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a Méthodes déductives

Chapitre 2 : Pratiques actuelles de catégorisation

VI.4. a Méthodes déductives

La nomenclature de l’INSEE sert de base à un découpage social, elle permet de repérer des données socio-démographiques de départ. Il s'agit d'un découpage de la société préexistant à l'enquête, qui utilise des données déterminées et qui permet d'appréhender la réalité sociale selon des critères communs.

Certaines études s’en inspirent en y combinant d'autres catégories propres à leur objet d’étude ou bien propre à leur domaine d’activité. Un exemple de cette procédure nous est rapporté par un enquêté membre d’un observatoire qui a participé à une enquête sur l’orientation professionnelle d’étudiants en psychologie. Dans ce cas précis, les catégories combinées provenaient des professions possibles dans le domaine de la psychologie.

« l’objet de l’étude était : le devenir professionnel des étudiants en psychologie » (femme, 49 ans, ADM.).

Nos interlocuteurs font usage de logiciels pour procéder à ce découpage. Il s’agit de rentrer des données dans un système informatique qui ressort un profil qui va répondre à une demande spécifique, produisant une évaluation de ce profil avec une ou plusieurs possibilités, selon la recherche en question. Nous avons rencontré plusieurs exemples de ce type, comme par exemple le système de répertorisation de l’ANPE qui classe les demandeurs d’emploi selon trois critères (leur disponibilité, leur métier et le secteur d’activité auquel il appartient).

Cette méthode permet à cet organisme d’état d’identifier la population active, moyennant un certain contrôle des mouvements de cette population, dans le but de fournir une aide de réinsertion dans le monde du travail selon justement les possibilités offertes par les résultats des catégories construites à l’aide des outils cités ci-dessus.

« L’ANPE a pour mission d’apporter un appui à toute personne à la recherche d’un emploi, pour favoriser son accès ou son retour à l’emploi.(…) Il y a également une alternance de phases intensives de recherches documentaires, de tests et d’enquêtes sur le marché du travail ponctuées de travail de groupe et d’entretiens approfondis entre le bénéficiaire et son référent » (femme,49 ans, ADM).

Un autre exemple est celui des institutions financières comme les banques, les compagnies d’assurance, qui offrent des produits de financement pour des services ou des biens, et qui procèdent à une sélection des clients éligibles par le biais d’un progiciel informatique. Là encore, la sélection se fait d’après les données socioprofessionnelles des clients qui sont insérées dans le système appelé « scoring », ce dernier résultant en un

« score » cumulant des points correspondant à un niveau de risque donné.

« la grille de score qui attribue des points positifs ou négatifs, selon les caractéristiques que l’on a jugé favorables ou défavorables au revers de la demande de financement » (homme, 40 ans, MKG).

C'est la nécessité d'une intervention humaine qui fait la particularité de l’usage de systèmes informatiques pour définir un découpage social dans les résultats finaux. Dans certains cas, le logiciel peut produire une décision basée sur les résultats qu’il vient de produire lui-même, tandis que dans d’autres, une intervention manuelle vient se plaquer sur les catégories construites pour affiner les résultats et les rendre analysables ou utilisables.

Cette méthode de découpage permet de l’appliquer à une population entière puisqu’elle qu’il s’agit d’une recherche de corrélation sociale entre les individus pour répondre à la situation de chacun, par des critères communs qui servent de repères. Elle tend par exemple à repérer des cibles en utilisant les catégories dites classiques (âge, CSP, logement, etc.) parmi une population ciblée de manière plus générale au départ.

Cependant les méthodes déductives ne semblent pas toujours adaptées au découpage socio-démographique réel. Ainsi, pour certains de nos enquêtés, les sous-regroupements ne sont pas assez spécifiques ni assez distincts entre les types de métiers et secteurs d’activités.

Ils deviendraient alors réducteurs et inadaptés à la démarche de certains commanditaires (demandeurs d’emploi, départements de marketing, demandeurs de prêts, étudiants, etc.).

Ainsi, dans le cas des institutions financières, le système informatique prend tout type de données et est « ouvert » à tous, mais il n’est pas protégé des éléments de fraude, et à l’inverse, il se peut qu’il donne un avis défavorable à un client potentiel qui serait « sur-noté » par erreur. Il permet à beaucoup de gens de passer outre certaines contraintes, les prêts sont eux-mêmes refusés au bas taux de 3 ou 4 %, mais en même temps il produit des résultats selon des critères de sélection qui ne tiennent pas compte du contexte des demandeurs, ce qui peut jouer en leur défaveur.

« C’est ce qui s’appelle chez nous être tatoué « non souhaité » (…) il a déjà fait une escroquerie dans un autre établissement financier, on l’a tatoué pour qu’il évite de revenir chez nous faire une autre demande de financement » (femme, 40 ans, MKG).

Un produit financier est proposé à tous mais accordé à certains seulement : dans un premier temps on établit une liste de clients potentiels grâce à des données socio-démographiques puis, dans un deuxième temps on classe ces clients selon des critères de risques financiers et ont établi ainsi une seconde liste plus précise de clients. Cependant il semblerait que cette méthode n’aboutisse pas systématiquement à un résultat favorable selon la catégorie de clientèle atteinte.

Certaines limites viennent aussi du fait que certains commanditaires se réapproprient les résultats de l’étude, dans le cadre d’applications de plans d’action stratégiques, ce qui en outre laisserait parfois peu de marge d’action à l’observatoire ou institut d’études réalisant l’enquête. Mais ce type de limites se retrouve dans tout type d’enquête et ne semble pas spécifique à l’usage de cette nomenclature.

Méthodes inductives

Nous avons relevé une autre manière de mettre en place une catégorisation : il s'agit de s’intéresser aux comportements sociaux des individus ou aux groupes d'individus en partant du discours sur leur construction identitaire.

Ainsi il s'agit de se demander : comment les personnes s’identifient elles-mêmes à tel ou tel groupe, telle ou telle appartenance sociale? Cette méthode implique une construction des catégories qui suivent l'évolution de l'enquête : les critères sont à envisager et à comprendre au regard du sujet de l'étude.

Ces éléments indicatifs sont, par ailleurs, souvent croisés avec les catégories de la nomenclature "classique", ils ne permettent pas une étude macro-sociale mais ouvrent, semble-t-il pour nos interlocuteurs, la voie à une approche plus mouvante et plus sensible aux évolutions rapides de la vie sociale.

Dans certains domaines, les études montrent une corrélation entre l’âge et une dimension socio-culturelle.

« A l’intérieur des attitudes, on a des traits de personnalité, des aspirations, des normes. A l’intérieur des traits de personnalité il y a des besoins des goûts, des opinions, des impressions (…) les comportements, c’est ce qu’on veut expliquer ». (homme, 31 ans, SOND)

Ainsi l’étude menée par l'un de nos interlocuteurs, relatant la mise en place de catégories basées sur des pratiques sociales et non pas sur une seule définition socio-démographique permet de comprendre le mécanisme de construction de ces catégories. En effet, on trouve dans cette étude des individus qui s’identifient à une "catégorie présupposée au départ de l’étude", définie par des usages de techniques sociales propres à cette classe.

« C’est le représentant parfais de cette élite-là : il héritier de son père et sa mère, il est baron récent mais baron quand même (…) On a pris en fait la définition des indigènes pour avoir les indigènes, et ça fonctionne » (homme, 49 ans, UNIV).

« Il faut prendre en compte à la fois la façon dont les acteurs se désignent, les catégories administratives par lesquelles ils sont désignés et il y a un tas d’enjeux, et ensuite on peut montrer le peu de pertinence des catégories, les déconstruire et en proposer d’autres. (…) Comment appréhender les gens qui ne se casent pas dans les catégories utilisées ?(…) Comment décloisonner les catégories ? » (homme, 49 ans, ETU)

On voit ici que cette identification à une catégorie précise par les individus de l'étude est contrebalancée par un retour sur cette identification : il ne s'agit plus seulement de se reporter à des critères socio-démographiques mais aussi de tenir compte de la construction identitaire et peut être des stratégies qui s'y rattachent, de la part des individus.

D'autre part, des études effectuées dans le domaine Marketing nous indiquent que certaines catégorisations peuvent bénéficier d’un affinage dans le temps, en prenant en compte l’état d’esprit des clients et non seulement des critères d’âge, de genre etc. Un de nos enquêtés a réalisé une enquête sur une population de consommatrices de crème pour le visage d’une marque spécifique. Cet échantillon se basait sur le marché existant, et en réalisant

l’enquête, il s’est rendu compte que la tranche d’âge présupposée correspondante à cette population produisait l’exclusion d’une part de marché supplémentaire qui se trouve auprès de la génération suivante, les filles des présupposées consommatrices. C’est en s’intéressant à l’état d’esprit des clientes et pas seulement leur profil social que l’enquêté a recréé une catégorie des consommatrices potentielles.

« On a pu relever une différence de critères de choix, et une différence par rapport à nous, à ce qu’on fait. Elles attendent des choses différentes des marques, par rapport à leur mère. Là vraiment, c’est l’exemple en or, parce que les jeunes c’est assez nouveau, c’est une cible qui a émergé il y a deux ans sur tous les marchés ». (femme, 28 ans, MKG)

Il semblerait, au vu des entretiens que nous avons réalisés, que la tendance à segmenter de plus en plus afin de personnaliser une prospection Marketing soit appliquée, en combinant des indicateurs classiques croisés avec des fréquences et types d’achats. Il s’agit de techniques orientées plus sur la psychologie ayant pour but de cibler et mieux qualifier les consommateurs. Lorsqu’une marque a un seul type de cible pour un profil donnée, elle aura tendance à baser ses actions Marketing sur un profil socio-démographique, tandis que si elle attire différents types de clients, elle aura tendance à rechercher une adhésion des consommateurs aux images de marques.

On notera cependant les limites misent en lumières par nos enquêtés, une partie de la population française ne semble pas toujours s’identifier à un groupe particulier, par conséquent ils ne partagent pas non plus ce qu'on peut appeler une "conscience d’appartenance" comme on le fait parfois pour d'autres catégorisations (les ouvriers représentent, par exemple, au-delà d'un découpage économique de la société, un groupe d'individus ayant une culture et un univers de référence souvent propre.)

Dès lors, chercher à appréhender cette population qui ne se constitue pas en fonction d'un groupe d'appartenance selon une méthode déductive semble vouée à l'échec.

Il se peut également que les changements que nos interlocuteurs aient cherchés à repérer en amont de l’étude soient possibles à définir parce que trop flous.

De même, les catégories résultantes seront trop distinctes les unes des autres parce que justement adaptées à un ciblage spécifique, et ne pourront pas permettre une comparaison avec d’autres résultats de catégorisation.

On peut également noter une contradiction entre la tendance Marketing dont le but est de cibler les destinataires d’un produit pour adopter une approche spécifique, plutôt

individualiste (« one to few »), alors que la massification résultant de la catégorisation s’applique de manière globale autour de comportements sociaux communs.