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b D'autres outils de catégorisations : « après raffinage »

Chapitre 2 : Pratiques actuelles de catégorisation

VI.2. b D'autres outils de catégorisations : « après raffinage »

Nous allons à présent nous pencher sur les outils de catégorisation élaborés par les professionnels que nous avons rencontrés, le plus souvent à partir de variables classiques, d'où l'idée de "raffinage". Ce sont des variables distinctes des variables classiques mais elles restent pourtant générales, réutilisables pour d'autres sujet d'études, elles ne surgissent pas ex nihilo comme d'autres outils qui demeurent propres à une étude comme nous le verrons dans la partie suivante. Il est possible de distinguer plusieurs démarches aboutissant, selon nos interlocuteurs, à l'amélioration d'outils de catégorisation existants.

La démarche la plus répandue parmi les enquêtés semble être la "combinaison", c'est-à-dire l'association d'indicateurs classiques et d'autre variable.

« Pour le recrutement des personnes à étudier on s’est basé sur trois choses. En premier, ce que j’appellerais les variables socio-démographiques (âge, sexe, revenus) plus les styles de vies, c’est à dire les hobbyes. En deuxième lieu sur le rapport à l’alcool et en troisième, sur leur mode de découverte de l’alcool. En fait derrière, c’est essayer de comprendre comment ils ont adapté des modes de consommation particuliers. C’est d’ailleurs souvent la principale question du MK. Une marque se demande le plus souvent comment une pratique se transmet et tranche sur les autres. » (femme, 27 ans, MKG)

Cette enquêtée révèle une méthode forte en marketing : croiser des variables socio démographiques "classiques" telles que l'âge, le sexe et le revenu avec une variable sur les pratiques de consommation. Un des buts du marketing étant la réalisation d'études de marché pour des marques, il est nécessaire de comprendre quelle est la population qui consomme le produit étudié donc d'introduire soit une variable sur les pratiques de consommation au sens large (ici le rapport à l'alcool et le mode de découverte de l'alcool) soit une variable encore plus précise de type "consomme ou ne consomme pas tel produit" :

« Il y a les analyses de bases de données ; il y a les données de marché (on connaît ce qui se passe sur un secteur : par exemple pour le maquillage, on sait que les acheteuses rajeunissent beaucoup, parce qu'il y a déjà les "fashion-fillettes" de 12-14 ans qui s'achètent déjà leur premier mascara et qui s'y connaissent mieux que leur mère)» (femme, 28 ans, MKG)

L'enquêtée, pour catégoriser la cible de son étude qualitative sur la consommation de produits de maquillage, travaille à partir d'études antérieures portant sur l'utilisation du maquillage chez les jeunes filles. La cible est alors : des filles (variable de sexe), de 12 –14 ans (variables d'âge) déjà utilisatrices de maquillage (variable relative à l'enquête). De plus cette partie précise de la population est nommée "fashion fillette", le marketing créant abondamment des termes pour décrire des catégorisations très fines. Donc la combinaison

d'outils de catégorisation classiques et d'outils plus appropriés à l'étude permet l'émergence de nouvelles catégories.

«Généralement, on mène des enquêtes auprès de populations nationales : on mène de grosses enquêtes où il y a un questionnaire relativement long sur leurs habitudes en terme de téléphonie et d’équipement du foyer, et (on croise avec un certain nombre de variables qui nous ont semblé pertinentes en téléphonie. Déjà, il y a la question du revenu. Le budget pour la téléphonie mobile a été un nouveau budget. Il y a donc la question du revenu. La question de l’âge, jusqu’aux personnes âgées.) A partir de notions de CSP classiques, on ajoute un certain nombre de critères. » (femme, 34 ans, MKG)

Pour l'analyse des habitudes en terme de téléphonie mobile, l'enquêtée, travaillant dans le marketing croise des variables type CSP, revenu, âge avec des variables sur l'équipement du foyer et le rapport à la téléphonie. Mais cette façon de fonctionner - combiner outils classiques de catégorisation et variable localisée - n'est pas propre au marketing.

«L'étude se faisait CSP par CSP, par catégories d'âge, et en fonction des opinions politiques déclarées.

Il est intéressant de constater qu'un certain pourcentage de gens se déclarent communistes alors qu'ils ne se retrouvent pas sur les lignes d'opinion du parti communiste.» (homme, 35 ans, POL)

L'enquêté travaille au sein d'un parti politique, il est étroitement associé à la campagne d'un candidat à l'élection présidentielle. Il décrit la manière dont sont réalisées les études d'opinions politiques qui sont réalisées par les grands instituts de sondages. Il y a là aussi combinaison entre variables socio démographiques et la variable idoine pour l'enquête, c'est-à-dire les opinions politiques déclarées.

« Les indicateurs qui nous sont utiles, à nous, nous les choisissons, nous avons besoin de qualifier la population sur un territoire au chômage. Il y a des sources INSEE (taux de variation de la population entre 1990-99) ou encore des sources indicateurs de la population active... qui nous permettent de mieux comprendre ce qui se passe sur notre territoire. Les sources ANPE donnent des indications sur la structure des entreprises mais aussi... j’ai été chercher à côté de cela avec ma collègue aux droits des femmes et on a établi des catégories qui n’existait pas forcément : à savoir qui est au chômage et pourquoi ? On passe alors à une analyse plus fine. On a alors regardé la part des femmes et la place qu’elles occupent au travail et au non-travail... les chiffres parlent pour eux.. » (homme, 49 ans, ADM)

Pour cet enquêté qui étudie au sein d'une administration la population au chômage, la démarche a été de croiser deux sources institutionnelles d'outils de catégorisation, celles de l'INSEE et celle de l'Agence Nationale Pour l'Emploi et d'y adjoindre d'autres variables, qui ne sont pas vraiment précisées ici mais qui permettent de mieux cerner les motifs explicatifs individuels du chômage.

Les enquêtés introduisent de nouvelles variables, plus fines, afin d'obtenir une différenciation plus forte de la population étudiée. Une des grandes tendances visibles notamment dans le marketing est d'introduire les variables sur les comportements et les attitudes :

« Un des principes importants c’est de pouvoir quantifier facilement les segments en fonction de leur façon de vivre et de consommer. C’est par les modes de consommation et les modes de vie différents que se découpe la société, la population. Et c’est ça qui découpe dans les tranches d’âge les différentes segmentations !

Je me sers pas mal de l’étude Simm de Sécodip, ils font des patates et ensuite ils classent les gens en fonction de leur mode de vie, de leur consommation, etc…

En fait, on utilise ce que fait le CCA (Centre de Communication Avancée) et Cathelat.» (homme, 40ans, REV)

Les variables supposant une approche plus psychosociologique ( en terme d'attitudes et de comportements) sont regroupés en modes de vie, ou en styles de vie pour le Centre de Communication Avancée (C.C.A.) et permettent de segmenter la population de l'enquête selon leur "façon de vivre" c'est-à-dire ici, avant tout de "consommer". Ces variables, d'ordre psychosociologique, visent à cibler plus précisément telle ou telle partie de la population, lors de la promotion d'un produit par exemple. En effet, ce type de découpage a une finalité pratique, celle de définir plus précisément des cibles marketing.

« En fait, on utilise les catégories pertinentes pour les annonceurs, alors pour les afficheurs, c’est la différence entre Paris, la proche banlieue et la banlieue plus lointaine ! En fait, c’est surtout les catégories de la publicité qu’on utilise, les cibles marketing ! » (femme, 34 ans, MKG)

En effet, la combinaison de variables classiques telles que l'âge, le sexe et le revenu avec des variables plus psychologiques d'attitudes permet de comprendre le comportement (notamment le comportement d'achat et de consommation ) des individus face à un produit, comme l'expose très bien cet interlocuteur :

« Je sais que par exemple, là je travaille sur un produit allégé(…) des céréales de régime. On sait qu’on a une cible plutôt féminine que masculine, parce que c’est un problème qui, de façon exprimée, est plus du domaine des femmes que du domaine des hommes. Ca ne veut pas dire que les hommes ne s’y mettent pas mais les hommes ne le reconnaîtront pas. Donc on va pouvoir plus facilement parler aux femmes qui elles, ensuite dans leur foyer, feront le boulot sur leur bonhomme. Donc notre cible est prioritairement les femmes. Et on sait aussi qu’il y a une grosse différence de comportements et d’attitudes selon les tranches d’âges. On sait qu’en dessous de 15-16 ans, ça sert à rien de taper là pour ces céréales là. On peut le faire pour d’autres céréales, les céréales enfants au chocolat… mais ces céréales là, ça sert à rien parce qu’en dessous de 15 ans, les gamines qui se soucient vraiment de leur santé sont celles qui ont des problèmes chroniques d’obésité, etc. Et nous, on n’est pas un médicament pour malades. Donc ça, on s’en fout. Ensuite, entre 15 et 25 ans, 25-30 ans, on sait que la gestion du corps n’est pas la même que celle des gens qui sont au-dessus des gens de 30-35 ans. Parce qu’ils ont peut-être moins de soucis avec leur corps ou c’est plutôt de façon très épisodique, juste avant de mettre le maillot de bain avant l’été sur les plages. Le corps est plutôt une arme pour être belle, pour séduire, etc. Alors que quand ils sont à partir de 30-35 ans, ils ne sont plus dans la problématique court terme, je veux être belle pour avoir le ventre plat, pour être sur la plage et me faire draguer, elles sont plus, les femmes, dans, j’ai eu des enfants, je suis dans une problématique de maintenir une certaine jeunesse, de maintenir une certaine ligne et qui est plutôt de la gestion de préservation, de long terme, du préventif, et pas du curatif, court terme, boum, je perds trois kilos. Et on sait qu’après aussi, il y a aux alentours des 50-55 ans une autre mentalités entre les femmes et les hommes qui est, là ils ont plutôt des problèmes de santé qui sont des problèmes d’immobilité dus à une certaine obésité, où

on commence à avoir des problèmes d’ostéoporose, il vont avoir des problèmes de vieillissement, donc là encore c’est un autre type de discours qu’on peut leur tenir. » (homme, 40 ans, MKG)

Ce type de combinaisons de variables permet d'obtenir in fine une segmentation très précise, propre à un produit qui met en exergue les motivations des individus pour le consommer ou non ; ainsi ce type de découpage très pointu de la population permet de développer des actions marketing relatives à un segment de la population.

« Donc on définit les catégories à la fois par des variables descriptives : âge, CSP, revenu et à la fois par des variables explicatives : style de vie, et même, les styles de vie, c’est le temps., Sachant que ça s’adapte aux problématiques. Qu’est ce qu’il y a d’autre ? Il y a l’âge, la CSP, le sexe…J’ai l’impression qu’il ne faut pas évacuer la socio démo, mais j’ai l’impression que cela ne se suffit jamais.

IL faut toujours ajouter des variables.» (femme, 34 ans, MKG)

Pour synthétiser cette démarche, qui est assez répandue dans tous les métiers du classement, l'idée est de combiner des variables classiques et descriptives (comme l'âge, la CSP, le revenu) et des variables explicatives soit propres à un produit soit de type psycho-sociale afin d'obtenir des catégorisations plus fines, moins macropsycho-sociales et considérées comme plus exploitables en pratique.

Certaines démarches de création d'outils de catégorisations peuvent apparaître de prime abord comme propres à un secteur d'activité et pourtant relever aussi de la combinaison de différents outils ou d'un "relookage" d'outils existants. Nous allons en voir trois exemples ici.

« Le géomarketing ? Ce sont des découpages basés sur le code postal. Par exemple, en Allemagne, le territoire est quadrillé en carrés. On peut savoir de façon très précise où se trouvent les gens. En Grande Bretagne, c’est par quartiers. Il y a de très grandes disparités d’un quartier à l’autre. En France, la division de base est la commune.» (homme, 55 ans, MKG)

Le géomarketing est présenté comme un outil de catégorisation purement marketing mais finalement s'appuie totalement sur les découpages géographiques et territoriaux de l'INSEE puisque, pour la France, la division de base du géomarketing est la commune, tout comme pour le recensement effectué par l'INSEE. Cette variable n'est donc pas nouvelle ni endogène elle est juste rebaptisée par le marketing.

Le consommateur est le concept phare du marketing. Mais finalement les outils de catégorisations mis en œuvre pour définir les pratiques du consommateur ("dis moi ce que tu consommes je te dirais qui tu es") sont eux aussi le croisement d'outils de catégorisations générales (ici l'âge, le sexe, la localisation géographique, la situation familiale) avec des variables de consommation, notamment de ce type :

« Dans les études marketing, on découpe souvent en PMG : petit/moyen/grand. Et ceci en posant parfois peu de questions : par exemple, quel est le nombre de cigarettes fumées…Puis, on divise en trois groupes. On voit par exemple que 33%des consommateurs fument 60% des cigarettes vendues, et

que 60% des consommateurs n’en fume que 10%. Ce sont les 33% qui sont intéressants. Il faut les ventiler avec de la socio démographie. » (homme, 55 ans, MKG)

C'est à dire une plus ou moins forte consommation de tel ou tel type de produits.

Le consommateur est donc défini à base de variables macrosociologiques traditionnelles cumulées à des pratiques de consommation. Le marketing n'a donc pas le monopole de l'invention du concept de consommateur. L'originalité de ce concept ne réside pas tant dans sa construction que dans sa mobilisation : il s'agit de définir l'être humain, l'individu à partir de sa consommation (et non pas de son appartenance sociale ou de ses opinions politiques, même si ses variables peuvent être influentes).

« Donc ici on développe des modèles statistiques et mathématiques de type « scoring », qui sont utilisés dans à peu près tous les établissements financiers ; le client potentiellement acheteur d’un véhicule arrive en concession ; a un entretien avec le vendeur qui est un employé de la concession ; ils se mettent d’accord sur un véhicule. Au cours de l’entretien le client, compte tenu de son budget aura ou non recours à un crédit.» (homme 40 ans MKG)

Cet enquêté qui travaille dans le service marketing d'un établissement financier présente l'outil de catégorisation qu'il emploie, le scoring. Cet outil lui permet de vérifier si la personne qui vient le solliciter pour obtenir un crédit automobile est solvable, le résultat du scoring détermine l'obtention ou non du crédit par le client. Mais finalement le scoring est un critère de revenu donc consiste en l'organisation de variables traditionnelles en modèle statistique.

Outre ses concepts qui apparaissent comme novateurs mais se distinguent relativement peu des "raffinages " précédents, une démarche novatrice apparaît dans les outils de catégorisation.

D'après les enquêtés, la notion de temporalité est de plus en plus utilisée pour affiner la prise en compte d'un phénomène.

« On croise les indicateurs de revenus, les niveaux d’étude, avec la trajectoire sociale, la manière dont les gens se projettent dans le futur : ça permet de relativiser ces catégories en prenant en compte ces dimensions, ça nous donne le caractère rétrospectif et prospectif de la position sociale. » (femme, 55 ans, UNIV)

Cet universitaire introduit la notion de temporalité (prospective et rétrospective) dans son étude sur l'appartenance sociale. Afin de mieux cerner la position sociale des individus, il part de leur positionnement actuel et les interroge sur comment ils se voient socialement dans le futur, tout en prenant en compte leur trajectoire sociale.

« En fait, je m'intéresse à l'idée de biographie : c'est une conception a posteriori de la temporalité (aujourd'hui il y a une mutation de la temporalité qui s'inscrit dans les parcours de vie)" "Voir comment se construit la parentalité tardive? Les CSP jouent à fond. La domination économique aussi, ainsi que les rapports de force dus au sexe. Les rapports homme – nature sont aussi à prendre en compte bien qu'il n'y ait pas d'enjeu pour cela en terme de catégorisation sociale. Il ne faut pas oublier la question ethnique : on ne peut pas tout ramener aux catégories du social. Il y a des spécificités dues à la

biographie. Je ne disqualifie pas les discours généraux s'appuyant sur un discours de classe. On part de quelques hypothèses du type : les façons de prendre des distances vis-à-vis des calendriers familiaux dépendent de la position de classe. C'est une hypothèse facile mais forte mais est-ce la seule chose intéressante? La problématique est comment se mettent à l'œuvre la façon de penser le bon moment de faire les choses? Il y a un calendrier normatif et une façon d'appréhender le temps qui est plus de la sociologie de l'action (idée que l'action crée du temps). On peut faire appel à des théories durkheimiennes de processus de l'individualisation ( en terme de normes collectives sur les façons de faire les choses à un moment donné)» (homme, 37 ans, UNIV)

De plus en plus, des notions comme la biographie, la trajectoire, le parcours, la biographie acquièrent les rôles de variables explicatives, d'outils de catégorisation permettant d'affiner, de personnaliser, de complexifier la catégorisation -sans pour autant rejeter le rôle explicatif des variables sociodémographiques permettant de situer les grandes régularités macrosociales -que ce soit dans des méthodes quantitatives ou qualitatives avec par exemple l'accent mis sur les récits de vie.

La prise en compte de ces notions liées aux temporalités s'inscrit totalement dans l'orientation générale de ces méthodes de "raffinement" d'outils de catégorisation. En effet, la logique actuelle des professionnels du classement semble être, toutes disciplines confondues, d'aller vers la segmentation toujours plus fine de la population. En effet, la combinaison de variables classiques avec des variables propres à un sujet permet de produire une segmentation propre à un seul produit, comme par exemple telles céréales vues précédemment. L'introduction dans les études de variables psychosociologiques permettant de définir des modes de vie (comme les sociostyles développés par Cathelat) et des notions liées au temps (biographie, parcours…) produisent des catégorisations de plus en plus précises, où le caractère personnel (mode de vie, mode de consommation, trajectoire sociale) de l'individu est pris en compte. Les termes très précis du jargon marketing reflètent cette tendance : les séniors, les fashion fillettes, les "early adopters"…

VI.2.c Outils propres à une organisation ou à un acteur