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d Les outils : limites et mouvement général

Chapitre 2 : Pratiques actuelles de catégorisation

VI.2. d Les outils : limites et mouvement général

Les enquêtés utilisent donc un certain nombre d'outils de catégorisation : variables classiques, variables dépendantes de l'étude voire de l'organisation. Ils émettent une réflexion critique sur ces outils employés, qui sont en partie contraints par le système d'action dans lequel ils se trouvent.

En effet, la catégorisation peut se heurter à l'inconnu du sujet ou à une population trop réduite.

« Il y en a où on a beaucoup de mal parce qu’il y a des secteurs qui sont tout nouveaux et qui sont difficiles à cerner. Je sais qu’il y a un moment, on ne pouvait absolument pas faire de catégories…

Quand on a travaillé, il y a un an et demi ou deux ans, on a commencé à travailler sur un client Internet. C’était trop difficile de faire des catégories à cette époque là parce qu’il n’y avait pas assez de monde. C’était difficile de trouver les gens. Donc il y avait 5% de la population… 5% des foyers français qui étaient équipés en ordinateurs et qui étaient branchés Internet. Donc là, c’était vachement dur de trouver du monde, et de pouvoir faire des catégories, de savoir ce qu’étaient les pros d’Internet, ceux qui naviguaient un peu de temps en temps. Donc, on a fait des catégories a priori, comme ça, puis

après, on essaye de les vérifier sur le terrain, mais là il n’y avait pas assez de gens. » (homme, 40 ans, MKG)

Les outils de catégorisation du marketing vus précédemment sont finalement pertinents dès lors que le phénomène étudié est connu ou du moins comparable avec d'autres (travail de comparaison de différentes bases de données). Lorsque le marketing étudie des phénomènes émergents et concernant un pan étroit de la population, comme Internet il y a quelques années, il doit avancer en exploratoire car il n'a pas d'outils préconçus lui permettant de catégoriser la population d'utilisateurs.

Au-delà de cet exemple de limite à la marge, il existe des limites d'ordre plus général. Par exemple, la pertinence des outils socio-démographiques, qui sont par ailleurs largement employés, doit être remise en question périodiquement pour que ces outils évoluent et gardent leur statut de représentativité.

« Les PCS ont été inventés à l’origine par Jean Porte en 1954 dans leur version CS. On avait entre 20 et 30 postes, c’était des gros agrégats, les gens étaient mis ensemble d’une façon que l’on pourrait qualifier d’empirico-intuitive en fonction des types de boulot exercé qui à priori devaient correspondre au même type de comportements sociaux (…). ça a marché comme ça jusqu’en 1982. Or en 1982, dans la division Emploi se sont retrouvés au même moment dans la même division Alain Desrosières, Laurent Thévenot et Goy. Ils ont alors entrepris de rénover la nomenclature en essayant de lui donner un fond scientifique dans une logique assez bourdieusienne, logique qui était très en vogue à l’époque.

(…).Cependant en 1995 à l’approche du recensement, plusieurs constats ont été faits. En premier lieu, il était évident que depuis 15 ans, le marché du travail avait fortement évolué et donc il fallait se demander dans quelle mesure on devait aménager la nomenclature en raison de cette évolution de la société.(…) La deuxième question qui se posait, c’était celle de l’éventuelle harmonisation européenne dans le but de créer une nomenclature européenne. (…)

En fait, la rénovation est pas complètement aboutie, elle est en marche depuis 1997....» (homme, 27 ans, OPUR)

Ainsi, la rénovation des PCS est considérée, à la fois, comme nécessaire car depuis 20 ans le monde du travail a subi de profondes mutations, mais elle se heurte aussi à des difficultés de redéfinition de l'outil qui ne peut pas être totalement refondu du fait même qu'il est très largement utilisé (on ne peut donc pas créer de rupture de sens entre un ancien et un nouvel outil). La rénovation de cet outil est un chantier vaste et long, donc imparfait, qui doit aussi intégrer la nécessité d'une harmonisation européenne ce qui est loin d'être évident car les traditions nationales de Statistiques divergent.

« Parfois, on se rend compte qu’on a des choses qui viennent à l’esprit parce qu’on a les outils.

Alors qu’on devrait se poser des questions en amont. On est trop souvent guidé par le fait que l’outil va nous donner la réponse. On devrait chercher ce qu’on veut vraiment !

On donne trop de place aux outils, on est pas proactif, on ne réagit pas assez ! Comme on anticipe pas, on ne peut faire que ce que les outils nous permettent de faire.» (homme, 28 ans, RH)

Le travers dénoncé par cet enquêté de ressources Humaines faisant son autocritique est le suivant : Trop souvent les professionnels du classement pensent l'étude à partir des outils de catégorisation qu'ils ont à leur portée, se laissant ainsi porter par une batterie d'outils routinisée au lieu de faire un travail de réflexion à partir de la spécificité de l'objet. Il y aurait un manque de réflexion sur les outils utilisés : que produisent-ils? Sont-ils toujours pertinents? Notamment, les variables sociodémographiques qui sont quasiment systématiquement mobilisées sont-elles toutes indispensables pour une étude donnée ou procurent-elles seulement une caution de scientificité ?

Un mouvement général est discernable dans la mobilisation des outils de catégorisations.

« Le « one to one »,c’est la négation du marketing de masse. Cela pose le problème de la consommation comme un problème individuel. Le « one to one », c’est par exemple, quand vous recevez une lettre pour votre anniversaire. L’ultime du one to one, c’est le téléphone. Par principe, si on individualise les pratiques marketing si on s’adresse à quelqu’un de manière individuelle, la probabilité de lui faire acheter augmente. La catégorisation est poussée à un tel extrême qu’on a une multitude de catégories très précises, et non pas des groupes très larges. Au lieu d’avoir cinq à dix groupes, on a deux cent types. On appelle ça du « narrow-casting », par opposition au broad casting.

L’hyper-individualisation se développe depuis quinze ans. Cela s’est développé avec les mails, et le géomarketing. » (homme, 55 ans, MKG)

La tendance marketing décrite par cet enquêté de 55 ans est d'aller vers un marketing hyper individualisé, appelé le "one to one", personnalisé et adressé directement à un individu atomistique. Du coup, pour pouvoir pratiquer ce type de marketing appelé "narrow casting", les études marketing doivent produire des segmentations de plus en plus fines, multiplier les outils de catégorisation afin d'obtenir une multitude de catégories ciblées. On observe donc depuis 15 ans un passage d'un "broad casting" (marketing de masse) à un "narrow casting"

(marketing hyper individualisé). Cette même tendance est visible chez les universitaires : les sociologues introduisent de plus en plus de notions liées au temps (récit de vie, biographie, parcours…), qui sans nier le poids de la dimension sociale dans les phénomènes individuels, accordent une place prépondérante au sujet.

On peut donc distinguer un mouvement général du macrosocial (avec les granges variables socio démogrphiques) permettant d'avoir accès à des bases de données étendues, de repérer les grandes régularités sociales, - "d'avoir une photographie de la société " pour reprendre le terme des enquêtés - vers des outils de catégorisation plus micro sociaux voire micro individuels permettant de s'intéresser aux particularités, à l'individu. Ce n'est pas uniquement un changement d'échelles d'observation. Il s'agit d'une combinaison d'outils appartenant à des échelles d'observation différentes car même le marketing "one to one" ne fait pas l'impasse sur l'utilisation des variables classiques. Il y aurait donc un déplacement

vers une échelle microsociale des outils de catégorisation sans pour autant rendre obsolètes les outils macrosocio qui demeurent la référence obligée.