous l’effet de la socialisation. L’apprentissage et

l’intégration, au sens courant de ces termes, réalisent cette étape de socialisation.

- du formalisé au formalisé : par le biais d’un langage commun et de modalités de

communication variées (note d’information, cours…). Les connaissances explicites de plusieurs individus sont unies et ajustées pour produire par induction ou déduction des connaissances nouvelles, ceci sous l’effet d’une combinaison.

- du tacite au formalisé : des pratiques efficaces sont explicitées dans un discours plus ou

moins formalisé. Le recours à la métaphore et à l’analogie compense l’absence de concepts partagés. Le but est d’atteindre une formalisation.

- du formalisé au tacite : la connaissance explicite s’enracine au stade du réflexe automatique.

Un schéma conditionne spécifiquement l’exécution. L’efficience de l’acteur se réalise par

cette intériorisation.

Sensiblement, l’expression de gestion des ressources (procédurales) est remplacée par celle de processus de création de la connaissance (mise en processus).

Le processus de création de la connaissance se joue par les multiples circulations entre l’individu et le collectif, entre savoir tacite et savoir explicite.

Afin d’approfondir cette circulation entre l’individu et le groupe, nous convoquons les travaux de M. Polanyi et de H. Takeuchi.

Michel Polanyi,94 dès 1966, fait lui aussi la distinction entre les niveaux tacites et explicites de

la connaissance : la connaissance explicite peut être transmise dans un langage formel et systématique. La connaissance tacite concerne les éléments techniques, les savoir-faire acquis ou à acquérir, les habitudes de travail, la capacité à réaliser une tâche.95 La connaissance

explicite pour M. Polanyi, évoque des modèles mentaux, des formalismes utilisés pour exprimer des faits partageables sous forme déclarative, conceptuelle et séquentielle.

G. Bateson96 parlait à ce propos, dès 1972, de connaissance analogique ou digitale.

93 I. Nonaka. A dynamic theory of organizational knowledge creation. In Organization Science, vol. 5, n° 1, pp. 14-37, février 1991.

94 M. Polanyi. The Tacit Dimension. London : Routledge and Kegan Paul.1966. 95 La recherche documentaire mobilise, en priorité, ce type de connaissance.

Les niveaux de connaissance tacite etde connaissance explicite sont complémentaires et difficiles à séparer car ils sont liés à l’expérience humaine et au corps.

Pour H. Takeuchi,97 en 1995 la connaissance se développe de façon permanente sous la forme

d’une spirale, d’un niveau à l’autre.

L’apport principal de M. Polanyi est de distinguer la connaissance créée par l’individu (en lui-même) au contexte, lieu où ce processus d’amplification se révèle par une communauté d’interactions.

Ceci illustre, un nouveau modèle organisationnel assorti d’une autre manière de conduire la Gestion des Ressources Humaines. Des analystes en GRH se sont appropriés ces pistes et ont réenchéri : « (...) On dispose ainsi d’une modélisation de la création de savoir dans une organisation basée sur des mécanismes d’expérimentation, de formalisation, de routinisation, de diffusion articulant les différents niveaux de l’organisation » 98

Cette modélisation est perceptible dans plusieurs types de structures (PME, secteur public) mais aussi dans l’industrie99 : la tâche est désormais centrée sur la gestion de processus

techniques, mais aussi d’événements plus informels. Ce système est complexe. Diversifié,

nourri d’interactions internes à l’organisation et avec ses actionnaires, ses partenaires, ses sous-traitants et même par effet rebond, ses concurrents. Ce système représente la complexité. Ce nouveau paradigme n’augure pas un monde forcément meilleur : il se joue souvent sur de l’exclusion durable ou partielle d’individus (suppression d’emploi, reconversion obligatoire…) sur des contrôles, pressions et stress préjudiciables à un juste épanouissement des personnes et même sur des subordinations encore plus radicales que celles visibles dans le monde taylorien. Ce nouveau modèle repose, en effet, sur le savoir être et sur la production

intellectuelle de l’homme, en un mot sur son procédé de connaissance comme processus cognitif.

Notre intention n’est pas de comparer un bon et un mauvais modèle. Chaque modèle développe des contraintes et des avantages. Le modèle classique taylorien a créé des relations salariales et des représentations collectives qui ont favorisé une sécurité de l’emploi et des

G. Bateson et N. Wiener sont considérés comme les fondateurs de la cybernétique, courant précurseur de la

systémique selon A. Moles. Nous préciserons, ces données, plus tard.

97 H. Takeuchi, I. Nonaka. The Knowledge-Creating Company. New York : Oxford University Press, 1995. 98 Loïc Cadin. Faut-il sortir la GRH de ses frontières ? Cet article est cité sur le site de La Création des connaissances selon Nonaka et Takeuchi.

revenus. Le nouveau modèle tout en favorisant les capacités d’initiative locale et la diversification en communication, génère aussi des tensions, sous forme de pression d’objectifs à atteindre, à tous niveaux; de responsabilisations accrues; d’exigences et de contraintes dues à une communication intensive. Ces phénomènes sont réactivés par la flexibilité et la nécessité d’innovation. Nous allons poursuivre, au cours de cet écrit, l’analyse critique de cette étape d’évolution.

En perspective, cette thématique complexe de la connaissance organisationnelle frôle plusieurs frontières : Celles du contexte organisationnel et celle de la connaissance avec ses aspects individuels et collectifs, sa part d’explicite et sa non moins réelle modalité implicite. Nous y reviendrons, afin d’apporter des précisions, ceci en rapport avec notre problématique envisagée.

2.2.3 Ouverture vers des approches transversales et interdisciplinaires sur