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b Boudon, Crozier et Mendras : le renouvellement des dynamiques

Chapitre 1 : Historique

II. 3 1975-1995 : Remise en question et morcellement de l’analyse sociologique

III.3. b Boudon, Crozier et Mendras : le renouvellement des dynamiques

Si l’on peut situer ces auteurs dans la lignée de Tocqueville et Weber, c’est que le contexte dans lequel ils se situent et les méthodes qu’ils emploient les amènent à mettre l’individu au premier plan, comme leurs précurseurs.

Quels enjeux autour de la construction de leur pensée

Au début du 20e siècle, le mode d’analyse de la société le plus répandu est la vision pyramidale, avec une forte opposition entre deux classes liées par un rapport de hiérarchie verticale. L’approche de Simmel va faire émerger l’idée d’une classe moyenne, qui amène à considérer la société comme une triade. Les frontières entre les classes ne sont pas rigides, et une mobilité reste possible. Par la suite, il s’opère au fur et à mesure un véritable rejet de la vision pyramidale et du marxisme chez de nombreux intellectuels. La période des Trente Glorieuses connaît en effet des changements fondamentaux dans l’ordre social et moral de la société : à la suite de la reconstruction et du rattrapage d’après guerre durant lequel la production industrielle et la démographie connaissent un accroissement fulgurant, une nouvelle ère se fait jour, celle de la consommation de masse, avec l’apparition des supermarchés, entre autres. Cette période est vue comme une véritable révolution conduisant inéluctablement à une rupture.

Il en résulte l’émergence du « post industrialisme »14, cette nouvelle ère marque l’avènement d’acteurs nouveaux, autres que les détenteurs du capital et les travailleurs : avec le développement des techniques de communications et des services, le secteur secondaire, l’industrie, n’est plus le phénomène central de l’évolution sociale. L’analyse en termes de classes perd donc toute sa validité : il faut désormais prendre en compte plusieurs critères

14 B. Daniel, Vers la société post-industrielle ?, 1967

pour définir des groupes sociaux cohérents, comme par exemple le diplôme et le revenu, pour Mendras. Parallèlement, dans les années soixante-dix, l’approche sociologique de type individualisme méthodologique reprend vigueur : l’acteur est au cœur du système d’analyse, et le sociologue est l’acteur conscient et responsable de ses faits (homo sociologicus).

L’individu semble éclipser la classe sur la scène sociale et de la pensée sociologique.

Leur théorie par rapport aux classes

Dans ce contexte, Michel Crozier, influencé par les analyses américaines, particulièrement les approches culturalistes, rédige le Phénomène bureaucratique en 1963.

L’analyse stratégique se trouve au cœur de son fondement théorique, et introduit la notion de

« rationalité limitée ». Quand l’individu agit, il ne le fait pas toujours en fonction d’une stratégie personnelle pré plannifiée, dans le but d’atteindre un certain optimum. Crozier voit le jeu social qui est construit autour de l’acteur et auquel il est contraint de se soumettre, même s’il lui reste une certaine marge de manœuvre. Les actions individuelles seront le résultat d’une opportunité saisie.

Au sein de l’organisation, les individus peuvent tantôt appartenir au groupe des dominés, quand ils ne possèdent pas l’information suffisante et sont soumis à la présence d’un expert, tantôt faire partie des « patrons », dès qu’ils deviennent eux-mêmes experts ou détenteurs de l’information nécessaire à la poursuite des opérations. Ainsi, les acteurs s’ils luttent, le font dans le but de s’accaparer du pouvoir, mais ne sont pas seulement inscrits dans des rapports de dominés à dominants et vice versa, puisque chacun possède des marges de manœuvres plus ou moins importantes, et à la possibilité de renverser le jeu en présence.

Boudon, pour sa part, est très proche de la position de Crozier en terme d’analyse stratégique acteuriale et de rationalité limitée. Son analyse des Inégalités des chances en 1973 marque la césure entre son approche de la structure sociale et celle de Bourdieu en terme de classes sociales. Il ne voit pas en l’école un vecteur d’inégalités des chances, le capital culturel n’étant pas le facteur d’explication premier. Il part des comportements des familles et place au centre de son explication la position sociale des individus, qui détermine largement leurs choix aux différents stades de l’orientation scolaire Ainsi, les familles se livrent à un calcul rationnel – coûts et avantages – afin de savoir si la poursuite de la scolarité est envisageable.

En fait, Boudon rejette la notion de classes dans son sens réaliste. Les classes ne sont, pour lui, ni des réalités observables, ni des acteurs qui font l’histoire ; en revanche il accepte la notion de strates, qui est une conception nominaliste.

Henri Mendras va plus loin encore, il s’oppose à une vision marxiste et pyramidale de la société, et place les classes moyennes au centre du corps social, il s’agit selon lui de « la constellation centrale ». Sa vision de la société est cosmopolite, et repose sur des concepts déterminants de PCS, le revenu et le niveau scolaire. La structure sociale ne peut être appréhendée que grâce à ces deux indicateurs formant un graphique en forme de toupie. On retrouve à la base, les ouvriers et employés, très proches, forment la « constellation populaire » (env. la moitié de la pop), les cadres, enseignants et ingénieurs, plus dispersés, forment néanmoins un autre groupe : la « constellation centrale » (un quart de la pop.).

D’autres galaxies apparaissent, isolées : professions libérales, groupe intermédiaire des techniciens.15

La représentation de Mendras est impulsée par une dynamique du changement, puisque certaines professions peuvent « monter », il y a tout de même homogamie dans les groupes de professions considérés. Sa vision du social n’est pas stable et laisse la possibilité d’intégrer d’autres paramètres comme l’âge, le sexe etc.

Sa méthode consiste en l’analyse de faits historiques, mais aussi et surtout de statistiques, par exemple sur la fréquentation des universités, les pratiques religieuses : après avoir mis en avant le mouvement d’extension des classes moyennes qu’il nomme dans les sociétés modernes, il affirme qu’il n’y a plus d’échelle unique de hiérarchie, plus de strates, mais des groupes sociaux fluctuant, dont la profession est plus ou moins toujours la caractéristique principale.

De Tocqueville à Mendras, la méthodologie reste sensiblement la même, c’est l’individu qui sera au centre du système d’analyse. La représentation du concept de classe paraît statique, et ne reflète pas forcément une prise de conscience des acteurs. Un modèle de catégorisation plus adapté à la société post-industrielle doit émerger, axé sur une plus grande mobilité et une appartenance diversifiée des individus et à des groupes. L’acteur sera toujours présent, mais c’est l’acteur interagissant qui sera mis en exergue, grâce notemment aux approches interactionnistes américaines.

15 H. Mendras, La Seconde Révolution française. 1965-1984, [1994]1988, Gallimard, Paris, Folio essais.

III.4 De l’interactionnisme de l’Ecole de Chicago à Wieviorka

III.4.a Emergence des « cultures ethniques » comme