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b Techniques qualitatives de recueil de l'information

Chapitre 2 : Pratiques actuelles de catégorisation

VI.1. b Techniques qualitatives de recueil de l'information

La deuxième grande méthodologie évoquée par les enquêtés qui travaillent dans le domaine des études est l’approche qualitative.

Face au quanti, le quali est vécu par certains enquêtés comme plus artisanal :

« Pour faire du quantitatif, il faut beaucoup d’argent, ça coûte cher, et il faut avoir préparé son truc déjà avec du qualitatif. Donc comme on est pas si riches, on se contente de perceptions qualitatives. » (homme, 38 ans, MKG)

De même la sélection d’une population est plus problématique, les réponses sont moins précises : le quali ne vise pas la représentativité :

« Quels sont les critères de sélection des personnes interrogées ?

C’est aléatoire. Je sais pas si je vais pouvoir vous aider ! (elle rit) On appelle de manière aléatoire, mais on se fixe pas des quotas, on se fixe pas des quotas pour interroger…Ben, par exemple le sexe, l’âge, la profession, l’habitat… » (femme, 25 ans, MKG)

Le terrain du qualitatif apparaît aux enquêtés, dans un premier temps, comme étant propice à une démarche moins claire et moins "scientifique" que le quantitatif :

« Je ne veux pas d'outils théoriques a priori. Je veux me laisser saisir par les événements et élaborer après une réflexion. Le 11 septembre a révélé que le travail de sécurité dans les sociétés occidentales devrait être un travail décloisonné dans des institutions de différentes Nations qui ne travaillent pas ensemble. Aux USA, il y a 40 organisations gouvernementales qui travaillent sur la sécurité. Or une des missions de l'Etat est de coordonner : pourtant chacun de ses segments travaille selon une logique différente voire antagoniste. C'est pareil pour les sociologies spécialisées : comment vont-elles se coordonner? » (homme, 33 ans, SYND)

Cependant, l’analyse des entretiens fait apparaître de nombreux outils d'analyses précis et riches : utilisation de fonds documentaires, entretiens individuels, entretiens biographiques, animations de groupes, tests projectifs, sémiologie, cartes mentales, observations :

« On a fait des réunions de groupes de consommateurs, c’est ce qu’on fait la plupart du temps. […] On a aussi fait des entretiens individuels. On leur a fait faire des exercices projectifs pour les faire aller au-delà du rationnel, si c’était une planète etc. c’est une façon d’attirer des choses plus profondes. On essaye de découvrir vraiment les sensations, les émotions qu’un stimulus exerce sur un consommateur, avec les couleurs aussi. » (femme, 28 ans, ETU).

« On a donc fonctionné par entretiens et cartes mentales, on a fait faire des plans aux gens de leurs trajets principaux, et là ils étaient en extase « on sait enfin par où les gens passent » (femme, 34 ans, UNIV).

La mise en œuvre des outils qualitatifs est différente selon les contextes d’évolution ; si le chargé d’études procède souvent de la même manière et selon des techniques relativement standard, le chercheur a un espace plus large :

« Le truc c’est de ne pas avoir d’a priori, et d’être prêt à jongler avec les différents outils disponibles.

Ça fait des études plus riches, parce que si on ne travaille qu’avec les entretiens, ou que avec un autre outil, on perd de cette richesse. Dans le cabinet ils m’ont recrutée pour le quali, et moi j’ai dû m’adapter à leurs méthodes. C’est très enrichissant de passer d’une méthode à l’autre. » (femme, 34 ans, UNIV).

L’absence de recherche de représentativité propre au quali justifie par elle-même l’emploi de supports divers :

« Comme matériau, j’ai utilisé la publicité, des témoignages provoqués mais aussi des témoignages de la vie quotidienne, des réactions par rapport aux publicités, qui ne sont pas du tout représentatifs. Ce sont des réactions de type qualitatif. » (homme, 54 ans, UNIV)

De même, autant la technicité du quanti demande une compétence particulière et appropriée, autant le quali permet de mélanger les domaines de compétences :

« J’ai fait travailler une documentaliste, une psychologue pour des interviews qualitatives, j’ai fait travailler mon associé. » (homme, 47 ans, UNIV).

Un des usages probablement les plus répandus du quali tient dans l’animation de groupes.

Ceci recouvre tous les tests produits mis en œuvre par des cabinets d’études vers des départements d’études marketing. L’appareil méthodologique de base est la table ronde, les discussions de groupe emmenées par un animateur, les exercices projectifs, les jeux :

« Ca, c'était du quali, elles étaient 10. En table ronde. Oui, elles devaient avoir acheté au moins une fois Nivéa. Et elles devaient résider à Paris-Région parisienne. C'était dans un contexte de compétition, donc on n'avait pas le budget pour faire beaucoup de groupes. Il y avait une animatrice, elle les a fait se présenter, raconter leurs habitudes, et elle leur a fait un portrait chinois, évidemment. On avait aussi fait des planches avec des univers iconographiques différents, dans lesquels elles devaient se reconnaître. Après, un truc plus spontané avec des planches avec des concepts de services, et elles ont voté à main levée pour dire si ça leur plaisait. Et c'est tout, je crois. » (femme, 28 ans, MKG)

L’entretien apparaît comme l’outil de base du qualitatif. Il se présente sous la forme d’un guide avec des questions, on cherche alors une sorte de dynamique de conversation :

« En fait, on a une trame, on lui demande son nom, son prénom, sa situation familiale… il peut nous dire qu’il est revenu vivre chez sa mère et que ça lui pose un problème. La trame c’est un fil conducteur, c’est pas une feuille avec des cases à cocher. (Elle va chercher cette grille dans un placard) … On suit un guide d’entretien qui retrace la vie au quotidien des personnes interrogées : on va repérer comment la personne vie par rapport au reste de la société et au voisinage, si elle a un permis de conduire… » (femme, 46 ans, ASSOC)

La sélection d’enquêtés prend des formes diverses, telles que base de panel quanti, achat de fichiers auprès d’instituts spécialisés, terrain d’observation, dossiers existants :

« Là en ce moment on va renouveler l’action, enfin le groupe « Découvrir, se découvrir, s’insérer » : qui s’adresse à des femmes, très très loin de l’emploi, pour qui l’emploi ne va pas être la réponse à l’insertion et pour ça on a fait un repérage à travers des dossiers » (femme, 46 ans, ASSOC)

Le quali, c’est aussi ce qui permet d’aborder ou de formuler des méthodes de travail et de recherches totalement originales, sinon inédites, en tout cas "intellectuellement sportives" :

« Donc la méthode a été la suivante, ça a été assez original, ça a été d’abord de recueillir des documents scientifiques en langue ; pour l’espagnol, que je parle couramment, et le portugais, qui ressemble un peu à l’espagnol en tout cas pour l’écrit, ça n’a pas posé de problème. J’ai trouvé toute une littérature sociologique qui n’avait pas été utilisée, donc le but c’était quand même de recueillir des données originales.[…] Par contre, quand vous parlez de Pologne, de Hongrie et de Bulgarie, alors là, ça devient difficile. Donc ça, la phase documentaire, ça a été la phase de recueil de données sociologiques en principe originales, par la voie d’Internet, et la voie traditionnelle des institutions internationales, mais aussi par la voie dont on dispose ici qui sont les professionnels de sécurité à l’étranger, à savoir les attachés de police par exemple, qui sont des policiers détachés en mission diplomatique là-bas. Donc ça c’est la première phase documentaire. La deuxième phase c’est la phase d’entretiens, donc in situs, sur le terrain, et là c’était une énorme préparation. Et après, troisième travail, traitement de l’information et rédaction d’un bouquin. Donc ça c’est un processus de recherche assez traditionnel au départ, qui est devenu assez original par la pratique du binôme. » (homme, 34 ans, UNIV)

Mais c’est aussi une rigueur qui n’a rien d’anecdotique lorsqu’il s’agit par exemple de faire l’analyse de documents préexistants :

« On a procédé au dépouillement des archives administratives de dossiers professionnels sur un échantillon d’environ 1000 biographies. On a fait l’étude archivistique de leurs travaux et de leurs productions, de la correspondances entre eux mais aussi avec les politiques. Cela nous a permis de faire une analyse des purges, des compromis avec le pouvoir et des conflits internes entre statisticiens.

Pour cela, on a utilisé un traitement de type statistique conjugué aussi avec du qualitatif. » (homme, 42 ans, UNIV)

Et même si ces documents peuvent prendre une allure inattendue :

« Pour le Printemps, pour faire ces typologies clients, il y a un historique de 3 ans de tickets de caisse » (femme, 28 ans, MKG)

Mais pour aussi originales qu’elles peuvent devenir, les méthodes du quali s’appuient sur des bases éprouvées et reconnues :

« Pour ces études, on a utilisé une méthodologie de type qualitative, on a fait des entretiens classiques,

« compréhensifs » selon Kaufmann, où on interviewait les gens avant et après la visite. On a fait aussi des entretiens itinérants, c’est-à-dire qu’on confie un magnéto aux personnes et elles s’enregistrent pendant la visite. L’idée est de garder une trace de l’expérience de visite. Avec l’entretien compréhensif, c’est plutôt une collecte de récits de visite. » (femme, 51 ans, UNIV)

Les méthodes d’enquête des reporters, si elles semblent utiliser les méthodes des sciences sociales et interroger leur pertinence même, ne sont que de peu de valeur sans l’appareil théorique qui les accompagne :

« Ma méthode c'est le reportage, on se rend sur un lieu, on rencontre des gens. A un moment on sent qu'on a de la matière, beaucoup de choses à dire. On peut alors s'informer sur un sociologue ou autre qui aurait un avis particulier sur la question. Il faut aller sur place rencontrer les gens; les faire parler.

Puis ensuite c'est à nous de raconter ce qu'on a vu. On peut partir avec une idée préconçue puis une fois sur le terrain, réviser son jugement. Le problème professionnel que je me pose : c'est est-ce qu'on sait plus si on y va plusieurs fois? Combien de fois faudrait-il? Ce n'est pas tous les jours pareils. Par exemple dans une banlieue, on y va une fois, c'est un jour tranquille alors on se dit que ce n'est pas le Bronx et le lendemain ça peut exploser. C'est comme une photo, la lumière change dans la journée et alors le paysage n'est plus vraiment le même. » (femme, 33 ans, REV)

Les méthodes des sciences sociales s’appuient sur des expériences avérées et éprouvées qui s’inspirent d’une problématique réfléchie et mettent en œuvre des outils spécifiques :

« Il faut voir des discours pour comprendre ce qu'est Noir aux USA par exemple. Ce qui n'empêche pas des observations. Il faut faire attention aux instruments légaux, les campagnes de politique. On ne peut pas uniquement observer le racisme aux USA en observant dans la rue les mains dans les poches. » (homme, 53 ans, UNIV)

Dans le quali, les méthodes peuvent s’entrecroiser en fonction du contexte dans lequel elles sont élaborées, ainsi nous avons pu noter une distinction entre les chargés d’études de type universitaires, et les chargés d’études travaillant dans des cabinets plus traditionnels et

"orientés études de marché" :

« Quand je travaillais dans le bureau d’études je devais adapter leurs outils à une démarche quali. Au fil de la collaboration ils ont ajouté 2 ou 3 trucs. Ce genre de cadre est plus ou moins adaptable.

L’autre cadre, c’est les chercheurs, on discute entre nous et avec les autres aussi. Quand on travaille avec des ingénieurs, on peut leur proposer des outils. C’est moins le cas avec les gens qui sont habitués aux études. Les cartes mentales c’était super, ça a créé un précédent. » (femme, 34 ans, UNIV).

Nous voyons donc que les professionnels des sciences humaines ont à leur disposition un appareil méthodologique étendu de techniques qu’ils peuvent mettre en œuvre en fonction de leurs domaines de recherche ou simplement de leurs affinités envers telle ou telle méthode.

Nous avons cependant pu mettre en évidence deux types de méthodologies, le quanti et la quali, qu’il nous appartient à présent de confronter.