• Aucun résultat trouvé

a Techniques quantitatives de recueil de l'information

Chapitre 2 : Pratiques actuelles de catégorisation

VI.1. a Techniques quantitatives de recueil de l'information

Les enquêtés qui pratiquent ce type de technique identifient deux acteurs, qui utilisent chacun un type de méthode. Il s’agit d’une part de l’INSEE, et d’autre part des instituts de sondage.

La méthodologie spécifique de l’INSEE

L’INSEE reste l’institut de référence, cité par tous les enquêtés appartenant au monde des études à un moment ou à un autre des entretiens.

« Dans chaque pays, on cherche à avoir un échantillon représentatif de la population nationale, âgés de 15 ans et plus. Après on se cale sur les grands standards nationaux. Par exemple pour la France, c’est l’INSEE avec les tranches d’âge, le sexe, les professions, les revenus. Ce sont des échantillons représentatifs de 2500 personnes. C’est conséquent. » (homme, 31 ans, SOND)

La réputation de l’institut est établie du fait justement de la rigueur dite "mathématique"

voire "scientifique" de sa méthodologie. Les autres instituts, qui ne possèdent pas de bases de données sur l’ensemble de la population et qui ne travaillent pas à si grande échelle, injectent les résultats statistiques publiés par l’INSEE pour trouver une représentativité satisfaisante :

« Au niveau quantitatif, la méthode la plus professionnelle c'est la méthode aléatoire. C'est ce qui sera plus représentatif. Cela devrait permettre de calculer des intervalles de confiance. Ça suppose de gros échantillons, avec des règles de dispersion. Je n’en ai jamais fait. Dans les instituts de sondage, pour des raisons pratiques, on travaille avec des quotas. Il n’y a que l’INSEE qui puisse se permettre de travailler en aléatoire. En institut de sondage, on part du postulat : si l’échantillon est représentatif, s’il reprend les mêmes variables que la population, on peut extrapoler des informations sur la population dans sa globalité. » (homme, 31 ans, SOND)

Les professionnels qui travaillent à l’INSEE reconnaissent la spécificité de leur modèle, et peuvent le décrire à leurs interlocuteurs. Ce modèle, basé sur le recensement de la population, leur permet en particulier de tirer des échantillons de population au hasard, par recoupements successifs, tout en étant parfaitement représentatif :

« Nous, à l’INSEE, quand ont fait une enquête, on n’a pas de quota quand on tire l’échantillon, contrairement aux instituts de sondage. On a tiré 20 000 personnes pour l’enquête ménage, parmi l’ensemble des gens qui sont dans le recensement. Il y a 30 millions de ménages, on ne peut pas manipuler 30 millions de ménages. Donc on dit, on tire 1 million parmi ces 30 millions, au hasard.

Après, on tirera au hasard les 20 000, parmi ce million-là. Les échantillons sont tirés équilibrés, pour représenter la France, pour éviter qu’il y ait trop de jeunes ou pas assez. On tire des échantillons pré-équilibrés. En résumé, on tire 20 000 personnes du recensement. Les instituts privés (Sofres…), ils font des enquêtes par quota. Ils savent qu’il y a 12%de jeunes en France, alors ils veulent 12% de jeunes par téléphone, pour être représentatifs. Nous on tire les gens et on va les interroger directement. Ce n’est pas du tout la même chose. On améliore ces probabilités avec un outil très technique, qui permet de tirer au préalable un échantillon en ayant les bonnes proportions. C’est la méthode du cube de Jean-Claude Devil. Les variables utilisées sont l’âge, le type de commune, le sexe et les revenus. On est alors parfaitement représentatif de la société française à ces niveaux. Ça permet de faire ce que tu demandais : Prendre un échantillon complètement au hasard et qu’il soit bien représentatif. ».

(homme, 28 ans, OPUR)

La méthodologie des instituts de sondage.

Pour les études menées selon des techniques quantitatives, la méthode utilisée est le sondage.

Il s’agit d’un questionnaire à réponses fermées, passé le plus souvent par téléphone, selon les enquêtés, auprès d’un échantillonnage de population choisi comme étant représentatif de la population à étudier.

Dans la pratique, deux méthodologies d’enquêtes coexistent : celles basées sur les techniques quantitatives (le "quanti") et celles sur les techniques qualitatives (le "quali"). Sans vraiment s’opposer, ces deux types d’études apparaissent comme ayant chacune leur

spécificité et elles tendent à caractériser l’activité même de la structure qui emploie plutôt l’un que l’autre :

« Concernant le quanti on a deux types d’opérations. On travaille à partir d’études généralistes qui existent en matière de presse (CESP, IPSOS revenus, SOFRES 3000, études SIM sur la consommation, recensement INSEE, etc.). Sur le plan quantitatif, on a tendance à travailler, comme ce sont des investissements lourds, sur des études transversales. Nous sommes plutôt quantitativistes. On mène régulièrement des tables rondes, focus groupes. » (homme, 33 ans, MKG).

Les instituts de sondage, nous l’avons déjà mentionné, peuvent se servir des données INSEE pour calculer la représentativité de leurs échantillons. Au-delà de ça, ils construisent leurs propres panels en leur combinant des variables qui déterminent pour beaucoup leur domaine privilégié d’activité :

« On va plutôt dans le détail. C'est-à-dire qu’in fine on standardise. Après on a cinq grandes variables standards, l’éducation, le sexe, l’âge, la profession et la situation par rapport à ça, et la localisation géographique. Mais ce sont des indicateurs, des agrégats de plusieurs variables socio-démographiques. Dans le questionnaire on a l’âge, profession, revenu, le salaire mensuel, la zone géographique, la région, le département pour la France, le fait d’avoir des enfants, de ne pas en avoir, d’être marié ou de ne pas être marié, de vivre seul ou de ne pas vivre seul, secteur public, secteur privé… Enfin, il y a pas mal de variables socio-démographiques. » (homme, 31 ans, SOND)

La technicité du quanti est mise en avant lorsqu’il s’agit d’études internationales. Il faut alors que l’institut procède à une sélection satisfaisante qui soit équivalente et non identique à la sélection nationale :

« Et pour chaque pays ?

Pour certains pays comme les Etats-Unis c’est plus, c’est 3000 ; 3000 en Chine. Au Japon aussi c’est 3000. Ce sont des échantillons très significatifs précisément parce qu’on va en profondeur dans l’analyse des individus, on a besoin d’une base solide d’échantillon. » (homme, 31 ans, SOND)

Les termes mêmes utilisés pour désigner la population ne sont pas les mêmes selon les cas de figure. Les populations interrogées par les instituts de sondage sont des « panels » ou des « échantillons représentatifs »

Le panel est une population suivie dans le temps, l’échantillon est une population sélectionnée pour une enquête ponctuelle :

«Les personnes interrogées changent d’année en année ?

Oui c’est pas un panel. Simplement, c’est un échantillon représentatif… » (homme, 31 ans, SOND)

Certains risques existent en quanti. En effet, l'étude peut facilement se révéler peu représentative si les questions posées ne sont pas adaptées à l’échantillon ou si l’objet que le commanditaire cherche à mesurer est inexistant :

«Les études qu’on fait peuvent être des références pour beaucoup de gens. Par exemple, pour les établissements culturels qui veulent connaître leur fréquentation ou des municipalités comme la municipalité d’A. qui souhaite avoir la possibilité de faire des comparaisons au niveau national. Et en général, elles font leurs propres études en s’alignant sur les mêmes questions que celles qu’on utilise dans nos questionnaires. L’avantage c’est que ça permet la comparaison. L’inconvénient, c’est que les questions ne sont pas toujours appropriées par rapport, par exemple, à la spécificité d’un équipement local. On ne pose pas les mêmes questions à un public qui est orienté musique classique qu’à un public qui est plutôt soirée techno. Plus les publics sont socialement différenciés, plus les questions seront différentes. Je pense que les gens qui font ce genre d’études dans les municipalités n’ont pas toujours conscience de ça.» (homme, 49 ans, ETU)

La notion de représentativité est elle-même discutable, et elle dépend étroitement de son contexte d’interprétation. Pourquoi une population de militants ne serait-elle pas représentative d’une opinion sur un candidat ? Les militants ne sont-ils pas justement les mieux placés pour apprécier les efforts d’un candidat en campagne ? Nous voyons bien que selon le point de vue et l’objet d’analyse, la notion de représentativité/ scientificité est interrogée.

«Il y a deux échantillons : ceux des sondages, parce qu’ils donnent une idée de la façon dont ces discours sont perçus dans la population. C’est de la presse que les sondages sont tirés, ils donnent un idée de notre perception, mais en même temps ça ne va pas nous faire changer de discours. Le deuxième groupe, ce sont les militants, mais ce ne sont que 80 à 100 000 personnes. Et ils ont un profil déjà particulier, ils ne sont pas représentatifs des électeurs. Donc si on s’arrête à eux, on ne va pas proposer des choses intéressantes pour tous. Mais ce sont des gens qui peuvent participer à ces propositions.» (femme, 27 ans, POL)

Le quanti est valorisé, par nos interlocuteurs, par la possibilité qu’il apporte de suivre une évolution dans le temps, en gardant le même panel d’enquêtés :

« En quanti on a un panel d’environ 1000 internautes. On fait des questionnaires qui reviennent tous les 6 mois, 3 mois ou plus, et puis il y a des enquêtes plus ponctuelles, des enquêtes politiques, des enquêtes média. » (femme, 34 ans, ETU).

Une fois déterminée la population ciblée, un questionnaire est établi, le même pour tous les enquêtés :

« En gros on pose 50-60 questions aux panellistes. Je sais pas exactement comment ça se fait. Il faudrait que tu ailles sur notre site, c’est x.com. Il y a des questions en termes de CSP, revenu, profession, âge, sexe, situation matrimoniale, qui sont les questions classiques de l’INSEE, et ensuite des choses par thème, équipement de la maison, pôles d’intérêt. C’est assez axé sur les nouvelles technologies, assez général, mais souvent quand on fait une étude on part de deux critères qui nous intéresse. On ratisse toujours assez large, quitte à élaguer après. Le découpage se fait toujours sur le découpage INSEE basique signalétique. » (femme, 34 ans, ETU).

La particularité de ces types de questionnaires est qu’ils établissent des propositions de réponses dites fermées, c'est-à-dire pour lesquelles l’enquêté n’a pas à argumenter. C’est l’analyse qui fera apparaître la donnée sensible :

« Je cherche des éléments de repérage social des électeurs du FN. Le premier est la classe sociale, qui peut être repérée de plusieurs manières : par le sentiment d’appartenance à une classe sociale, et laquelle, qu’on repère par des questions fermées, avec plusieurs propositions de réponse, et si on voit

des correspondances dans ces réponses entre elles, on peut déterminer une conscience d’appartenance ; par ailleurs, il y a les CSP de l’INSEE. » (Femme, 45 ans, UNIV)

Si Internet est bien un nouveau mode de communication, les instituts utilisent également des moyens plus traditionnels comme le téléphone pour faire passer les entretiens :

« On a un centre d’appel à Amiens, et c’est eux qui recueillent l’information proprement dite. […] Des questionnaires qu’on passe par téléphone, on collecte des profils, qui va au cinéma, etc. » (femme, 25 ans, MKG)

La face à face reste une possibilité, mais d’une manière générale, le quanti ne nécessite pas vraiment la présence du chercheur en tant que chercheur. Il n’exerce qu’une fonction de suivi du questionnaire :

« Mais dans d’autres cas, on peut aussi utiliser une méthode quanti. On procède par sondages auto administrés, une petite feuille distribuée à remplir. C’est un peu assisté aussi car on s’assure que les gens remplissent bien, on fait un petit suivi pour inciter. On utilise la méthode quanti parce qu’on considère qu’il faut mobiliser les différentes échelles d’observation, avoir une vue panoramique pour ensuite avoir des vues plus ciblées. » (femme, 51 ans, UNIV)

Les réponses sont ensuite recueillies, enregistrées, et traitées selon une méthodologie que nous mettrons en avant dans la suite de l’étude.

Ce qui semble mettre en confiance les personnes interrogées, dans les enquêtes quantitatives, c’est la possibilité qu'elles offrent, de mettre en comparaison et non plus seulement en rapport les différentes études :

« Il y a quand même une universalité des outils qui fonctionnent bien parce qu’ils permettent la référence et la comparaison avec d’autres études. Mais ça peut arriver que ça ne rentre pas dans la classe. » (homme, SOND)

Dans des contextes où l’écrit et le recensement tiennent peu de place, le quanti par sa méthode qui veut appliquer une certaine uniformité, est utilisée comme outil de connaissance indispensable. La méthode du sondage est celle utilisée par les scientifiques démographes :

« Mais comme on travaille dans des pays ou il y a très peu d’état civil on est obligé d’utiliser un questionnaire plus ou moins standard tout simplement pour pouvoir comparer et faire des prospectives à plus long terme, ce qui reste quand même le but des études statistiques et démographiques. Par exemple si on étudie la fécondité des femmes, il y a des données de bases qu’il faut absolument relever, comme par exemple : l’âge de la mère, l’âge au premier enfant, la région d’habitation et le niveau d’instruction ; après on peut rajouter d’autres éléments en fonction de ce que l’on veut affiner, mais le questionnaire reste standard car c’est un modèle d’analyse comme le sondage ; alors c’est forcément réducteur.» (femme, 48 ans, ADM)

Cependant ce type d’études souffre de la "vision par cases" qui lui est souvent associée.

Nous remarquons alors que "les cases" sont associées, pour les enquêtés, aux catégories, qui

elles-mêmes semblent s’opposer à la perception de la nature humaine complexe et par essence, peu réductible à des chiffres :

« Quand je faisais mes études et qu'on nous parlait des CSP et des statistiques, on pouvait lire le canard Enchaîné qui hait les stats et avoir du recul. Les statistiques, les catégories, c'est un intérêt pour penser mais il existe une nécessité d'avoir une distance critique vis-à-vis de cela. La société est plus complexe que ces catégories. » (homme, 43 ans, REVUE).